Ram Seegobin, dirigeant de Lalit : «L’opportunisme de la famille Duval ressort»

Le dirigeant du parti de gauche Lalit estime que toutes les récentes tractations autour de la nomination du Speaker ne résultent que d’un projet politique visant à servir les intérêts de Pravind Jugnauth et Xavier-Luc Duval.

Êtes-vous de ceux qui pensent que la nomination d’Adrien Duval au poste de Speaker est une étape vers une alliance entre le PMSD et le MSM ?
Lorsque le bloc de l’opposition PTr-MMM-PMSD a entamé les négociations autour des tickets et des sièges, Adrien Duval a pris l’initiative de brouiller les cartes. Au début de la crise, Adrien Duval, qui, rappelons-le, n’est même pas député, a été mandaté par son père pour négocier avec Navin Ramgoolam. Les négociations ont fini par échouer, car le PMSD s’est persuadé qu’une alliance avec le PTr et le MMM ne servirait pas son projet politique.

Si le PMSD se retrouve aujourd’hui en position de faire du marchandage, c’est en partie la faute du PTr et du MMM, qui ont offert le poste de leader de l’opposition à Xavier-Luc Duval, alors qu’il ne disposait que de quatre députés à l’époque. Lorsque l’alliance s’est rompue, il était évident que, malgré ses démentis, Xavier-Luc Duval finirait tôt ou tard dans le camp du MSM.

La nomination d’Adrien Duval au poste de Speaker, qui donne l’impression que l’ancien titulaire, Sooroojdev Phokeer, a été mis hors d’état de nuire par le PMSD, sert également à redorer le blason du MSM. 

Si plusieurs observateurs politiques dénoncent les conditions de départ de Sooroojdev Phokeer, ils déplorent aussi le comportement de l’opposition lors de la prestation de serment d’Adrien Duval, le jeudi 18 juillet, estimant qu’elle a perdu des points vis-à-vis de l’électorat…
Il est difficile pour l’opposition de perdre des points face au gouvernement MSM. Au niveau de Lalit, nous sommes fermement en désaccord avec la politique du MSM, notamment en ce qui concerne la gestion des terres et la bourgeoisie d’État, qui est couramment encouragée par le MSM. Ce gouvernement a été une catastrophe, car il n’a pris aucune initiative pour développer la production agricole et maritime.

Nous sommes également critiques envers l’opposition, car au lieu d’élaborer une alternative solide, elle s’est concentrée sur un discours constant sur l’illégitimité du gouvernement. Elle aurait dû proposer des alternatives concrètes. 

Le théâtre de la semaine dernière n’a été bénéfique ni à l’opposition ni au gouvernement. L’opposition a soulevé un tollé sur un point légal dont elle n’était pas sûre. Cela n’a pas non plus fait du bien au gouvernement, car le MSM utilise le Parlement pour ses magouilles politiques, ce que la population n’apprécie guère.

Qu’avez-vous pensé des débuts d’Adrien Duval, mardi dernier au Parlement, où il a renversé deux décisions de son prédécesseur ?
Il semble y avoir une mauvaise compréhension du rôle de Speaker à Maurice. La plupart des gens pensent que le Speaker doit agir comme un arbitre impartial. Au niveau de Lalit, nous pensons que le Parlement, en tant qu’institution, inclut à la fois le gouvernement et l’opposition. Le Parlement est suprême dans la structure démocratique. Le gouvernement et l’opposition sont tous deux des émanations du Parlement.

Le rôle du Speaker n’est pas d’agir comme un arbitre dans un match de foot, mais de maintenir la suprématie du Parlement. Ce que Sooroojdev Phokeer a fait en protégeant l’exécutif est une aberration. L’opposition, de son côté, a toujours affirmé que le rôle du Speaker est de la protéger, ce qui est également une aberration. Lorsqu’on avance un argument selon lequel le rôle du Speaker consiste à protéger un camp, on fausse d’ores et déjà le débat.

Lors des débats sur le Brexit au Parlement britannique, on a pu voir comment un Speaker est censé fonctionner. Le Speaker a empêché les magouilles du gouvernement. Vaghjee est toujours pris en exemple dans l’histoire de notre Assemblée nationale parce qu’il avait compris ce concept. Il était un bon Speaker, car il comprenait les principes de la démocratie parlementaire.

