Interview

Ravi Rutnah: «La passation de pouvoirs entre SAJ et Pravind Jugnauth est démocratique»

Ravi Rutnah

L’avocat et député du Muvman Liberater revient sur plusieurs sujets d’actualité, dont l’affaire Soornack et la passation de pouvoirs entre le chef du gouvernement et le ministre des Finances. Selon Ravi Rutnah, Pravind Jugnauth ne doit pas nécessairement passer par des élections pour devenir Premier ministre.

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La justice italienne a donné gain de cause à Nandanee Soornack. Pour l’opinion publique, cette affaire est perçue comme une vendetta politique qui a mal tourné. En tant qu’avocat, quelle est votre lecture ?
Ce n’est pas une vendetta politique. Nous savons tous que Mme Soornack était une vendeuse de cotomili. Suite à son rapprochement avec l’ex-Premier ministre, Navin Ramgoolam, elle est devenue extrêmement riche. Elle a des choses à expliquer aux autorités mauriciennes concernant sa richesse amassée en si peu de temps. Mais aussi sur les contrats qu’elle a obtenus, dont celui concernant Frydu-Dufry, les magasins qu’elle gérait. Et nous savons aussi qu’après les élections de 2014, elle s’est envolée avec plusieurs valises pour l’Italie, pays avec lequel nous n’avons aucun traité d’extradition. Ce qui n’est pas innocent. Il est normal que les autorités du pays réclament son extradition pour lui demander des éclaircissements. Pour le moment, la justice italienne dit que Mme Soornack ne sera pas extradée, mais cela ne veut pas dire qu’elle soit innocente. La cour de Bologne a rendu son jugement par rapport aux arguments qui ont été présentés. C’est-à-dire, que, si elle retourne à Maurice, elle n’aura pas droit à un procès équitable et ses droits seront lésés. Ce qui est faux.

Cela survient après que certaines charges ont été rayées contre l’ancien Premier ministre, Navin Ramgoolam. Est-ce que cela ne démontre pas que ces dossiers ont été bouclés à la va-vite ? Ou tout simplement pour ternir l’image de ces personnes ?
Bien au contraire ! C’est l’image de Maurice qui en prend un coup, et non pas celle de Navin Ramgoolam ou de Nandanee Soornack. Il existe la perception qu’à Maurice, il n’y a pas de fair trial. Encore une fois, ce n’est pas une vendetta. Les charges ont été rayées et il faut respecter la décision de la cour. Mais est-ce que tout ce qui se passait dans le pays quand Navin Ramgoolam en était à la tête était normal ? Même si les cas provisoires ont été rayés, rien n’empêche qu’on loge des cas formels. Cela à condition que la police fasse son travail bien et recueille des preuves. Si la police ne compile pas un dossier, ce ne sont pas seulement les charges contre Navin Ramgoolam qui seront rayées, mais également plusieurs autres affaires. Il en sera ainsi aussi longtemps que la police continuera avec une culture de travail datant de 1968, ne s’appuyant pas sur des investigations scientifiques. Il faut que la police utilise de nouvelles techniques, au lieu d’arrêter des personnes sur la base de simples allégations.

Prenez mon cas : la police m’a arrêté et puis, que s’est-il passé ? Il y a plusieurs cas comme le mien. Nous formons partie de la majorité gouvernementale, nous avons le devoir de moderniser la police. Ce n’est pas pour rien que le Premier ministre veut mettre sur pied le syndicat des policiers ou encore une école de formation et introduire la Police and Criminal Evidence Act, outre la réforme du judiciaire. Si on ne le fait pas, on aura failli à notre tâche.

«La justice italienne dit que Mme Soornack ne sera pas extradée, mais cela ne veut pas dire qu’elle soit innocente»

Le Directeur des poursuites publiques (DPP)  estime que son indépendance est menacée, si on le place sous la houlette de l’Attorney General’s Office. Partagez-vous cet avis ?
C’est faux ! L’Attorney General’s Office gère seulement l’aspect financier. Sous l’article 72 de la Constitution, le DPP a la prérogative de poursuivre ou pas. Ses pouvoirs restent intacts.

