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Rajen Valayden : «Vivement que Ramgoolam fasse le ménage autour de lui»

Malgré les promesses de changement, Rajen Valayden exprime une profonde désillusion vis-à-vis du gouvernement actuel. À ses yeux, les nominations partisanes, l’influence de certains groupes et l’inertie de figures politiques clés paralysent toute réelle réforme. Les attentes populaires, selon lui, restent insatisfaites.

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Vous aviez prédit en décembre 2024 qu’il n’y aurait pas de changement et que ce gouvernement perdrait rapidement en popularité. Quels éléments concrets vous ont amené à cette conclusion dès les premières semaines ?
La vague qui s’est abattue sur le pays en novembre 2024 était constituée des larmes de souffrances de nos concitoyens. Ce n’est pas la stratégie ou les grandes manœuvres des opposants politiques qui ont mené à ce résultat. Quoi qu’en disent les leaders, l’Alliance du Changement n’était qu’une coalition conjoncturelle dépourvue d’idéologie et de vision commune. Personnellement, je m’attendais à un apaisement et non à un changement quelconque.

En janvier 2015, je décriais la mise en place des socles qui allaient favoriser le crime et la mise à mort de la démocratie, et parlais même des « Tontons Macoutes ». Malheureusement, le temps m’a donné raison.

Au lendemain de la victoire de novembre 2024, j’observais le comportement grotesque des personnes situées dans le giron des leaders et surtout leur proximité avec les groupes mafieux. Certains d’entre eux agissent comme des bandits et croient fermement que le pays est un butin de guerre qui légitimement leur appartient. Ces réactions étaient suffisantes pour constater que nous ne sommes pas prêts à sortir de l’auberge.

D’autre part, il a fallu sept ans pour que l’équipe entourant Pravind Jugnauth se disloque, alors que chez les collaborateurs des leaders de l’Alliance du Changement, rien qu’après sept jours d’élections, ils se sont mis à s’entredéchirer. Il n’y a pas lieu d’être un génie pour deviner la suite.

La politique c’est avant tout les ‘Bread & Butter issues’»

Vous parlez souvent de « kalite dimounn ek nivo gouvernance ». S’agit-il de certains ministres en particulier ou d’un problème plus large de compétence et de leadership ?   
Il y a certes des éléments de valeur au sein de cette alliance, mais la grande majorité des élus ne sont pas si différents de la dernière cuvée de Pravind Jugnauth. Ceux qui n’ont pu élaborer un plan de campagne pour l’Alliance du Changement sont appelés à sortir le pays du marasme actuel. 

Nous savons pertinemment quels sont les critères appliqués quant aux nominations du président, de son adjoint ainsi que des ministres. Nous sommes toujours et encore dans le tribalisme. Un phénomène qui a engendré une fonction publique dont la médiocrité est effrayante. 

Vers la fin des années cinquante, George Fuechsel programmeur chez IBM, avait développé le principe de GIGO (garbage in, garbage out). Ce qui veut simplement dire, si on cultive les semences de cacahuètes, il ne faut pas s’attendre à récolter des fraises. Si nous sacrifions la qualité pour satisfaire les délires populaires, cela impactera évidemment la gouvernance. 

Croire au changement dans des circonstances semblables, ce n’est plus de l’utopie mais de l’hallucination. 

Ne faudrait-il pas accorder plus de temps aux dirigeants actuels ?
C’est un refrain que je ne cesse d’entendre depuis que je me suis mis à dénoncer les travers de ce gouvernement. Qu’y a-t-il dans le document « State of the Economy » qu’on ne savait déjà ? Ce ne sont pas les quatre mois qui tiennent. 

Navin Ramgoolam a eu 10 ans pour se préparer, Paul Bérenger et ses innombrables commissions ont eu 20 ans pour définir leur vision, Ashok Subron a hérité d’un siècle de réflexion socialiste. Pourtant, ils peinent à décoller. 

Quatre mois et quasiment toutes les institutions publiques, parapubliques et régulatrices sont dépourvues de direction. Les dossiers s’accumulent, l’impatience s’accentue et cette bouffée d’air frais du 11 novembre 2024 s’est dissipée, effaçant au passage la confiance du peuple. 

La vérité, c’est que le pays est paralysé. 

Si la plateforme Linion Moris/Reform Party/En Avant Moris devait se reconstituer pour les municipales, je suis convaincu qu’il n’y aurait pas de 120-0»

Et quelles sont les causes de cette « paralysie » ?
D’abord, il faut comprendre que malgré les apparences et les dires, ces partis politiques sont dépourvus de démocratie interne. Tout tourne autour du leader et si pour quelque raison, le chef éprouve des difficultés de fonctionnement, tout le système s’enraye. 

Deuxièmement, pendant toutes ces années passées dans l’opposition, ils se sont uniquement focalisés sur la prise du pouvoir au lieu de se cultiver et de se construire. Troisièmement, ils ont pactisé avec toutes sortes de racaille qu’ils n’arrivent plus à contrôler. 