Je ne crois pas qu’une réflexion sur la démocratie parlementaire émergera avec le PMSD et Adrien Duval comme Speaker, car le PMSD n’est rien d’autre qu’un business familial.

Ce tollé n’aurait-il pas pu être évité si le gouvernement avait nommé Zahid Nazurally au poste de Speaker ?
Cela ne correspond pas au projet politique du MSM et du PMSD. Le Muvman Liberater (ML) semble condamné à la disparition. Le ML n’a que des députés poids plume. Nommer Zahid Nazurally aurait été la voie la plus simple, mais ce n’est pas utile politiquement pour Pravind Jugnauth.

Si Adrien Duval parvient à démontrer qu’il est un bon Speaker, cela ne rendra-t-il pas la collaboration MSM/PMSD plus facile à accepter dans l’opinion publique ?
D’après moi, il ne restera pas assez de temps pour permettre à Adrien Duval de se mettre en lumière. Une élection partielle arrive, et les vacances parlementaires sont imminentes, ce qui relègue le Speaker au second plan. Deux semaines avant la tenue de la partielle du 9 octobre au n°10, le Parlement sera dissous, car il est clair qu’il n’y aura pas de partielle. Cela signifie que la nomination de Duval est purement symbolique et politique. 

À quel point le PMSD et le MSM seront-ils prêts à faire des concessions en vue de sceller une alliance, sachant leurs positions complètement opposées depuis 2019 ?
L’unique approche électorale semble consister à distribuer des allocations sociales à des groupes économiques spécifiques. Je ne pense pas que le MSM sera prêt à se fatiguer sur les grands enjeux démocratiques lors des discussions. L’essentiel pour le MSM semble être d’aligner les intérêts politiques immédiats plutôt que de s’engager sur des réformes profondes. 

Si le PMSD est autant courtisé par le MSM, c’est pour permettre à l’alliance gouvernementale de percer dans les régions urbaines. Comment observez-vous le poids du PMSD dans les bastions urbains ?
Le poids du PMSD dans les bastions urbains est relativement limité par rapport à l’impact combiné du PTr et du MMM. Même dans les régions urbaines, le PMSD peine à rivaliser avec l’influence que peut exercer le PTr-MMM ensemble. Les zones traditionnellement rurales, comme les circonscriptions nos 4 à 14, ont beaucoup évolué et se sont urbanisées au cours des dernières années. 

Il est également important de noter que le PTr a une présence significative dans certaines régions comme Quatre-Bornes et Port-Louis, et a montré une certaine solidité même dans les zones rurales lors des dernières élections. Par conséquent, l’apport du PMSD ne sera probablement pas suffisamment décisif pour modifier de manière importante la dynamique électorale en faveur du MSM.

La force électorale du PMSD en 2024 sera-t-elle différente de celle de 2014, lorsqu’ils ont réussi à renverser le PTr et le MMM ?
Tout est aujourd’hui très différent de 2014. Ce qui ressort principalement, c’est l’opportunisme de la famille Duval, qui illustre bien l’opportunisme traditionnel du PMSD. En 2024, le contexte politique a évolué, et les dynamiques électorales ont changé. La capacité du PMSD à renverser le PTr et le MMM comme en 2014 semble peu probable.

Comment observez-vous les rencontres entre vos anciens camarades de Rezistans ek Alternativ (ReA) et le bloc PTr-MMM-ND en vue de concrétiser une alliance ?
Il est intéressant de noter la trajectoire de ReA, dont beaucoup de membres étaient autrefois affiliés à Lalit. Lorsqu’ils ont participé aux mobilisations de 2020 et 2021, ils se sont alignés sur des mouvements populistes. L’identité de ReA était fortement marquée par sa lutte contre le Best Loser System (BLS). Maintenant, son intégration dans le bloc PTr-MMM-ND soulève des questions. 

Il sera fascinant de voir comment ils se positionneront lorsqu’ils devront se présenter en tant que candidats, étant donné que les dirigeants de cette alliance misent sur le BLS pour obtenir plus de sièges au Parlement. Leur position sur le BLS à ce moment-là sera cruciale et mérite une attention particulière.