• Un recteur d’un collège d’État : « Ces mesures favorisent seulement l’élite »
• Dr Manoj Sunassee : « Ce projet pèche par un manque de vision transformative »
• Akeel Bundhoo : « La mixité dans les académies a créé plus de problèmes »
Le ministère de l’Éducation a dévoilé cette semaine un plan de transformation du système scolaire mauricien, présenté comme une modernisation en profondeur. Entre approbations, critiques et réserves, le projet suscite un vif débat. Tandis que les autorités appellent à une consultation publique, Suttyhudeo Tengur met en garde : la légalité du projet reste à prouver.
Suttyhudeo Tengur, négociateur de la Government Hindi Teachers’ Union (GHTU), ne mâche pas ses mots. Selon lui, le Blueprint ne parvient pas à créer de consensus, malgré les Assises de l’Éducation organisées au mois d’avril dernier pour rapprocher les acteurs. Il ajoute également que le dialogue au sein de l’Alliance gouvernementale est marqué par des tensions, notamment avec le MMM, qui exprime des réserves sur le projet.
Suttyhudeo Tengur émet des craintes par rapport à l’aspect juridique. Le syndicaliste affirme que le Blueprint se heurte au mur de la loi : « Le ministre de l’Éducation n’a aucune connaissance des lois en vigueur à Maurice. Il propose une réforme incompatible avec l’Education Act, et donc condamnée à l’échec », déclare-t-il.
Selon lui, toute réforme ne doit pas se faire à la va-vite, mais doit avoir un planning qui respecte toutes les spécificités de la République mauricienne. Pour appuyer son argument, Suttyhudeo Tengur cite le jugement du Privy Council Appeal n°14 de 1997 dans l’affaire Matadeen contre Pointu. « Cette décision établit clairement que tout changement lié aux évaluations, et en particulier aux examens compétitifs, doit être annoncé avec un préavis minimum de deux ans. »
Or, selon lui, le Blueprint ne respecte pas cette exigence légale. En conséquence, la réforme pourrait être invalidée en cas de contestation judiciaire. « Ainsi, au-delà des débats politiques et syndicaux, c’est la légitimité même du projet qui est en jeu. En ignorant les dispositions de l’Education Act et la jurisprudence du Privy Council, le ministère s’expose à un risque majeur : voir sa réforme bloquée avant même d’être appliquée. »
Pour Suttyhudeo Tengur, le constat est sans appel : « Une réforme éducative ne peut réussir si elle ne repose pas sur des bases légales solides. »
Au-delà des divergences politiques, ce dernier insiste sur la nécessité d’associer pleinement le Service Diocésain de l’Éducation Catholique (SeDEC). « Toute réforme sans la participation active du SeDEC est vouée à l’échec. Je suis convaincu que cette institution nourrit des craintes face au projet, et je lui apporte mon soutien », affirme-t-il.
Un recteur d’un collège d’État souligne pour sa part que les annonces ne constituent pas une réforme du secteur éducatif. « Une réforme consiste à redonner une direction, à revoir ce qui existe déjà et à venir avec d’autres mesures pour en faire un pilier stratégique. Or, ce que nous voyons, ce ne sont que des mesures qui favorisent l’élite… »
Ouverture d’esprit
Le Dr Manoj Sunassee, secrétaire adjoint de l'United Deputy Rector and Rector's Union (UDRRU), salue la démarche consultative qui place le dialogue au cœur de ce projet de société. « Les Assises de l’Éducation ont réuni enseignants, syndicats, parents, chefs d’établissement et élèves. Cette concertation a permis de recueillir attentes, critiques et espoirs du terrain. Bâtir une réforme sans cette écoute préalable aurait été une erreur », indique-t-il.
Le secrétaire adjoint dit avoir suivi le processus avec un intérêt soutenu. Si les mesures proposées découlent des échanges, il estime qu’une lecture sous l’angle de la justice sociale impose une vigilance accrue. « Il ne s’agit pas de juger les mesures mauvaises, mais de les examiner sous l’angle de l’équité et de la réduction des inégalités structurelles », est-il d’avis.
