Les pauvres et fauchés se rabattent sur les marques de boissons alcooliques les moins chères, mais qui donnent tout autant de ‘nissa’ qu’un whisky de qualité. Il en est de même pour la drogue. Les jeunes se tournent vers les synthétiques, la dose étant à portée de leurs poches. Rs 200 la ‘pocket’.
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Cet avis est partagé par l’anthropologue et Associate Professor Pavi Ramhota. « On ne devrait pas s’étonner que de plus en plus la dépendance à la drogue se rajeunisse et se féminise. Il n’y a qu’à voir des jeunes adolescents qui sombrent dans la toxicomanie et il y a des endroits où les drogues se consomment en toute liberté et sécurité, comme dans les guest houses. »
Normalement, ajoute l’anthropologue, il est obligatoire de présenter une pièce d’identité pour avoir accès aux guest houses et autres pensionnats. « Ce n’est plus le cas, il vous suffit de remplir dans un carnet un nom quelconque et un numéro tout aussi faux d’une carte d’identité sans devoir la montrer. Le gérant se passe de ces accessoires officiels, le tout est que le jeune mineur accompagné de sa copine également mineure et le tour est joué. »
Le sociologue tire la sonnette d’alarme. « Les jeunes étudiants reçoivent de l’argent de poche qui est assez important pour qu’ils se procurent de la drogue et une dose de la drogue synthétique coûte environ Rs 200, et les deux amis peuvent se l’offrir en partageant les frais de la chambre du pensionnat et de la dose. » Pavi Ramhota est d’avis que tout est dans la culture des jeunes. « Il faut la base à trois niveaux de la vie : primaire, secondaire et tertiaire, sinon il faut faire une croix sur tout ce qui touche aux mœurs. »
Toutefois, Kunal Naïk, l’acting Coordinator de l’ONG Cut, ne veut pas se prononcer, du fait qu’il n’y a aucune donnée formelle. « à Maurice, il n’y a aucune étude scientifique qui atteste qu’il y a un rajeunissement et une féminisation de la prise de drogue, qu’elle soit dure ou synthétique. En outre, il n’existe aucune structure pour la rééducation des jeunes toxicos. »
Et de souligner qu’il faut avant tout un constat des lieux, connaître les différentes tranches d’âge, la situation géographique et ensuite mettre en place une stratégie de coordination et d’encadrement. « Je ne peux me fier aux échos et de ce qu’on entend sur le terrain uniquement, puisque avec des données scientifiques, on pourra s’attaquer au problème en amont. »
Qu’est-ce qui poussent ces adolescents à prendre de la drogue synthétique, la pauvreté, le manque d’éducation, l’oisiveté ou alors c’est un tout ? à cette question, l’anthropologue répond : « Il se passe un phénomène dans le pays. Dimoun riss pran leroynn, lapoud. Bann pov pran bagass. Le but final étant d’être en transe permanente, on achète alors la dose à deux cents balles. Nissa-la parey. » Il avance également que, comme les sirops contre la toux et autres liquides qui font planer — si pris à haute dose — sont sous contrôle strict, « les jeunes se rabattent sur la drogue synthétique ».
Certains jeunes, souligne Pavi Ramhota, la fabriquent eux-mêmes. « Je connais des mamans qui sont venus me voir en larmes pour parler à leurs fils. Savez-vous quoi ? J’ai appris qu’ils fabriquent cette drogue dans l’arrière-cour ou dans des garages, en ajoutant toutes sortes d’ingrédients néfastes et dangereux pour la santé et même la vie. Tout y passe : craies de cancrelats, spray et granulés pour la dératisation, entre autres. Imaginez ce que cela donne quand ce mélange toxique pénètre le sang, c’est mortel. »
Pavi Ramhota dénonce ceux qui propagent cette drogue. « Il y a une clique, une mafia qui approche des ados, leur donnent en cadeau en essai de petites doses et ces jeunes deviennent vite accros et la tentation les gagne, et ce sera fini pour eux, pour leur famille, pour la société. De petites doses, elles deviendront plus importantes et fréquentes car leur cerveau en redemandera davantage et deviendront asociaux contre leur gré au grand dam de leurs proches. »
La méthadone en seconde main
Toutes les astuces sont bonnes pour assouvir son manque. Les accros à la drogue, surtout synthétique, n’hésitent pas à recourir à d’autres formes d’opiacés pour satisfaire ce fort besoin d’être dans les nuages en permanent. C’est ainsi que depuis quelque temps, malgré le fait que ceux qui soient sous le traitement de la méthadone, (une thérapie et substitut à la drogue dure), ils se doivent d’avaler leur dose en liquide devant le ‘dispenser’. Mais plusieurs n’arrivent qu’à le faire à demi.
On s’explique : auparavant, quand la méthadone était distribuée aux toxicos, choisissant de tenter de sortir de cet enfer, ils la buvaient devant le ‘dispenser’ car certains la prenaient et partaient avec pour aller vendre la dose quotidienne obtenue gratuitement à d’autres accros. Or, depuis peu, selon des travailleurs sociaux, des toxicos font semblant de l’avaler, ayant placé au préalable une éponge au fond de leur gorge. Ainsi, la méthadone est imbibée dans l’éponge et il ne reste au toxico qu’à le sortir avant de le presser pour en faire couler la méthadone dans un petit flacon. Cette petite fiole et son contenu sont vendus entre Rs 200 et Rs 300. Une dose avalée et crachée comme une bave. D’où le surnom de Méthabave.
