Interview

Rajiv Servansingh, directeur de MindAfrica Ltd: «Nos ambassades n’ont pas de spécialistes économiques»

Le nouveau ministre des Affaires étrangères, Vishnu Lutchmeenaraidoo, a relancé le concept de diplomatie économique. Pour y parvenir, le gouvernement doit mobiliser les moyens nécessaires, un personnel formé ainsi qu’une stratégie cohérente, estime Rajiv Servansingh, directeur de la société MindAfrica Ltd. Est-ce que le ministre veut-il reprendre à son compte le concept de diplomatie économique ? Bon, il faut déjà savoir que l’île Maurice pratique la diplomatie économique depuis son indépendance. Evidemment dans les années 70, la situation économique était moins compliquée qu’aujourd’hui, parce que le libéralisme, la mondialisation et la crise des ‘subprimes’ sont passés par là.
A l’époque, la diplomatie économique se résumait à la gestion de divers arrangements et protocoles dans  lesquels nous étions engagés vis-à-vis de nos partenaires économiques, à l’exemple de la Convention de Lomé, le Protocole sucre, assurant non seulement un marché garanti pour notre production  sucrière, à un prix extrêmement favorable mais assurant aussi l’accès à nos produits manufacturés de la zone franche à des marchés étranger sans frais de douane et sans quotas. Nous étions aussi membre de ce qui était alors l’Organisation de l’unité africaine, mais malheureusement, avec une économie orientée essentiellement vers l’Europe, nous n’avons pas développé nos rapports économiques avec l’Afrique, sauf avec l’Afrique du Sud, d’où nous importons  beaucoup de produits, surtout alimentaires, pour des raisons évidentes de distance et de coûts.
[blockquote]« La mondialisation exige que la diplomatie économique soit extrêmement dynamique pour pouvoir s’adapter aux réalités changeantes de l’économie mondiale. » [/blockquote]
Quelle était la particularité de l’idée de diplomatie économique? C’était l’idée que nos ambassades dans divers pays contribuent au développement économique du pays. Pour cela, le gouvernement proposait déjà de renforcer le cadre administratif de nos ambassades avec pour mission de développer des rapports économiques. Pour que les ambassades puissent jouer ce rôle de manière efficace, une cohésion et une harmonisation de la politique étrangère et des ambitions économiques étaient nécessaires. On se souviendra, par exemple, de la visite de sir Anerood Jugnauth à Taiwan pour assurer l’approvisionnement en riz du pays, à une époque quand Maurice faisait face à de grandes difficultés. C’était un de ces cas typiques quand la nécessité semblait prendre le pas sur les principes et sur les liens historiques Depuis, la configuration économique mondiale a profondément changé… Oui, Le monde a changé depuis ces 20 dernières années. Aujourd’hui, il est évident que l’économie semble primer sur la politique. Ce n’est pas un hasard si c’est encore une fois un ex-ministre des Finances qui chaperonne ce concept. Quels serait la responsabilité de ce personnel formé à l’économie et à l’étude des marchés ? Le rôle que l’on attend du personnel spécialisé qui devrait se retrouver dans nos ambassades pour accomplir cette mission, c’est d’être à la pointe de nos stratégies économiques, que ce soit du point de vue de la promotion commerciale, de l’investissement et éventuellement celle du tourisme et des services en général. A-t-on ce personnel là au sein de nos ambassades ? En fait, on ne l’a pas. A ce jour, nos ambassades sont réduites à un rôle strictement politique et représentatif des intérêts nationaux par rapport aux pays où elles sont présentes. Nos ambassades n’ont pas de cadres spécialisés dans le domaine de la promotion économique. Quelles sont les conditions qui sont de nature à favoriser le projet de diplomatie économique ? Une des conditions essentielles à la réussite de cette mission est que les personnes affectées dans les ambassades puissent jouir d’une marge de manœuvres qui n’est pas limitée par des contraintes bureaucratiques qui régissent le personnel traditionnel des ambassades. Faudra-t-il former un personnel dédié spécifiquement à cette mission ? Autant que je sache, il y a des jeunes déjà formés au ministère des Affaires étrangères et lesquels, avec des  paramètres bien définis, pourraient rapidement commencer à jouer ce rôle dans nos ambassades. Mais encore faut-il que les objectifs soient clairement définis et qu’on leur donne les moyens de les atteindre. Evidemment la qualité des hommes et des femmes qui seraient affectés à ces nouveaux postes sera déterminante dans le succès de cette entreprise. Faudra-t-il aussi revoir le rôle des ambassadeurs ? Son rôle ne devrait pas changer, car dans le cadre existant, il est censé représenter dans les grandes lignes les intérêts économiques du pays. Le fait est qu’il n’est pas nécessairement un spécialiste en matière économique et commercial. Il a donc besoin d’un encadrement pour accomplir cette tâche. Ce sont, dans leur quasi-totalité, des nominés politiques qui dirigent nos ambassades. Ne faudrait-il pas, ici aussi, revoir leurs réelles compétences ? Nous nous attendons à ce que nos ambassades puissent représenter notre pays dignement, d’où le fait qu’ils doivent être des personnes compétentes, qui ont une appréciation géopolitique des relations entre notre pays et ceux dans lesquels ils sont postés. Est-ce que la réussite d’une telle politique se mesure-t-elle sur le long terme ? Non, les résultats seront immédiats si l’on nomme des personnes compétentes, leur donnons les moyens et si on structure les démarches. Vishnu Lutchmeenaraidoo le sait très bien, il sait ce qu’il faut faire. Il suffit d’avoir la volonté politique. Mais, on sait aussi qu’à chaque alternance politique, on tend à balayer d’un trait les bonnes idées du gouvernement sortant... On parle là de la constitution d’institutions qui survivent aux changements de ministres... L’intérêt de l’Etat, économique et commercial, sont des facteurs qui, bien évidemment, changent avec le temps et sur le long terme,  mais ne change certainement pas avec le ministre. Nous sommes déjà en retard du fait que le monde ne nous attend pas. La mondialisation exige que la diplomatie économique soit extrêmement dynamique pour pouvoir s’adapter aux réalités changeantes de l’économie mondiale. C’est la raison pour laquelle nous considérons que l’on doit mettre en œuvre ce chantier très vite. Faudra-t-il déterminer quels sont les ambassades qui méritent d’être consolidés avec ce personnel spécialisé en matière économique et commerciale ? Comme dans toute décision économique, il y a toujours des choix à faire, afin que les ressources soient utilisées de manière efficace. Pour cela, il faudra établir nos priorités et surtout examiner comment chaque sou dépensé rapportera un maximum de revenus au pays. Quels ont les pays qui, selon vous, méritent ce personnel spécialisé ? Evidemment, ce sont nos partenaires économiques étrangers, mais, il est grand temps de se tourner vers les pays scandinaves qui sont généralement les plus prospères en Europe, avec lesquels Maurice entretient très peu de relations économiques. Puis, évidemment l’Afrique. Tout en sachant que nous ne pourrons pas être présent dans tous les pays africains, il faut mettre en place un réseau d’ambassades qui puissent couvrir tout le continent, même si personnellement, je considère qu’on devrait dans un premier temps privilégier les pays subsahariens de l’Afrique de l’est et du sud, avec lesquels nous avons plus d’affinités de langage et de culture et en raison de la proximité géographique.
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