Justice sociale reléguée
Dans les annonces, la dimension sociale semble reléguée derrière des impératifs économiques ou techniques. Or, rappelle le Dr Manoj Sunassee, l’école reste un puissant levier de mobilité sociale. Une réforme d’envergure doit intégrer des mécanismes robustes pour corriger les disparités liées au milieu socio-économique, à la région d’origine ou au parcours familial.
La réussite de cette réforme ne se mesurera pas seulement aux performances scolaires, mais à sa capacité à élever le niveau de tous, sans laisser aucun talent au bord du chemin.
Selon lui, la précédente réforme était trop ambitieuse et n’a pas pu être pleinement appliquée. Ce nouveau projet, à l’inverse, pèche par un manque de vision transformative. Exemple : le nouveau système de notation et d’orientation. Plus équitable pour l’affectation dans les collèges, il ignore le drame des 30 % d’échec en fin de cycle primaire. En se concentrant sur une répartition « juste » en aval, il risque d’aggraver le problème en amont.
Il ajoute que, parmi les mesures positives, figure l’établissement de nouvelles écoles nationales réparties dans les quatre zones. « Bien mise en œuvre, cette proposition pourrait rééquilibrer l’offre scolaire. Mais son succès dépend d’un ratio qualité-effectif rehaussé et d’un renforcement du capital intellectuel des équipes pédagogiques. Sans cela, l’initiative restera lettre morte. »
À l’inverse, la transformation des académies en écoles nationales dès la Grade 7, officiellement pour mettre fin à la mixité, suscite de vives inquiétudes. Une décision jugée plus populiste que pédagogique, sans justification éducative solide. « La mixité est un outil d’apprentissage du vivre-ensemble qu’il ne faut pas abandonner à la légère. »
Un appel à la stabilité
Le Dr Sunassee salue l’esprit ouvert du ministre, qui a invité aux débats publics avant la finalisation de la réforme. Mais il souligne que : « les réformes éducatives ne doivent pas être dictées par des lubies politiques ou des calculs électoralistes. Les dernières années ont montré un gaspillage massif de ressources et la mise en péril du parcours de milliers d’enfants. » Il plaide pour un Conseil national de l’Éducation indépendant capable de porter des réformes au-delà des transitions politiques.
La mixité dans les académies a créé plus de problèmes
Mohammad Akeel Bundhoo, président de l’Union of Rectors and Deputy Rectors of State Secondary Schools, affirme que son syndicat est en faveur des réformes prônées par le ministère de tutelle.
« Notre syndicat est en faveur des réformes prônées par notre ministère de tutelle. La mixité dans les académies a créé plus de problèmes qu’elle n’en a résolus », précise Mohammad Akeel Bundhoo. Il affirme que beaucoup d’enseignants qui y travaillent ont attiré l’attention sur la performance en baisse des élèves en académie en comparaison avec la performance de ces mêmes collégiens quand ils étaient dans des single sex schools.
Il ajoute : « Il y aurait aussi des problèmes d’indiscipline difficiles et compliqués à gérer. Les études démontrent qu’en général les filles font mieux, surtout en STEM, quand elles évoluent dans un milieu unisex. Les problèmes ont aussi été d’ordre émotionnel, surtout pour les filles. On a eu des témoignages concernant des cas de filles devenues dépressives par des affaires de cœur et dont la performance académique ou autre a lourdement chuté. »
Concernant les Lower Secondary Exams au niveau de la Grade 9, le syndicat est pour cette mesure si le nombre de matières examinées diminue. « Mais encore faut-il qu’en amont, au primaire, on diminue le nombre de matières en focalisant sur un nombre restreint de matières, tout en relevant le niveau surtout en termes de basic reading, writing et surtout au niveau des maths, là où le bât blesse vraiment. »
Il ajoute : « Si un enfant arrive au secondaire avec un certain niveau, il n’aura pas de gros soucis avec les Lower Secondary Exams en Grade 9. Donc, nous appuyons aussi les mesures que le ministère entend prendre au niveau du primaire. Ces réformes vont sans nul doute aider à relever la performance académique au sein de nos institutions éducatives. Comme mentionné, on est pour parce que cela va aider à relever le niveau académique. »
Consultation nationale jusqu’au 20 janvier
Du 8 décembre 2025 au 20 janvier 2026, le ministère de l’Éducation lance une consultation publique sur l’avenir du système secondaire mauricien. Il fait deux propositions à la population, dans le cadre d’une réforme qui vise à moderniser l’école et à réduire la pression sur les élèves.
