L’industrie de la construction à Maurice connaît une période dynamique avec d’importants projets publics et privés. C’est ce qu’affirme Ravi Gutty, président de la Building and Civil Engineering Contractors Association (BACECA). Cependant, il fait ressortir que les défis persistants, comme la pénurie de main-d’œuvre qualifiée et les perturbations climatiques, nécessitent des solutions innovantes et une meilleure coordination entre les acteurs du secteur.
Quels sont les grands projets de construction en cours ou à venir, et quel est leur impact sur l’économie et la société ?
Dans le secteur public, on compte le système de transport en masse, la décongestion routière, les projets de drain et la construction d’unités de logement social et autres bâtiments publics. Dans le privé, il y a le développement de Smart Cities, les projets de morcellement foncier, le développement immobilier et la rénovation d’hôtels, entre autres. La construction va encore être l’un des principaux contributeurs à la croissance du Produit Intérieur Brut. Cela devrait aider à réduire le chômage et stimuler l’emploi dans diverses activités liées à la construction. Le progrès dans les infrastructures publiques devrait améliorer la connectivité, la qualité de vie et la productivité globale. Enfin et surtout, une augmentation des recettes fiscales pour le gouvernement, ce qui peut être réinvesti dans d’autres projets sociaux et économiques.
Les facteurs environnementaux, notamment les risques cycloniques et les inondations en début d’année ont-ils un impact sur les travaux de construction ?
La construction est l’un des secteurs qui a été le plus perturbé. Dans le public, la plupart des travaux ont été arrêtés et il s’agissait plus de sécuriser les chantiers. Dans le bâtiment, quelques travaux intérieurs étaient possibles mais les travaux extérieurs ont été reportés pour la plupart. Les intempéries perturbent aussi les chaînes d’approvisionnement, sans compter l’impact négatif sur le moral des employés réduisant leur concentration et leur efficacité au travail. Les congés forcés ont entraîné des coûts financiers supplémentaires comme les pertes de revenus, les coûts de réparation et les dépenses liées à la sécurité (150-200 KRs par jour pour un projet de TP de taille moyenne). C’est ainsi que, compte tenu d’une plus grande fréquence des fortes pluies due au changement climatique, la BACECA a fait des propositions dans le cadre des consultations budgétaires pour la considération d’une assistance financière pour atténuer l’impact des salaires non productifs les jours de fortes pluies.
Quels sont les principaux défis auxquels les acteurs du secteur de la construction à Maurice sont confrontés actuellement ?
Tout d’abord, les taux de main-d’œuvre ont augmenté de manière significative, dépassant les 10 %, ce qui exerce une pression accrue sur les coûts de production. Cette hausse s’ajoute au fardeau des contrats à prix fixe, qui ne permettent pas d’ajustements pour compenser les coûts supplémentaires liés à l’inflation. La pénurie grave de main-d’œuvre et de compétences constitue également un obstacle majeur. La dépendance excessive à la main-d’œuvre étrangère, bien que souvent nécessaire, engendre des coûts plus élevés, tandis que le manque de superviseurs, de contrôleurs et de cadres locaux compromet la qualité et l’efficacité des projets. Par ailleurs, l’impact croissant du changement climatique se fait sentir à travers des interruptions fréquentes des travaux, entraînant des journées de travail non productives et des coûts supplémentaires liés aux mesures de protection et de réparation. En outre, la concurrence déloyale de certaines entreprises étrangères nuit à la compétitivité des acteurs locaux. Enfin, les conditions déséquilibrées dans les contrats, avec des clauses souvent amendées de manière abusive en faveur des développeurs et clients, aggravent encore les difficultés rencontrées par les entreprises locales.
Nous espérons que le budget national de cette année continuera à promouvoir l’investissement dans les infrastructures publiques et faciliter le développement immobilier tout en soutenant la construction durable et l’industrie locale de la construction»
Comment le secteur de la construction gère-t-il les contraintes liées aux ressources humaines et à la formation de la main-d’œuvre qualifiée ?
En mettant en œuvre des stratégies de recrutement efficaces et en offrant des opportunités de développement professionnel pour fidéliser leur personnel. En investissant aussi dans la formation continue pour développer et maintenir des compétences. Nous collaborons également avec des écoles techniques et des universités pour concevoir des programmes de formation comme des stages ou des programmes d’apprentissage entre autres. Le gouvernement devrait accorder des déductions fiscales aux entreprises de construction qui investissent dans la formation et le développement de leur personnel ou dans la promotion de l’apprentissage. À la BACECA, nous pensons fermement qu’il faut augmenter la participation des jeunes et des femmes dans le secteur. Nous devons rendre les chantiers de construction plus sûrs, offrir un meilleur environnement de travail et utiliser des outils modernes afin de réduire la pénibilité du travail sur les chantiers et ainsi rendre le travail plus attractif pour la jeune génération. Il faut des incitations fiscales aux entreprises investissant dans la technologie et l’informatique à cet effet.
