Live News

Réforme des pensions - test de ressources : les leçons d’un précédent et les défis d’aujourd’hui

À partir du 1er janvier 2026, l’âge d’éligibilité au BRP augmentera progressivement pour atteindre 65 ans.

Dans le sillage de la réforme du Basic Retirement Pension, le gouvernement remet sur la table le principe du test de ressources (« means test ») afin de mieux cibler l’aide sociale. Entre nécessité budgétaire, justice sociale et mise en œuvre incertaine, cette mesure divise et réveille le souvenir d’une tentative controversée en 2004.

Publicité

À partir du 1er janvier 2026, l’âge d’éligibilité au Basic Retirement Pension (BRP) augmentera progressivement à 65 ans. Cette réforme concerne toute personne née après une certaine date et s’appliquera de manière graduelle selon l’année de naissance et l’année d’ouverture des droits.

Officiellement, l’objectif est double : faire face au vieillissement de la population et répondre aux pressions croissantes sur les finances publiques. Le gouvernement explique que sans ajustements, les dépenses liées à la pension absorberaient une part de plus en plus importante du budget national, au détriment d’autres priorités essentielles.

Pour les actuaires, cette décision, bien que difficile, est jugée indispensable pour assurer la viabilité du BRP à long terme. Le Premier ministre, Navin Ramgoolam a tenu à clarifier en séance parlementaire que l’âge légal de la retraite reste fixé à 65 ans et que les modalités de départ anticipé dans certains secteurs spécifiques ne sont pas modifiées. L’alignement concerne donc uniquement l’accès au BRP et non à la retraite contributive.

Ciblage : une approche segmentée

La réforme ne se limite pas au relèvement progressif de l’âge d’éligibilité. Elle s’accompagne aussi d’un retour partiel au test de ressources. Il s’agit d’une procédure utilisée par l’État ou un organisme public pour déterminer si une personne est éligible à une aide financière, allocation ou prestation sociale (comme une pension, une bourse, un logement social ou une aide médicale), en fonction de ses revenus et de ses biens.

Cette approche, souvent perçue comme intrusive, avait déjà été tentée en 2004, sous le gouvernement de Paul Bérenger, avec Pravind Jugnauth aux Finances. À l’époque, les formulaires posaient des questions jugées indiscrètes, comme « Avez-vous de l’argent caché sous votre matelas ? ». L’expérience s’était soldée par une forte impopularité et un échec politique retentissant.

En 2025, le contexte a changé. Avec une population active en diminution et un nombre croissant de retraités, la logique d’universalité devient plus difficile à soutenir. Le ciblage revient donc au premier plan. Deux commissions ont été mises sur pied pour encadrer la transition. L’une, présidée par le Premier ministre, se concentre sur les femmes au foyer et les mères ayant consacré leur vie à la famille. L’objectif : identifier ces profils et leur proposer des aides ciblées sur la base du test de ressources. 

Une réforme technique au contenu encore flou

Pour un économiste, interrogé sous le couvert de l’anonymat, le principe du test de ressources n’est pas nouveau. Il rappelle que des mécanismes similaires existaient sous d’autres régimes d’aides sociales. Toutefois, il se dit interpellé par la mise en place d’un comité gouvernemental : « Je ne comprends pas le rôle du comité. La Mauritius Revenue Authority (MRA) possède déjà des informations sur les revenus des ménages », fait-il observer. Selon lui, toute réforme devrait s’appuyer sur des données existantes plutôt que de créer des structures parallèles.

Pour lui, il aurait été préférable d’opérer une réforme plus large du système de protection sociale, au lieu de s’attaquer uniquement à la pension universelle. « Il fallait une réforme fondamentale du ‘safety net’ et non une simple retouche à la manche », souligne-t-il.

D’un point de vue budgétaire, l’économiste estime qu’un « means test » peut avoir du sens, notamment s’il permet d’exclure au moins 20 % de la population les plus aisés des prestations non contributives. Cependant, il avertit également sur les risques d’une mauvaise exécution : complexité administrative, retards, et sentiment d’injustice. Il propose une alternative technologique sous forme de bons électroniques (« electronic vouchers ») pour faciliter le ciblage et réduire les erreurs.

Justice sociale : un dilemme politique 

Pour sa part, l’observateur politique, Bernard Saminaden pointe les zones d’ombre entourant l’application pratique de cette réforme. Il insiste sur l’importance du dialogue, de la transparence et de l’équité. « Toutes les réformes, surtout celles qui remettent en cause un acquis social, ne font jamais plaisir à personne », rappelle-t-il.