Validée par le Conseil des ministres, cette démarche associe les partenaires institutionnels, les enseignants et les citoyens, qui sont invités à donner leur avis via un questionnaire en ligne.
Les deux options proposées
• Option 1 : accès direct aux collèges nationaux en Grade 7. Les élèves seraient orientés vers un collège régional selon leurs résultats au PSAC. Ceux en difficulté suivraient le Foundation Programme in Literacy, Numeracy and Skills (FPLNS). Environ 2 400 élèves pourraient intégrer un collège national dès le Grade 7. Cette option prévoit l’abolition du NCE en Grade 9 et l’instauration d’une nouvelle grille de notation du PSAC (A à F).
• Option 2 : maintien du système actuel avec sélection en Grade 10. Tous les élèves rejoindraient un collège régional en Grade 7. L’accès aux collèges nationaux se ferait en Grade 10, sur la base des résultats du NCE. Le système de notation du PSAC (grades 1 à 6) serait conservé. Là encore, environ 2 400 élèves seraient admis dans les collèges nationaux, tandis que les autres poursuivraient vers le FPLNS.
Dans les deux scénarios, les collèges nationaux pourraient fonctionner en mode mixte ou non mixte, à l’exception du Mahatma Gandhi Institute.
Les raisons de la réforme
Le ministère souligne plusieurs failles du système actuel :
• Des élèves obtiennent la mention “A” au PSAC sans passer les épreuves de rédaction en anglais ou en français. Ce qui limite le développement de compétences essentielles.
• Des recteurs constatent une baisse du niveau des élèves après le NCE, ainsi que des problèmes de comportement.
• Le stress en Grade 9 est jugé excessif, d’où la volonté d’alléger la pression.
Avec cette initiative, le ministère réaffirme son ambition de placer l’équité et le bien-être des élèves au cœur du système éducatif, tout en préparant les jeunes générations à un avenir plus inclusif et équilibré.
Dr Om Nath Varma : « Le système n’était pas uniformément prêt à accompagner un tel changement… »
Au-delà des mesures ponctuelles, le pédagogue, Dr Om Nath Varma met en lumière un problème récurrent : l’écart entre l’ambition des réformes éducatives et la capacité réelle du système à les mettre en œuvre. Pour lui, la question centrale demeure : Maurice saura-t-il développer les compétences nécessaires pour réussir ses futures transformations scolaires ?
Selon vous, pourquoi le ministère de l’Éducation a-t-il jugé nécessaire de modifier le système de notation du Grade 6 ?
Le nouveau système de notation du Grade 6 introduit par le ministère de l’Éducation peut sembler un simple changement de lettres et de chiffres. Mais ses effets sur les élèves et leurs parents pourraient être importants. Jusqu’à présent, tout enfant obtenant 80 % ou plus recevait un A+, regroupant ainsi tous les meilleurs candidats dans une seule catégorie. Avec la nouvelle structure, cette large tranche a été divisée en deux notes distinctes : A (2) pour les scores entre 80 et 89, et A (1) pour les élèves obtenant 90 et plus. Des divisions similaires ont été introduites au milieu de l’échelle, créant une classification plus détaillée des performances. La réforme vise à apporter plus de clarté.
Cette nouvelle grille risque-t-elle d’accentuer les inégalités entre élèves selon leur accès au soutien scolaire ?
Mais dans la pratique, elle offre au Mauritius Examinations Syndicate un moyen plus précis de distinguer les élèves, surtout lorsque la compétition pour les places dans les collèges les plus demandés est forte. Quelques points qui comptaient peu auparavant peuvent désormais faire basculer un enfant d’une catégorie à l’autre, et possiblement influencer son affectation.
Si les examens ne sont pas devenus plus difficiles, les enjeux liés à chaque point peuvent sembler plus élevés. Les élèves proches des seuils de notation risquent de ressentir davantage de pression. Et les inégalités existantes pourraient s’accentuer. Ceux bénéficiant d’un soutien supplémentaire ayant plus de chances d’atteindre les niveaux supérieurs. En fin de compte, la réforme ne change pas ce que les enfants apprennent, mais la manière dont ils sont classés.
