
L’atterrissage impromptu d’un jet privé transportant des figures politiques malgaches à Maurice révèle des failles majeures dans la gestion aéroportuaire et pourrait entraîner des poursuites légales contre les responsables.
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Dimanche matin à 00 h 44, l’aéroport Sir Seewoosagur Ramgoolam a accueilli un jet privé immatriculé 5R-HMR, propriété du groupe SODIAT, transportant des personnalités malgaches sensibles dont Christian Ntsay, ex-Premier ministre destitué récemment, et Mamy Ravatomanga, homme d’affaires proche du président Andry Rajoelina. L’incident, survenu au cœur d’une crise politique à Madagascar, a été qualifié de « très grave et à peine croyable » par le Premier ministre par intérim, Paul Bérenger, lors d’une conférence de presse à la Government House, à Port-Louis, ce mercredi 15 octobre.
Selon lui, des sanctions sont envisageables, potentiellement judiciaires, pour non-respect des lois avant le décollage. « S’il faut sanctionner, on sanctionnera. Probablement il y aura des poursuites judiciaires, car la loi n’a pas été respectée », a-t-il insisté, plaidant pour une enquête complète et rigoureuse.
L’enquête interne, dirigée par le secrétaire du Cabinet, Suresh Seeballuck, a reconstitué la chronologie : l’autorisation d’atterrissage avait d’abord été demandée pour une évacuation médicale, avant d’être modifiée pour des motifs touristiques. La demande finale, soumise à 23 h 12, a été approuvée à 00 h 13, alors que l’aviation civile avait expressément interdit le décollage d’Antananarivo avant obtention du feu vert.
’appareil a néanmoins pris l’air et atterri à Maurice, invoquant un épuisement de carburant comme justification. « La vie de gens était en jeu, et l’aviation civile n’a pas pu les laisser tourner dans les airs », explique Paul Bérenger.
Le jet demeure immobilisé à ce jour. Tous les bagages ont été scannés et aucun incident majeur n’a été relevé, à l’exception d’une valise réclamée par Mamy Ravatomanga, examinée le lendemain sans anomalie. « Pour ma part, ce n’est que dimanche matin que j’ai été informé de l’arrivée de ce jet privé et du fait que les passagers étaient déjà partis de l’aéroport », indique-t-il. L’affaire sera discutée en profondeur avec le Premier ministre Navin Ramgoolam, de retour lundi, pour décider des mesures à prendre face aux dysfonctionnements révélés.
Irrégularités majeures
La législation mauricienne impose une demande d’atterrissage au moins sept jours avant pour tout vol charter. Pour les jets privés, ce délai est réduit à deux jours pour les passagers exemptés de visa et à trois jours pour les autres. Or, les formalités pour le 5R-HMR ont été bouclées en quelques heures seulement, en pleine nuit, malgré le profil politique des voyageurs. Paul Bérenger souligne l’ampleur de cette dérogation.
Au cœur de la polémique, Jet Prime Ltd, filiale gérant exclusivement les jets privés à Maurice, est accusée de fonctionnement opaque. Cette société appartient à 100 % à Airports Holding Ltd (AHL), propriétaire de l’aéroport et d’Air Mauritius. « La façon de fonctionner de Jet Prime Ltd doit être revue complètement », a affirmé le Premier ministre par intérim, évoquant un accueil suspect des passagers malgaches par un membre du board de la société.
Aucune implication de politiciens mauriciens, actuels ou passés, n’est à signaler. Les premières démarches auraient été initiées lors d’un dîner de gala, dont les détails restent confidentiels. Le rapport d’enquête n’a pas encore été rendu public. Paul Bérenger a indiqué que le Premier ministre décidera de sa publication.
Passagers sous surveillance
Les passagers ont été localisés : Christian Ntsay a séjourné dans un hôtel de la côte ouest sous surveillance discrète, tandis que Mamy Ravatomanga demeure à Belle-Vue chez un résident malgache déjà installé à Maurice. L’ex-Premier ministre malgache, sans investissement connu sur l’île, a pu quitter le pays via un vol commercial faute de preuves contre lui. Mamy Ravatomanga, quant à lui, a demandé à quitter l’île, sa requête étant examinée par la Financial Crimes Commission (FCC) et d’autres instances. Les enquêtes françaises passées contre lui ont été closes.
Paul Bérenger a salué le travail des services de l’immigration, de la police et de l’aviation civile. Il regrette cependant de ne pas avoir été informé plus tôt. « Il n’est pas normal que je n’aie pas été informé », a-t-il reconnu.
Au-delà de l’affaire du jet privé, la situation politique à Madagascar reste instable. Le président Andry Rajoelina a quitté le pays mais refuse de démissionner, tandis que le Parlement a été dissous et la Haute Cour constitutionnelle destituée par le nouveau pouvoir militaire. Paul Bérenger décrit un contexte « très délicat », suivi heure par heure par les autorités mauriciennes.
Malgré ce chaos, un apaisement relatif s’est installé. Air Mauritius a annulé un vol commercial jugé inutile, une décision critiquée par Bérenger, qui plaide pour une meilleure coordination. Maurice, soucieux de non-ingérence, entend soutenir Madagascar via la SADC et l’Union africaine. « Nous souhaitons tout le bonheur possible à nos sœurs et frères malgaches et ferons tout ce qu’on peut pour aider le peuple malgache », conclut-il.
Pas de remplacement du commissaire de police
Ecartant les rumeurs, Paul Bérenger a nié toute intention de remplacer le commissaire de police, qu’il a rencontré lundi. « Il n’y a aucune décision pour remplacer le commissaire de police. Il fait son travail comme tout le monde fait son travail. »
« Trop tard » pour éviter les coupures d’électricité
Face à la crise énergétique qui frappe le pays, les mesures nécessaires arrivent « trop tard » pour prévenir des coupures d’électricité, affirme Paul Bérenger.
L’installation d’infrastructures, qu’elles soient renouvelables ou non, requiert deux à trois ans, explique-t-il, insistant sur la nécessité d’une « base load » – une production électrique continue 24 heures sur 24 générée via des matières plus traditionnelles – pour stabiliser le réseau.
Le gaz naturel liquéfié (LNG) représente, selon lui, « le salut de Maurice », mais son déploiement à Port-Louis exigerait des milliards de roupies. Des « discussions intenses sont en cours avec le Qatar », premier exportateur mondial de LNG, bien que leur concrétisation prenne des années.
Il a critiqué l’inaction de l’ancien gouvernement sur dix ans, ce qui force aujourd’hui une mobilisation collective. Les hôtels activent leurs installations à leurs frais, salue Paul Bérenger qui souligne aussi les efforts des Mauriciens.
Paul Bérenger s’oppose fermement au nucléaire, qualifiant de « cochonneries radioactives » ses déchets, enfouis mondialement, et jugeant irréaliste une centrale pour un petit pays comme Maurice. Des solutions concrètes sont prioritaires. Le CEB nommera enfin un General Manager, se réjouit-il. Quant à l’option des barges électriques, elle est abandonnée.
Deux à trois années difficiles s’annoncent, prévoit-il. Des centres commerciaux peinent à démarrer, le CEB refusant de garantir l’alimentation ; des projets sont gelés. L’accent portera sur le renouvelable au maximum réaliste, sans « raconter des histoires », a conclu Paul Bérenger, appelant à une solidarité nationale face à cette épreuve.

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