Mais la raison qu’on ne peut ignorer, c’est l’inertie du personnage central de la scène : Navin Ramgoolam. Il souffre d’une méfiance aiguë et a perdu, au cours de la dernière décennie, un bon nombre de ses proches collaborateurs. Il n’a jamais pu remplacer les personnes de la trempe de Christian Rivalland, entre autres. En dépit des bains de foule, Navin Ramgoolam reste un homme esseulé et je dirais même perdu dans l’immensité du chantier qui se dresse devant lui. Face à l’incertitude, il favorise ce qu’il sait faire le mieux : l’immobilisme. 

Les nominations récentes ont suscité un débat. Selon vous, ces choix traduisent-ils un véritable renouvellement du pouvoir ou s’inscrivent-ils dans une continuité des pratiques passées ?
Commençons par le locataire de Réduit qui, en trois mois, a commis plus de gaffes que son prédécesseur en quatre ans. Quant à son adjoint, son parti lui offre un cadeau, mais ce sont les contribuables qui en font les frais. Comment oublier les promesses de rupture de Navin Ramgoolam et les coups de gueule de Shakeel Mohamed de nous débarrasser de ce poste superflu ? 

Que dire de notre Speaker ? Même une chaise vide aurait fait mieux que Sooroojdev Phokeer. L’ombre de Glover et de Sithanen plane sur une grande partie des autres nominations. La preuve en est, le changement n’est pas pour demain.

Avec l’argent provenant de trafics illicites savamment blanchi par l’entremise des activités économiques, toutes nos villes sont devenues des Narco-Towns»

Vous avez dénoncé l’opacité et le favoritisme. Pensez-vous que le gouvernement de l’Alliance du Changement tombe dans les mêmes travers que ses prédécesseurs ?
Il ne faut pas se leurrer ! Les principaux composants de l’Alliance du Changement ont exercé le pouvoir plus d’une fois et ils sont dans l’obligation de partager la paternité de ces « travers ». Certes, il est difficile de faire jeu égal avec le MSM, mais avec la tendance qui se dessine, on ne sait jamais. 

Faste, affluence et présence de figures de l’ancien régime : faites-vous partie de ceux qui ont été choqués par la Garden Party à la State House ? 
La State House est un patrimoine national appartenant à tous les citoyens de la République, indistinctement de leurs affiliations politiques. Je pense que les partisans du pouvoir ont tort de penser que ce rassemblement était une fête de remerciements. 

Quant aux girouettes du MSM, leur comportement n’a rien de surprenant. C’est clair que l’organisateur de l’événement a réussi à convertir le château du Réduit en cirque. Mais ceci dit, je crois personnellement que la notion de « Garden Party » fait partie des vestiges du colonialisme britannique et n’a plus sa place au sein d’une République libre.

Le véritable obstacle au changement vient-il du gouvernement en place ou d’un « État profond » qui résiste à toute réforme ? 
L’État profond existe bel et bien et dessert des intérêts particuliers qui, face à la moindre menace de changement, réagiront en rameutant la puissante armée du statu quo. 

La vraie question est de savoir si nous avons les généraux capables de regrouper les honnêtes hommes et femmes de ce pays pour mener à bien cette guerre impitoyable. Pendant la campagne Navin Ramgoolam avait, à juste titre, décrié le rôle infect du State Law Office (SLO), mentionnant au passage un nom en particulier. Aujourd’hui, le fameux personnage a été réhabilité et jouit de la confiance absolue du gouvernement en place. Cela en dit long sur la volonté de changement. 

L’État profond, c’est aussi le réseautage maçonnique, les lobbies sectaires et les tentacules mafieux. Au cours de ces quatre derniers mois je n’observe aucun fléchissement, bien au contraire, comme dirait Paul Bérenger, ils sont « plus forts que jamais ». 

Dans son discours à la nation le 12 mars dernier, Navin Ramgoolam a parlé d’un « redressement » en cours et promis des réformes profondes. Avez-vous constaté une véritable volonté de rupture ou juste un changement de façade ?
On a tort de parler de réformes. Face aux défis sans précédent, les aiguillages et recalibrages ne serviront qu’à peu de choses. Ce qu’il nous faut, c’est une refonte totale du système dont nous faisons partie. Avant de vouloir, il faut savoir. 

Nos élus nous gargarisent avec des slogans creux. Si Navin Ramgoolam peine à nommer les personnes compétentes à la tête de nos institutions publiques, où trouvera-t-il les professionnels pour mener à bien ses « réformes en profondeur » ? 

La notion de ‘Garden Party’ fait partie des vestiges du colonialisme britannique et n’a plus sa place au sein d’une République libre»

Vous dites que « la colère ne vient pas d’un peuple trop exigeant ». Quelles sont, selon vous, les principales attentes non satisfaites qui alimentent cette frustration ?
Les exigences du peuple sont légitimes et simples. Il veut la paix et le progrès. Pour offrir cette paix, il faut assurer la sécurité, l’harmonie, les services de base et une qualité de vie respectable. Quant au progrès, il s’appuie sur la bonne gouvernance, une vision commune, la transparence, l’approfondissement de la démocratie et de la méritocratie. 

