Interview

Raj Ramlugun : «Toute décision impulsive amène des situations catastrophiques»

Ancien directeur d’Air Mauritius, ex-secrétaire de l’intersyndical et conseiller en exercice d’Airmate, Raj Ramlugun s’exprime sur le litige entre les pilotes et la direction de la compagnie nationale d’aviation.

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Ayant été un ancien président de l’intersyndical d’Air Mauritius, comment analysez-vous le bras de fer entre les pilotes et la direction ?
Deux paramètres doivent être pris en compte. Les pilotes ont-ils suffisamment réfléchi sur les conséquences de leurs actions ? La direction avait-elle un contigency plan sous le bras pour parer à ce genre de situation. D’un côté, il y a un sentiment de mécontentement qui s’est aggravé au niveau des salariés d’Air Mauritius. De l’autre, la direction semble agir sur un coup de tête, ce qui démontre qu’elle est très mal conseillée.

Les pilotes sont des professionnels qui ont un bargaining power. Déjà qu’il  y a un manque de pilotes à l’échellle mondiale, le transporteur national doit savoir comment traiter avec eux. Au lieu de licencier trois pilotes séance tenante,  il aurait mieux fait de réfléchir à tête reposée, de les deroster, s’il y a lieu et d’instituer un comité disciplinaire. Toute décision impulsive amène à des situations catastrophiques. L’image d’Air Mauritius a pris un sale coup avec cette affaire. Être ferme ne signifie pas qu’il faut kraz latet.

Le commandant Michel Bourgeois déplore un déficit de communication…
Bourgeois ou Hofman sont sans doute plus patriotiques que des Mauriciens et ils sont très attachés à Air Mauritius. Il y a une structure au sein de la compagnie qui est responsable des opérations et qui gère les activités des pilotes. A-t-elle remonté le mécontentement des pilotes ? Ces derniers semblent s’être retrouvés face à un mur. Si tel n’est pas le cas, une enquête interne devrait le déterminer. Les procès-verbaux des différentes réunions doivent être étudiés. Il y a maintenant d’autres syndicats qui soulèvent des problèmes. Tout ceci n’est pas normal. Mettons que la direction décide de réembaucher les trois pilotes, cela n’équivaudrait-il pas à une tentative d’escamoter les frustrations, en les balayant sous le tapis. Elle doit saisir cette occasion pour déterminer ce qui ne tourne pas rond au sein de la compagnie.

n Les nominations politiques n’ont-elles pas empoisonné la gestion de la compagnie ? 
Les politiciens de tout bord ont leur  part de responsabilité dans ce qui se passe. Chacun a placé son pion. Certains n’ont pas  les compétences nécessaires et l’éthique requise dans une telle structure qui demande à être gérée par des professionnels. Ces personnes sont prisonnières des diktats des politiciens et veulent être calife à la place du calife. Un style de management clanique s’est développé, où certains directeurs pensent d’abord à leur avancement plutôt que l’intérêt de la compagnie. Cela a antagonisé les salariés.

Voyez où sont placés, aujourd’hui, ceux qui étaient responsables du hedging du temps de Manoj Ujoodha. Malgré cette bavure, qui a coûté des milliards, tant à la compagnie qu’au pays, nul n’a été sanctionné. Les vested interests et les lobbies socioculturels ont permis à certains d’être parachutés à des postes importants alors qu’ils ne sont pas à la hauteur. La perpétuation de ce système, avec la complicité de certains syndicalistes opportunistes, est source de démotivation pour le personnel. Le conseil d’administration doit y mettre bon ordre. Il n’y a rien de plus grave lorsque le contre-pouvoir est complice du management.

Après le scandale de la caisse noire en 2001, un mécanisme avait été mis en place pour permettre à n’importe quel employé de faire part de ses griefs au conseil d’administration. Il a tout bonnement été aboli après 2006. Pa koner kifer. S’il était toujours existant, la direction aurait sans doute eu vent de ce qui n’allait pas chez les pilotes. Voilà pourquoi la direction et le conseil d’administration doivent travailler séparément. Cela éviterait le rubber stamping.

Les politiciens de tout bord ont leur responsabilité dans ce qui se passe. Chacun a placé son pion"

Qui a pu souffler à Mike Seetharamadoo l’idée de casser un accord collectif signé avec les pilotes ? Cela a même été l’un des contentieux avec Megh Pillay…
Je ne le blâme pas. Il projette une mauvaise image à cause de sa proximité avec le pouvoir. Mais cela a été une très mauvaise décision de briser un tel accord. Il aurait fallu appeler les pilotes à la table des négociations. Avec le dialogue, nous n’en serions pas là. Quand bien même que la Cour suprême aurait souligné que les billets d’avion gratuits aux pilotes et leurs proches n’étaient pas un droit acquis, mais un privilège, la direction aurait dû savoir manœuvrer de façon intelligente. C’est quand la direction a perdu les pédales que les pilotes semblent avoir cherché à privilégier le chantage

Offrir des rabais aux députés, ministres et conseillers, tout en enlevant les privilèges des pilotes, n’est-ce pas là un mauvais signal ?
Peut-être était-ce pour établir des liens. Un problème a été créé alors qu’il n’avait pas lieu d’être. Un pilote, c’est comme Ronaldo au sein d’une équipe de foot. Son rapport de force est différent. Cela peut virer au chantage à cause de la faute de certains. Si la direction voulait revoir les privilèges des pilotes dans le but de baisser les coûts, elle aurait dû agir de manière plus professionnelle.

Somas Appavou n’est-il pas mal conseillé ? Le patron de Ryanair avait menacé les pilotes et, maintenant, il les supplie de revenir travailler… 
Je ne peux porter de jugement de valeur. Il n’est là que depuis plus de deux mois. Quand vous optez pour la manière forte, il faut d’abord s’assurer de pouvoir gérer les conséquences. Lee Kwan Yu a su gérer la grève des pilotes chez Singapore Airlines, en 2003. Il les a appelés à la table des négociations. Quand vous prenez des positions fermes, elles doivent être soutenues par des actions crédibles et vous aurez ainsi le respect des salariés. Si vous faites un sondage chez les employés de MK, tous vous diront que la direction récolte la tempête qu’elle a semée. Il y a un sentiment que la direction favorise des personnes dans leurs clans.

Cette situation n’est-elle pas délibérée ? Pour mieux vendre Air Mauritius ?
Ce serait un hara-kiri. Certains salariés le pensent, mais je ne crois pas qu’il y ait des personnes aussi antipatriotiques. MK est un joyau.

Mauritius Telecom était également présenté comme un joyau, cela n’a pas empêché les Français de venir y faire leur nid…
Le contexte est différent. Nous assistons au résultat des années passées à cultiver une culture de gestion fondée sur les affinités politiques plutôt que la compétence. Richard Branson n’est peut-être pas bardé de diplômes, mais il a su faire fructifier Virgin Atlantic, grâce à son flair et son sens de customer service. Certains devraient en prendre de la graine.

 

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