Ally Lazer : « Goûter une fois, accro toujours »
Son constat est sans équivoque et sans discussions. L’homme de terrain qu’est Ally Lazer dit sa frustration que ses nombreux appels tombent souvent dans l’oreille d’un sourd. Surtout des jeunes. Pour lui, une fois qu’ils goûtent à la drogue synthétique, ils deviennent prisonniers à jamais.
Le nombre de toxicos à Maurice avoisine les 25 000, dont un tiers sont des mineurs âgés entre 13 et 14 ans, filles et garçons confondus, qui consomment de la drogue synthétique, selon le travailleur social. Il avance que, comme cette drogue est bon marché, soit Rs 200 la pochette (pocket), voire beaucoup moins chère, « des toxicos qui sont accros à l’héroïne se tournent vers la drogue synthétique, ce qui fait que la demande pour ce poison prend de l’ampleur, malgré les nombreuses saisies ces derniers temps ».
Le travailleur social explique que le phénomène de la drogue synthétique gagne du terrain. « Ces trois dernières années, la drogue synthétique touche de plus en plus d’adolescents, voire des enfants de 10 et 12 ans. Rien que trois mois, la région de Pointe-aux-Piments a connu sept suicides de jeunes après avoir consommé de cette drogue. Ou encore le cas de cet ado qui était devenu violent envers sa maman, en fourrant son visage dans un réchaud à charbons tout chauds parce qu’elle lui avait refusé de lui donner de l’argent pour prendre sa dose. Cette pauvre mère a failli être défigurée et a fini à l’hôpital à l’unité des grands brûlés. »
Ally Lazer raconte que tous les jours des parents viennent le voir pour raconter la misère qu’ils subissent entre les mains de leurs enfants. « Ki kan fat yen, bizin donn zot kas pou aste zot doz, sinon dife. » Il estime que la tendance va en s’accentuant parmi les jeunes. « C’est comme l’Organisation mondiale de la santé l’a dit, une fois qu’un jeune touche à une drogue, il est condamné à vie en devenant accro. Goûter une fois, c’est addicted for life. ». Le travilleur social nous renvoie au centre hospitalier de Brown-Séquard, où le nombre d’admis de jeunes prisonniers de la drogue, dure ou syhthétique, augmente de jour en jour. « La drogue synthétique vient principalement de pays de l’Asie, elle est sous différentes formes, en poudre, en spray et il existe même des feuilles de gandia synthétique et artificielles. »
Comment expliquer cette attirance de jeunes pousses vers cette drogue ? à cette question, Ally Lazer explique : « Au bureau, l’autre jour, un parent est venu me voir pour que je sermonne son fils de 9 ans, un autre sa fille de 13 ans. Cette drogue synthétique touche non seulement des enfants, mais aussi se féminise. Une enseignante m’a approché pour que je vienne parler à un de ses écoliers de StdVI qui a été surpris aux toilettes consommant de la drogue synthétique ». Et d’ajouter que la drogue synthétique est aisément accessible. « Une ‘pocket’ se vend dans les Rs 200, on en trouve même entre Rs 50 et Rs 100 ; ils la fument dans des ‘bongs’, des feuilles de cigarettes, entre autres, et cela monte directement au cerveau et affecte le comportement du consommateur dans la société et dans sa famille ».
Les noms des drogues synthétiques saisies
Black Mamba, Blueberry, Bong Bastic, Elating 5, Herbal Haze Blue Berry, Sonic Boom Net, King Kong Pot Pourri, Dutchy, Damia, Barium, Wazabee, Wasted, Bla Bla, Jasper Auira, Sniper Aura, Core Aura, Eve Aura, Bonzai Cactus, Nexus Yellow, Afghan.
Less noms ‘coaltar’
Batt dan Latet, Také Lalimière, 114, Elie & Sons, Direk Simitier, Visa pou Lamor.
« I believe I can fly »
C’est l’histoire toute récente de ce jeune homme de 22 ans, fils unique d’une famille bien sous tous les rapports. Il est tombé dans l’enfer de la drogue synthétique. En manque de sa dose quotidienne, il s’en est pris à son papa avec lequel il entretenait des relations plus que cordiales.
Ce jour-là, il était en état de ‘fat yen’. Il exigeait de l’argent et comme son père le lui refusait, il est monté dans sa chambre et s’est enfermé. Comme il refusait de répondre à son papa, celui-ci a forcé la serrure. Surprise : son fils était debout sur le bord de la balustrade de la terrasse prêt à se jeter dans le vide. Son père n’a eu que juste le temps de le saisir au vol.
Mal en a pris à ce papa car son fils lui en a voulu, en le menaçant d’un couteau de cuisine, lui criant : « Tu m’as empêché de voler, je sais que je peux voler comme un oiseau. I believe I can fly. » Finalement, il a pu se calmer, la drogue synthétique ingurgitée plus tôt ne faisant plus son effet. Actuellement, le jeune homme suit un traitement avec un psychologue dans le privé, après une longue cure de désintoxication.
‘I believe I can Fly’ est un tube de R. Kelly, chanson extraite de la bande originale du film Space Jam qui a été numéro un des top charts de plusieurs chaînes télés et radios de quelques grandes capitales du monde.
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