Interview

Rashid Imrith, syndicaliste: «Il faut créer une Parastatal Service Commission»

L’abandon du projet Heritage City suscite la réflexion sur les responsabilités et attributions des différents ministères à Maurice. Rashid Imrith, président de la Fédération des syndicats de la fonction publique, donne son avis.

Comment le Budget 2016-2017 a-t-il été reçu par les fonctionnaires ?
Nous avons noté quelques bonnes initiatives en général. Mais nous avons des réserves sur la proposition de mettre le Registrar General sous la tutelle de la Mauritius Revenue Authority. Le service du premier a connu des changements en profondeur durant ces cinq dernières années. Le temps d’attente pour le public est passé de trois à une semaine. Une enveloppe de Rs 175 millions a été investie dans l’informatisation des dossiers qui remontent à la colonisation française. Ce service a même obtenu le Public Service Excellence Award. Nous souhaitons que ce département, de même que la National Transport Authority et l’Evaluation Office soient sous la même tutelle et dans le même bâtiment pour offrir les services d’une one-stop-shop, tout en gardant leur indépendance. Nous notons également que le gouvernement s’est passé de toute consultation avec les syndicats pour son projet de création d’une Civil Aviation Authority. C’est aussi le cas pour la collecte des revenus par le ministère de la Sécurité sociale concernant le National Pensions Fund, le National Savings Fund, le Human Resource Development Council Levy et le Workfare Training Programme Fund. Nous veillerons de près à la préservation des emplois.

Comment se passe la réforme de la fonction publique ?
C’est un processus continu. Les fonctionnaires reconnaissent son utilité, car le public est devenu plus exigeant, réclamant un service plus rapide, sans oublier que nous passons par la révolution informatique et que nous devons être plus compétitifs dans un univers mondialisé.

Des fusions ont été annoncées dans le Budget. Sont-elles utiles ?
Après l’indépendance, on a assisté à la création de nombreux corps paraétatiques qui répondaient aux urgences de l’heure. Mais ces institutions ne répondent plus aux objectifs fixés initialement. Depuis, on a vu une politisation outrancière de ces corps paraétatiques, tant au niveau de leur gestion quotidienne que dans les prises des décisions. Puis, elles ont souvent les mêmes fonctions. Il y a une véritable urgence à revoir tout cela, afin de garantir leur indépendance, en nommant des personnes indépendantes à leur tête. Mais, cela n’a pas été le cas à ce jour. Il faut créer une Parastatal Service Commission pour aider ces institutions à travailler dans la transparence et à pratiquer la bonne gouvernance.

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“ Le problème d’Heritage City trouve sa source dans le fait qu’on a supprimé le ministère du Plan, qui avait une vision de ces gros projets et examinait leur viabilité.”

Le gouvernement a annoncé le recrutement de centaines de personnes dans la fonction publique. C’était une des revendications majeures des syndicats…
Cette décision va résoudre un peu le manque de personnel dans la fonction publique, car depuis 2007 quelque 7 200 postes étaient vacants sans oublier des départs à la retraite annuelle de 1 500 personnes. Il incombera à la Public Service Commission (PSC) de recruter 8 700 fonctionnaires dans les prochaines années, ce qu’elle ne pourra pas faire en raison de ses structures.

Pourquoi?
Il faudra revoir son mode de recrutement et de promotion, afin qu’il y ait plus de transparence. Nous proposons de mettre sur pied des Sector Service Commissions,une pour l’éducation, une deuxième pour la santé et une ‘General’ , indépendantes de la PSC et qui fonctionnent sur les mêmes bases que la Disciplined Forces Commission et la Judicial and Legal Service Commission.

Ces institutions destinées aux recrutements, si elles voient le jour, seront tenues de publier les diplômes des postulants et leurs résultats. Les interviews devront aussi être enregistrées par des  caméras. Les candidats qui ont été recalés devront obtenir une copie de leurs performances pour les encourager à s’améliorer.

Il faut amender la Public Bodies Appeal Tribunal Act de façon à ce que cet organisme soit accessible à tous les citoyens qui se sentent lésés lors d’un exercice de recrutement ou de promotion. Il faut savoir que les policiers, gardes-chiourmes et pompiers ne peuvent contester un exercice de promotion.

On reproche souvent à Alain Wong, son manque de visibilité…
Il n’est pas le premier. À la création de ce ministère, la Constitution, à l’article 89 (4), avait déjà privé ce ministère de certaines de ses prérogatives en mettant celles-ci sous la responsabilité du Bureau du Premier ministre (PMO). Il faut savoir, par exemple, que le chef de la fonction publique, qui est un fonctionnaire, n’est pas redevable au ministère envers la Fonction publique, mais au Premier ministre.

C’est une anomalie grossière. Toutes les nominations de très hauts fonctionnaires doivent avoir le feu vert du PMO. Le ministre de la Fonction publique n’est que le dernier wagon de la locomotive gouvernementale. Il devrait figurer parmi les vice-Premier ministres. Cela signifie que le Premier ministre veut avoir la main haute sur les grands commis de l’État.

Quel a été l’apport du Civil Service College à la formation des fonctionnaires ?
Cette institution est encore loin d’atteindre sa vitesse de croisière. C’est un vieux dossier, mais Alain Wong a eu le mérite de le dépoussiérer.

L’opposition fait ressortir que le financement de ce Budget, présenté dans un contexte financier difficile, a été rendu possible grâce à des prêts étrangers et que l’abandon d’Heritage City est un dangereux précédent…
Durant ces cinq dernières années, Maurice a obtenu des ‘grants’ et des ‘loans’ pour ses ‘Capital Projects’. Ces prêts étaient versés dans le Consolidated Fund. L’État décidait ensuite de ses projets, puis il en rendait compte aux bailleurs de fonds qui exigeaient que leur argent soit utilisé pour des projets spécifiques.

Le cas d’Heritage city donne une très mauvaise image de notre gestion de ces prêts. Dès le départ, ce projet ne faisait pas l’unanimité au sein du gouvernement. Est-ce que les donateurs indiens et arabes ne s’en sont pas rendu compte ? Ce problème trouve sa source dans le fait qu’on a supprimé le ministère du Plan, qui avait une vision de ces gros projets et examinait leur viabilité.

Il importe maintenant aux bailleurs de fonds de tirer les leçons de l’échec d’Heritage City. Où doivent aller leurs dons ? Nous disons qu’ils doivent être versés dans un fonds géré par des spécialistes représentant tous les ministères et avec pour mission d’examiner et de valider, ou pas, des projets de grande envergure. Il ne faut plus confier de tels projets à un seul ministère, nous en faisons les frais aujourd’hui. L’échec d’Heritage City offre une très mauvaise image de notre gestion des grands projets.

 

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