Y a-t-il des initiatives gouvernementales ou des politiques récemment mises en place pour favoriser le développement du secteur de la construction ?
Certes, il y a eu de bonnes intentions, comme la réintroduction de la marge de préférence dans les appels d’offres publics pour les entrepreneurs locaux. Il y a aussi eu des initiatives pour encourager les partenariats entre le secteur public et le privé pour le financement et la réalisation de projets (par exemple les Urban Terminals pour le métro). Nous avons aussi bénéficié d’une certaine simplification des procédures administratives, que ce soit pour l’obtention de permis de construction ou pour les ‘work permits’ des travailleurs étrangers. Mais beaucoup reste encore à faire. Les attentes des stakeholders sont grandes par rapport à la Construction Industry Authority (CIA), dont la constitution et la mise en opération se fait attendre. Cette entité devrait faire beaucoup plus que le CIDB actuellement et nous attendons tous à ce qu’elle mette en place des politiques pour favoriser le développement du secteur notamment en termes de ‘capacity building’ pour l’avenir, de la formation et développement des compétences, d’une normalisation et réglementation efficace et la promotion de l’innovation et de la durabilité dans le secteur, entre autres.
Le CPB est souvent contraint de demander une longue liste de précisions aux organismes publics à cause de lacunes dans les documents des appels d’offres»
Dans un récent rapport, le Central Procurement Board (CPB) critique sévèrement la légèreté ainsi que le manque d’expertise dans la préparation des documents relatifs aux appels d’offres publics. Vos commentaires ?
Le CPB est souvent contraint de demander une longue liste de précisions aux organismes publics à cause de lacunes dans les documents des appels d’offres. Les dossiers de certains types de projets, tels que le Design & Build par les entrepreneurs, sont souvent mal préparés et trop peu de temps est accordé aux soumissionnaires qui doivent étudier et prendre la majorité des risques dans ce genre de projet. La conséquence est que cela entraîne des retards inutiles tant au niveau de l’appel d’offres qu’au niveau de la réalisation du projet. Il y a souvent un déséquilibre dans les conditions des contrats. La gestion des risques, tels que les fluctuations des prix, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement, les changements réglementaires et les retards de paiement ou la résolution des litiges, est une activité-clé qui doit être placée en tête des priorités. Nous pensons que des ingénieurs professionnels et des Quantity Surveyors doivent vérifier les estimations et les budgets des projets afin d’éviter la sous-estimation des coûts et une évaluation insuffisante des risques du projet, pouvant entraîner l’annulation ou le report des appels d’offres, ce qui représente un gaspillage de ressources tant pour l’organisme public que pour les soumissionnaires. La BACECA préconise enfin une approche holistique pour la conception et les exigences dans les projets publics en tenant compte du coût global sur la durée de vie de l’actif public en construction et à entretenir dans le futur, y compris l’empreinte carbone.
Quel rôle joue l’innovation technologique dans l’industrie de la construction à Maurice, en particulier en ce qui concerne les méthodes de construction et les matériaux utilisés ?
Nous avons certes fait du progrès au niveau de la technologie et des matériaux innovants dans l’industrie tels que la préfabrication ou l’utilisation des drones pour les relevés et modélisations ou encore des enrobés recyclés pour l’asphaltage des routes. Mais nous pouvons faire beaucoup plus pour moderniser l’industrie, en s’appuyant sur les tendances internationales et les meilleures pratiques : Utilisation de la modélisation des informations du bâtiment (BIM) pour aider à réduire les erreurs et améliorer la communication ; la construction modulaire impliquant des composants de construction hors site, puis les assemblant sur site, réduisant le besoin de main-d’œuvre qualifiée sur place ; la robotique et l’automatisation pour des tâches répétitives et l’utilisation des outils digitaux pour la planification, la logistique, la gestion des coûts entre autres. Tout cela nécessite, par contre, des investissements lourds pour les entreprises. Le gouvernement devrait considérer des incitations fiscales et des subventions aux entreprises de construction qui investissent dans la technologie et l’informatique.
Quelles sont vos perspectives sur le secteur d’ici la fin de cette année ?
L’activité dans l’industrie devrait rester élevée cette année et probablement l’année prochaine, principalement en raison des projets privés et des projets du New Social Living Development Ltd (NSLD). Les prochaines élections, associées à un niveau élevé d’activité, créeront cependant une tendance inflationniste. L’investissement du secteur public se concentre principalement sur les projets de logements sociaux, le métro, la décongestion routière et les projets de drains. À la BACECA, nous espérons que le budget national de cette année continuera à promouvoir l’investissement dans les infrastructures publiques et à faciliter le développement immobilier tout en soutenant la construction durable et l’industrie locale de la construction. Un taux de croissance au-delà de 18 % (plus par rapport à 2022 mais moins qu’en 2023), est espéré pour cette année.
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