Au-delà de ces attentes, il y a cette soif de justice qui perdure depuis des décennies. Le peuple en a marre des crimes impunis et banalisés.

Vous avez récemment dénoncé une tentative d’étouffement d’une enquête sur des dépenses de plus de Rs 550 millions par des membres de l’ancienne direction de Mauritius Telecom. Pouvez-vous nous en dire plus ? Quels éléments vous permettent d’affirmer qu’ils sont protégés ?
Le 28 mars 2024, j’ai juré un affidavit contenant une liste de fraudes commises chez Mauritius Telecom pendant la période 2015 – 2023. Je mentionne également dans l’affidavit que je prévois l’annulation des charges pesant sur tous les protagonistes impliqués dans ces scandales. Je précise que ce n’est pas en raison de leur innocence, mais par l’amateurisme des enquêteurs ainsi que l’ingérence politique.

L’affaire de MYT Money est un exemple de cette situation. Cela fait neuf ans que j’enquête sur les pratiques douteuses chez MT et aujourd’hui je détiens les preuves qu’il faut pour déposer des accusations formelles dans plusieurs de ces scandales, y compris le projet Safe City. Une fois de plus, je me heurte à la volonté du gouvernement de ne pas mener jusqu’à terme cette affaire. 

Êtes-vous de ceux qui s’attendent à un 120-0 en faveur de l’Alliance du Changement aux municipales fixées au 4 mai, ou pensez-vous qu’on pourrait voir un retour en force de l’opposition plus vite que prévu, voire une percée des extraparlementaires ?
Au fil des 30 dernières années, les différents gouvernants ont contribué à dénaturer les collectivités locales. Celles-ci ne sont plus les relais de la démocratie. On a bâillonné les citadins, assassiné la culture, enterré le sport au profit de tous les vices et instauré un règne de terreur. Avec l’argent provenant de trafics illicites savamment blanchi par l’entremise des activités économiques, toutes nos villes sont devenues des Narco-Towns. 120-0 ou pas, ce sont les barons qui sont les véritables maires des villes. 

Mais en se prêtant au jeu, je ne suis certainement pas le seul à vouloir donner une leçon à ceux au pouvoir. Si la plateforme Linion Moris/Reform Party/En Avant Moris devait se reconstituer pour cette joute, je suis convaincu qu’il n’y aurait pas de 120-0. Avec les faits avérés depuis novembre 2024, accorder plus de pouvoir à ce gouvernement relèverait du sadisme.   

L’électorat urbain est souvent perçu comme plus contestataire. Croyez-vous que les récents mécontentements pourraient se traduire dans les urnes ?
Urbain ou ailleurs, le mécontentement est généralisé et la contestation est symptomatique de la souffrance. Laissez-moi vous rappeler le verdict des urnes lors des élections partielles de Beau-Bassin-Rose-Hill, le 1er août 1993. Celui qu’on qualifiait d’indéboulonnable, le grand Rajesh Bhagwan, et deux autres « grosses pointures » du MMM, Claude Cavalot et Marie-Lourdes Allysamba, avaient été anéantis par un trio de nouveaux venus : Bernard Betsy, Anthony Chung et un certain Penny Hack. Ce résultat était justement la conséquence du mécontentement populaire de l’époque. 

Certes, la situation est loin d’être similaire, mais la souffrance est réelle. De plus, il est de notre devoir de rappeler aux politiques que la démocratie, c’est avant tout la volonté du peuple.  

Navin Ramgoolam annonce une nouvelle orientation économique dans le prochain budget. Selon vous, quels sont les grands axes qui devraient être prioritaires pour un redressement économique durable ?
Le budget est avant tout un exercice de comptabilité et de suivi. En créant cette effervescence, les médias ont fait du discours budgétaire un spectacle. La nouvelle orientation économique, si elle existe, doit impérativement découler d’une vision et d’un projet pour la République. 

Je souhaite que le gouvernement accorde une importance particulière à la conjugaison suivante : État, Écologie, Éducation, Énergie, Entrepreneuriat et Équilibre. Il faut repenser et renforcer le rôle de l’État car seul l’État peut assurer l’intérêt du citoyen. Toute tentative de désengagement sera catastrophique. 

Le COVID nous a enseigné la nécessité d’accentuer notre autosuffisance alimentaire et de préserver une base solide pour notre secteur manufacturier. J’espère que Rama Sithanen, le « back seat finance minister », ne sera pas tenté de rééditer ses mesures tirées des livres de Milton Friedman. 

Si vous deviez donner un conseil au gouvernement, que leur diriez-vous ?
Le 11 novembre 2024, le peuple adressait son message non seulement au gouvernement sortant, mais surtout à vous. Nous vous avons démontré notre capacité à nous indigner. De ce fait, nous vous demandons de faire votre travail et rien de plus. La politique c’est avant tout les « Bread & Butter issues ». 

Vous serez évalués sur votre travail et sur votre comportement, et non sur vos parutions sur TikTok. Quant à Navin Ramgoolam, vivement qu’il fasse le ménage autour de lui, car on ne supporte plus cette insalubrité.

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