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Ranjeeta Bunwaree: l’esclavage à Maurice raconté aux Indiens

Son ouvrage correspond à un besoin d’exprimer certaines choses, pas toujours aisées à dire.
Née à Assam, en Inde, mariée à un banquier mauricien aujourd’hui décédé, Ranjeeta Bunwaree a attendu plus de 20 ans avant de dire sa vérité sur l’esclavage et la situation sociale des Créoles dans notre pays. Invitée à une foire internationale des écrivains en Inde, elle y a répondu aux questions de l’audience sur l’esclavage à Maurice. « Ils voulaient tout savoir. Comment les Africains sont arrivés à Maurice, comment ils ont vécu, qui étaient leurs maîtres et ce qu’ils sont devenus aujourd’hui », explique la sexagénaire. C’est son livre « Journey into the past » qui a valu cette invitation à Jaipur, en Inde, à cette habitante de Quatre-Bornes. Mais cet ouvrage, dit-elle, correspondait à un besoin d’exprimer certaines choses, pas toujours aisées à dire « dans une société cloisonnée ». « Durant les fêtes et autres réceptions, on voit toutes les communautés se côtoyer, mais personne n’invite l’autre chez soi », déplore Ranjeeta Bunwaree. Est-ce que cet ouvrage, lancé en 2014, est une sorte de ‘coming-out’ social, né des observations d’une ex-étudiante qui a lu Marx et Lénine à l’université à Delhi, où elle a croisé son futur mari ? « À Maurice, j’ai travaillé durant de nombreuses années à la State Bank, puis j’ai monté mon business de foires. C’est là que je me suis rapprochée des personnes de la communauté créole. Si j’avais terminé ma carrière professionnelle à la State Bank, je serais restée dans le moule. » Et pourtant, les Créoles, elles les connaissaient déjà, à l’époque où elle était affectée au département des Loans à la State Bank. Elle se souvient des dockers qui y avaient leurs comptes.

Boîte à outils

La société mauricienne a toujours été au centre des observations de cette ennemie acharnée de toutes les exclusions, fussent-elles « castéistes », sectaires ou religieuses. Son adhésion aux organisations féminines lui a servi de boîte à outils pour comprendre la complexité de Maurice. « Au sein de ces associations, on rencontre des femmes de toutes les communautés, c’est un véritable microcosme de l’île Maurice. On peut se servir de l’outil marxiste pour analyser les classes sociales et les conflits qui les sous-tendent, mais ici, il s’agit d’une société pluriculturelle, issue de la colonisation, d’une économie fondée sur l’esclavagisme et l’engagisme, qui nécessite donc une autre approche. » Lorsqu’elle décide de se mettre à l’écriture d’un roman dont la trame sera l’esclavage, elle a déjà en tête un récit avec des personnages fictifs mais agissant dans un contexte historique réel. « Je pensais à un livre didactique, destiné aux jeunes, mais plaisant à lire. Il fallait trouver le juste milieu pour que les données historiques soient au service du récit », explique-t-elle.

Rétablir la vérité

Sa mémoire bat le rappel de ses années à la banque. « Je ne me contente pas des explications superficielles, des mêmes clichés éculés. Pour la documentation qui m’a servi pour mon livre, j’ai eu la chance inouïe de tomber sur la dernière copie d’un ouvrage d’un certain Karl Noël, qui traite de l’histoire de Maurice. J’ai aussi utilisé des ouvrages du Dr Vijaya Teelock. Ce sont leurs données historiques qui m’ont permis de cimenter mon récit. » Est-ce que les descendants d’esclaves subissent de nos jours une forme de discrimination à cause de leurs origines ? Ranjeeta Bunwaree n’adhère pas à ce point de vue. « Non, pas à cause de cela, mais plutôt parce qu’ils ont été laissés à eux-mêmes après l’abolition de l’esclavage. Malgré une politique destinée à favoriser leur totale intégration, ils ont encore du chemin à faire. On voit bien que ce sont eux les plus nombreux parmi les pauvres. Puis, je pense que l’école a une grande responsabilité, en enseignant l’histoire de Maurice et la culture de toutes les composantes de la population, afin de rétablir la vérité et consolider l’harmonie entre les communautés. »
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