Selon vous, quelles raisons ont conduit le gouvernement à mettre fin à l’expérience de mixité dans les collèges d’État, malgré les investissements réalisés ?
Maurice s’apprête à rétablir la séparation des sexes dans l’ensemble de ses collèges d’État, mettant fin à une expérience ambitieuse, mais de courte durée visant à introduire la mixité dans douze établissements accueillant les élèves à partir du Grade 10. Ce revirement est d’autant plus notable que la précédente réforme avait bénéficié d’investissements importants pour adapter les infrastructures, et qu’elle n’avait suscité aucune opposition parentale. Les bâtiments avaient été transformés avec succès, sans résistance de la communauté scolaire.
Là où l’effort semble avoir trébuché, ce n’est ni dans les infrastructures ni dans l’adhésion du public, mais au niveau du leadership scolaire. Gérer la mixité au secondaire, surtout avec des adolescents, exige des équipes de direction bien préparées, des règles claires et un encadrement pastoral solide. Dans certains collèges, les responsables n’étaient pas suffisamment équipés pour conduire cette transition, et ce manque de préparation s’est traduit par des problèmes comportementaux et disciplinaires difficiles à maîtriser. Les cas n’étaient pas généralisés, mais suffisamment significatifs pour influencer la perception globale de la réforme.
Est-ce que la mixité a donné des résultats ?
Pourtant, malgré sa courte durée, la mixité a apporté des progrès concrets. Elle a permis de réduire les barrières de genre dans le choix des matières, notamment dans les filières techniques où les filles étaient traditionnellement sous-représentées. La mixité a favorisé une répartition plus équitable des matières et élargi les possibilités pour les deux sexes, illustrant le potentiel d’un système plus intégré lorsque les conditions de soutien sont réunies.
Le retour aux établissements non mixtes reflète donc moins un rejet de la mixité qu’un constat : le système n’était pas uniformément prêt à accompagner un tel changement. Ce revers met en lumière un problème récurrent dans les réformes éducatives à Maurice : des projets ambitieux, mais une préparation inégale du leadership et un soutien insuffisant.
Alors que le pays revient à un modèle qu’il connaît depuis longtemps, une question demeure : le système éducatif est-il prêt à développer les compétences nécessaires pour faire réussir toute réforme majeure, quelle qu’elle soit ?
Commentaires des internautes
Voici quelques commentaires des internautes sur les nouvelles propositions.
- « Sanser p rode diminuer stress et decourage private tuition right from an early age. Mais guet sa bench mark la 90-100 points pou gagne 1. Samem pou encourage parents pou donne minimum 2 private tuitions pou ki so zenfant gagne meilleurs notes. Avek to reform to p plus met pression lors zenfant, parents et profs. Ena depuis g1 meme pou commence donne tuition pou ki zot zenfant pas doubler. Enfin mo trouver nou p alle plus à la dérive o lieu ki améliorer. »
- « Comment introduction A+ pu aider pu reduire pression lor zanfan ? Plus de pression lor bann zanfan enfin lot vini lot changer malheureusement… »
- « 90 point pou ggn ène À bien pa bon, la p tro exagérer. Ti kav aumoin l’aise li 80 ta 90, pa tou zenfan pou kapav, Kuma dir sa coup la p dir bane piti la vine fou, exkise mwa au contraire p plis stress parent enfant ek enseignant, dir pane envie l’aise zenfan ggn à ek p envi komplik la vie dimoune. Dominer apel sa… »
- « En tant qu’enseignant, la nouvelle grille du PSAC rend l’évaluation plus détaillée, mais entraîne aussi une compétition plus précoce entre les élèves. Les neuf niveaux de performance accentuent chaque différence de points, ce qui augmente la pression dès les plus jeunes classes. L’obligation d’inclure l’anglais et le français dans les cinq meilleures matières renforce l’importance de la maîtrise linguistique, ce qui peut devenir difficile pour les élèves ayant un profil plus faible en rédaction. De plus, la sélection vers les National Colleges risque d’accentuer les attentes, poussant les familles à demander plus de soutien scolaire dès la Grade 3 ou 4. Malgré les intentions de réduire le stress, la réalité montre que les enfants sont exposés à une logique de performance de plus en plus tôt. »
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