À ses yeux, la méthode adoptée pèche par manque de concertation. Il regrette l’absence de véritables échanges avec les parties prenantes : syndicats, ONG, ou encore représentants des retraités. Selon lui, « une réforme de cette ampleur devrait être lancée en début de mandat, avec en amont une large consultation populaire ».

Sur le fond, il juge le ciblage pertinent si, et seulement si, il est bien encadré. « C’est une bonne idée si elle permet une meilleure allocation des ressources, mais mauvaise si elle est mal conçue ou mal appliquée », fait-il remarquer. En outre, il exprime des inquiétudes concrètes : quels seront les délais de traitement des dossiers ? Que deviennent ceux qui, entre 60 et 65 ans, attendent sans ressources ?

Il alerte sur le risque de retards administratifs et leurs conséquences : « Si après six mois il n’y a toujours pas de réponse, cela devient inacceptable », indique-t-il. De plus, il critique le caractère potentiellement subjectif des critères d’évaluation. Il se demande par exemple si un simple formulaire pourra-t-il déterminer de manière fiable le niveau de besoin d’une personne.

Entre raison budgétaire et risques sociaux

Le ciblage par les ressources, dans le contexte actuel, apparaît comme une réponse pragmatique aux contraintes économiques, mais sa mise en œuvre soulève des tensions. Certains craignent une stigmatisation des bénéficiaires. D’autres redoutent que des personnes en situation de fragilité soient exclues à tort, notamment ces travailleurs usés physiquement, mais encore jugés « valides ».

Selon Bernard Saminaden, la comparaison est frappante : « Quand on a nourri la population au biberon des pensions, et qu’on veut tout lui retirer d’un coup, c’est problématique. C’est comme demander à quelqu’un qui a une voiture d’aller désormais travailler en bicyclette ». Il insiste ainsi sur la nécessité d’une approche progressive, transparente et équitable.

À cela s’ajoute une critique plus large : celle d’un système politique qui semble épargner la classe dirigeante des efforts demandés à la population. Il appelle à une réforme qui prend en compte les réalités économiques tout en maintenant la cohésion sociale. « Le peuple ne peut pas faire des sacrifices alors que la classe politique semble au-dessus des règles », conclut-il.

L’accompagnement des personnes en transition

Le gouvernement prévoit des mesures spécifiques pour les personnes âgées de 60 à 65 ans, qui deviendront inéligibles au BRP durant la période de transition. Le comité chargé de cette mission s’attardera sur les profils les plus vulnérables : femmes au foyer sans revenu, retraités à faible pension d’occupation, ou encore travailleurs précaires.

Ces bénéficiaires pourraient se voir proposer une aide ciblée, selon un test de ressources revisité. Le défi sera de conjuguer efficacité administrative et sensibilité sociale, car pour nombre de citoyens, le BRP représente non seulement un revenu, mais aussi une reconnaissance.

Ainsi, la réforme du BRP place le ciblage au centre des débats sur la justice sociale et la soutenabilité budgétaire. Elle met en lumière un dilemme majeur pour l’État : comment continuer à protéger les plus vulnérables sans compromettre l’équilibre des finances publiques ? La réponse du gouvernement repose sur une modification progressive de l’âge d’éligibilité, accompagnée de dispositifs de ciblage.

 En chiffres

  • La part du BRP dans le PIB est passée de 1,9 % en 2010 à 3 % en 2015-2016, puis a grimpé à 6,1 % en 2020-2021. Elle s’élève actuellement à 7,8 % du PIB.
  • La part du BRP dans les dépenses récurrentes du gouvernement est passée de 9,6 % en 2010 à 14,2 % en 2015-2016, avant de monter à 20,1 % en 2020-2021 et d’atteindre 24,5 % en 2024-2025.
  • La part du BRP dans les recettes récurrentes du gouvernement est passée de 9,7 % en 2010 à 15,2 % en 2015-2016. Elle a ensuite progressé à 21,4 % en 2020-2021 et à 30,6 % en 2024-2025.
  • Le BRP est passé de 5,97 milliards de roupies en 2010 à 13,1 milliards de roupies en 2015-2016, puis à 27,9 milliards de roupies en 2020-2021 et à 55,4 milliards de roupies en 2024-2025.
  • Entre 2010 et 2024/2025, les dépenses de retraite ont augmenté de 828 %.

(Chiffres avancés par le Premier ministre au Parlement le 17 juin 2025)*

  • Nou Lacaz

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !