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Réforme de l’État-providence : fallait-il ou pas écouter le FMI ?  

La réforme du système des pensions fait toujours débat.  Plusieurs voix s’élèvent pour commenter le choix du gouvernement de suivre cette recommandation du FMI. Haniff Peerun dénonce une influence excessive du FMI et de la Banque mondiale sur les décisions nationales, appelant à une gouvernance davantage centrée sur le peuple. À l’inverse, Amit Bakhirta insiste sur l’urgence d’une discipline budgétaire rigoureuse et sur les réformes nécessaires pour garantir un avenir socio-économique plus soutenable. Dan Maraye, lui, rappelle que toute réforme implique des sacrifices et que seule une vision à long terme permettra de protéger l’avenir du pays.

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Le gouvernement a suivi certaines des recommandations du FMI dans le Budget 2025-2026 surtout celles liées à la pension et à la fiscalité. Qu’en pensez-vous ?

Dan Maraye, observateur économique et politique : « Certaines recommandations du FMI portent sur la pension et la fiscalité. Le gouvernement dispose de toutes les données nécessaires pour bien comprendre la situation. Ces dernières années, il y a eu des augmentations successives de la pension, motivées par des considérations purement politiques à court terme et sans réelle vision à long terme. Idem pour la fiscalité. C’est pourquoi le nouveau Budget prend en compte les recommandations du FMI. Plutôt que de s’attarder sur le passé, tournons-nous vers l’avenir. »

Haniff Peerun, syndicaliste : « On a l’impression que ce sont le FMI et la Banque mondiale qui dictent aujourd’hui la politique monétaire de Maurice, comme elles le font dans certains pays africains. Or, partout où ces institutions mettent leur nez, les pays en sortent souvent affaiblis. Je ne comprends pas cette obsession à suivre leurs recommandations à la lettre. Le destin du pays devrait rester entre nos mains. Pourquoi ce gouvernement refuse-t-il de gouverner en concertation avec le peuple ? C’est le peuple qui lui a accordé sa légitimité, pas le FMI, la Banque mondiale ou Moody’s. À ce que je sache, aucun d’eux n’a voté aux élections. »

Amit Bakhirta : Il était grand temps de nous engager dans une consolidation budgétaire sérieuse.»

Amit Bakhirta, économiste et CEO d’Anneau : « Il était grand temps de nous engager dans une consolidation budgétaire sérieuse et de nous recentrer sur la discipline financière. Il est urgent pour notre pays d’obtenir une revalorisation positive de sa note souveraine par Moody’s et S&P, idéalement d’ici le début de l’année prochaine, à mesure que l’effet multiplicateur commencera à se faire sentir dans les données officielles. La réforme des retraites était nécessaire, malgré un manque de sagesse dans la formule proposée et une communication désastreuse auprès de la population. Ce qui manque désormais, c’est la recapitalisation de la Banque de Maurice (ainsi qu’une sortie progressive et disciplinée de la MIC de ses comptes), de même que celle de plusieurs organismes publics et SPV. Ensuite, des changements structurels et un renforcement du cadre de politique monétaire pourront suivre. »

Au début des années, 80 alors que le pays était dans une vraie crise économique, enregistrant un taux de chômage de 17 % et ayant subi notamment deux dévaluations de la roupie, sir Anerood Jugnauth s’était fortement opposé aux mesures d’austérité du FMI. Il avait eu raison, car, quelques années plus tard, le pays connaissait son premier miracle économique. Pouvez-vous revenir sur cet épisode de notre histoire ?

Amit Bakhirta : « Le contexte international était alors totalement différent : nous étions au tout début de la mondialisation économique, de la libéralisation complète de notre système bancaire et offshore, ainsi que de la diversification de notre économie vers des secteurs totalement nouveaux. Aujourd’hui, la situation a profondément changé à bien des égards et les politiques publiques à adopter pour construire un nouveau Maurice doivent être audacieuses, altruistes, réfléchies et extrêmement progressistes. »

Haniff Peerun : « Anerood Jugnauth a su tenir tête au FMI, même sous forte pression. Il n’a pas cédé à leurs diktats et a pris ses décisions en toute indépendance, en concertation avec le peuple. Il n’a pas serré le vis et imposé de mesures d’austérité sévères, et pourtant, le pays a réussi à progresser. Nos dirigeants doivent avoir le courage pour dire non à ces idiots utiles que sont le FMI et la Banque mondiale, qui imposent une véritable agression financière au peuple. »

Dan Maraye : Sans les dévaluations de la roupie, le miracle économique n’aurait sans doute jamais eu lieu.»

Dan Maraye : « Il faut se rappeler qu’il y a eu deux dévaluations successives de la roupie, en 1979 puis en 1981. Ces dépréciations étaient devenues nécessaires après la forte hausse du prix du baril de pétrole en 1975-1976, qui avait durement frappé notre économie. À l’époque, nos réserves en devises dépendaient exclusivement des exportations du sucre. Sans ces dévaluations, le miracle économique n’aurait sans doute jamais eu lieu et notre économie serait probablement restée l’une des plus faibles de la région. Même certains pays européens traversaient alors de graves difficultés, je m’en souviens bien, car j’étudiais à Londres à cette époque. Ces dévaluations ont finalement été bénéfiques. Certes, le gouvernement de 1982 avait refusé les propositions du FMI, mais cette période a tout de même marqué un tournant. C’est en 1982 qu’a été introduite la TVA, qui a généré des recettes fiscales importantes. Puis, en 1983, le gouvernement MSM/PTr/PMSD – composé de fortes personnalités – a posé les bases de deux nouveaux piliers économiques : le textile et le tourisme. Cela a permis de diversifier notre économie, d’attirer des devises supplémentaires et de réduire notre dépendance vis-à-vis du sucre. » 

Certains observateurs disent que le gouvernement utilise la vieille rhétorique « there is no alternative » (TINA) pour imposer la réforme des pensions. Vos commentaires ?

Haniff Peerun : « Lorsqu’un gouvernement affirme qu’il n’a pas d’autre choix, cela reflète non seulement de la paresse, mais aussi un manque de compétence pour identifier des alternatives. Il opte systématiquement pour la solution la plus facile. Pourtant, un moyen évident de soulager les finances publiques serait de réduire les dépenses gouvernementales. Mais force est de constater que ce gouvernement – comme les autres gouvernements avant lui - ne montre aucune volonté dans ce sens. Il suffit de consulter le rapport de l’Audit : d’année en année, les mêmes abus sont constatés, sans qu’aucune mesure concrète ne soit prise. Des milliards de roupies continuent d’être versées en pensions à des personnes décédées.  Ce gouvernement ne semble pas avoir les compétences voulues pour générer des revenus de manière durable. Prenons un exemple simple : tous les gouvernements parlent d’autosuffisance alimentaire, mais de nombreux terrains agricoles restent inexploités. Et pendant ce temps, nous continuons à importer des légumes, du lait, de la viande. Idem pour le sel et le poisson alors que nous sommes entourés de mer.  Même le sucre, que nous produisons, est importé. Nos dirigeants donnent parfois l’impression de suivre le triste exemple de certains pays africains où les politiciens au pouvoir aiment quand le peuple souffre et n’intervient qu’à l’approche des élections. »

Haniff Peerun : Un moyen évident de soulager les finances publiques serait de réduire les dépenses gouvernementales.

Amit Bakhirta : « Dans un État démocratique, la liberté d’expression et le partage d’opinions ou de perceptions constituent un droit humain fondamental. Cette liberté s’accompagne néanmoins d’un devoir de responsabilité de la parole mesurée, dit-on. Chez Anneau, nous plaidons en faveur de ces réformes depuis plusieurs années. Nous restons convaincus que la rigueur budgétaire et monétaire, le désengorgement du marché des changes et une attention accrue aux infrastructures publiques essentielles ouvriront la voie à une prospérité socio-économique plus durable. Toutefois, concilier austérité, croissance et équité pour les citoyens restera probablement un défi insurmontable. Il est rare d’obtenir le meilleur des deux mondes. »

Dan Maraye : « Il existe toujours des alternatives, mais elles sont souvent plus difficiles à mettre en œuvre et plus douloureuses pour l’ensemble de la population, en particulier pour les plus vulnérables. Le gouvernement a donc fait un choix, en tenant compte de ces réalités. Ce qui est clair, c’est que le gouvernement agit aujourd’hui avec une vision à long terme pour l’économie du pays. Et c’est essentiel. La vision à court terme ne concerne que les petits politiciens, qui, malheureusement, ne s’intéressent pas à l’avenir, mais à leur popularité et leur réélection. Ce type d’approche nuit profondément au pays, quel que soit le parti au pouvoir. Un politicien responsable pense toujours à des générations futures. Il faut aussi rappeler une vérité fondamentale : il n’y a jamais eu de gains sans discipline, et sans certains sacrifices. » 

Dépendre des prescriptions du FMI est-elle la seule solution pour faire avancer le pays ?

Haniff Peerun : « Pourquoi Maurice accorde-t-il autant d’importance aux recommandations du FMI, de la Banque mondiale ou encore de Moody’s ? Il existe d’autres pays et institutions internationales qui proposent des financements à des taux bien plus avantageux. C’est un peu comme dans le secteur de l’éducation : malgré les erreurs répétées de Cambridge dans la gestion des examens, nous continuons à faire appel à elle et à payer, alors qu’il existe de nombreuses autres institutions mondialement reconnues et crédibles. Cette dépendance mérite d’être remise en question. »

Amit Bakhirta : Discipline budgétaire et d’une ouverture vers un avenir socio-économique meilleur

Amit Bakhirta : « Non, il ne s’agit pas de dépendance, mais bien de discipline budgétaire et d’une ouverture vers un avenir socio-économique meilleur et plus soutenable. »

Dan Maraye : D’autres solutions sont bien plus dures.

Dan Maraye : « Non, il existe d’autres solutions, mais elles sont bien plus dures et risquent d’avoir un impact sévère, surtout sur ceux qui se trouvent au bas de l’échelle. »

Des syndicalistes et des membres de la société civile voient d’un mauvais œil ces recommandations. Pourquoi le FMI est-il aussi impopulaire au sein de la population ?

Dan Maraye : « Le FMI a toujours été impopulaire, pas seulement aujourd’hui mais depuis toujours, précisément parce qu’il prône la discipline budgétaire et une vision à long terme. Concernant la réforme des pensions, je pense que le gouvernement doit impérativement revoir le système pour ceux qui perçoivent simultanément une pension de vieillesse et une pension basée sur leur carrière professionnelle. Cela représente un véritable fardeau pour les finances publiques. Il faut commencer par le sommet de la hiérarchie. Plusieurs politiciens perçoivent déjà une pension s’ils ont eu deux mandats consécutifs. À cela s’ajoute une pension supplémentaire s’ils ont occupé le poste de Premier ministre ou de leader de l’opposition. Et en sus de cela, ils touchent la pension de vieillesse. Prenons aussi l’exemple de la fonction publique. Un haut fonctionnaire peut cumuler la pension de vieillesse, celle liée à son poste d’ancien secrétaire permanent et une autre en tant qu’ancien Senior Chief Executive. Ce système de pensions multiples n’est plus soutenable. Il est temps de revoir ce modèle. On ne peut plus tolérer indéfiniment le versement de pensions doublées, voire triplées. » 

Dan Maraye : Le FMI a toujours été impopulaire

Amit Bakhirta : « Vraisemblablement, le manque d’explications et de communication entraîne une méconnaissance de leur rôle dans le système bancaire et financier mondial, et par extension au niveau national. Cela dit, il ne faut pas généraliser, mais plutôt chercher à améliorer la situation. »

Amit Bakhirta : Il ne faut pas généraliser, mais plutôt chercher à améliorer la situation.

Haniff Peerun : « Le FMI et la Banque mondiale sont souvent impopulaires auprès de la population et des travailleurs, car elles préconisent des mesures d’austérité qui les touchent directement. En revanche, ces institutions bénéficient généralement du soutien du patronat et des milieux d’affaires. D’ailleurs, Business Mauritius a publiquement appuyé la réforme des pensions. »

  • Nou Lacaz

 

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