Le leader de votre parti, Ivan Collendavelloo, a dit que Roshi Bhadain agissait comme un électron libre au sein du gouvernement. Partagez-vous l’avis de ceux qui disent que le ministre de la Bonne gouvernance est en train de faire du tort à l’image du gouvernement ?
J’ai mon opinion, le leader de mon parti a la sienne et les autres ont la leur. Roshi Bhadain a fait du bon travail, mais étant humain, il a peut être commis des erreurs. Or,  personne ne lui a dit qu’il a fait des erreurs. S’il a ses convictions et qu’il les défend, so be it ! C’est ça, la démocratie. Toutefois, chacun doit assumer ses responsabilités en tant que patriote et à cause de la confiance placée par le peuple dans l’équipe gouver­nementale pour faire progresser le pays. Il faut arrêter de faire de la politique politicienne et adopter la politique technique.

Trouvez-vous normal qu’un ministre demande de modifier un communiqué après une délibération du Conseil des ministres ?
Il n’y a rien de grave. Il a simplement demandé que ce projet, qui a été discuté au Conseil des ministres, figure dans le communiqué. Je ne fais pas partie du Cabinet ministériel, donc je ne sais pas ce qui a été discuté. Si le mot utilisé n’est pas celui qui a été dit. Il n’y a pas de contrôle là-dessus. Des fois, on ne réfléchit pas.

Concernant l’affaire Trilochun, pensez-vous qu’on aurait pu éviter ce qui s’est passé, si le gouvernement ne l’avait pas lâché sur la question d’honoraires ?
Un député a posé une question au Parlement et la réponse reçue semble démontrer que Kailash Trilochun a empoché seul Rs 19 millions. Or, les personnes qui font une analyse honnête savent en quoi consiste le travail d’un avocat. Même le Bar Council n’a pas pris position sur ce cas.

Est-ce que réclamer Rs 19 millions est exagéré ?
La question d’honoraires a toujours été décidée entre un client et son avocat. Concernant l’affaire des Rs 19 millions, si le conseil d’administration de l’Icta avait estimé que cette somme n’était pas justifiée, il n’aurait pas effectué le paiement. C’est aussi simple que cela.

Après avoir porté plainte contre le Premier ministre, l’avocat  Kailash Trilochun envisage une private prosecution contre lui. Vos com­mentaires…
Il est libre de faire ce qu’il veut. Le Premier ministre est un Queen’s Counsel et une personne d’expérience. Je ne crois pas qu’il hésitera à se défendre s’il le faut.

Sangeet Fowdar, membre de votre parti, sympathise avec les étudiants sur la question des frais d’examens et prend position concernant la privatisation de la Central Water Authority. Pourtant,  c’est votre leader qui est à la tête du ministère concerné…
Sangeet Fowdar est un parlementaire. Il a son opinion. Il a le droit d’exprimer son mécontentement. Il a le droit d’en discuter avec le leader et aussi les autres ministres, s’il n’approuve pas quelque chose. Toutefois, étant un membre de la majorité gouvernementale, il doit s’assurer qu’il agisse dans certaines limites et paramètres, afin de ne pas passer pour un député de l’opposition. à moins que ce soit ce qu’il a envie de faire.

Ne pensez-vous pas que Pravind Jugnauth aurait dû être plébiscité à travers des élections ?
Nous avons hérité du système britannique. Même la Constitution indique qu’un membre du parti majoritaire peut accéder au poste de Premier ministre. Prenons l’exemple de l’Angleterre. C’est John Major, faisant partie du parti majoritaire, qui a repris les rênes après le départ de Margaret Thatcher. Après le Brexit, même scénario, c’est le parti majoritaire qui a choisi le remplaçant de David Cameron. Ce sont les personnes qui ne savent pas comment fonctionne une démocratie qui disent n’importe quoi. La question de passer par des élections ne se pose donc pas.

 

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