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Quinze ans de prison à Bernard Maigrot - le juge Aujayeb : «Vanessa Lagesse a été tuée de façon odieuse»

Bernard Maigrot avait plaidé non coupable du meurtre de Vanessa Lagesse , Le corps de la styliste a été retrouvé, le 10 mars 2001, dans son bungalow à Grand-Baie et Le juge Luchmyparsad Aujayeb a souligné l’atrocité du crime.
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Vingt-trois ans après les faits, un verdict a été rendu dans l’affaire du meurtre de Vanessa Lagesse. La styliste avait été tuée le 9 mars 2001. Elle avait 35 ans. Le jeudi 1er août 2024, Bernard Maigrot, 63 ans, a été condamné à 15 ans de prison par la cour d’assises. Il a annoncé son intention de faire appel.

Le juge Luchmyparsad Aujayeb s’est concentré sur l’atrocité entourant la mort de la trentenaire, tout en prenant en compte le délai, ainsi que les facteurs atténuants et aggravants de l’affaire. Cette décision de la cour d’assises fait suite au verdict du 27 juin 2024, lorsque Bernard Maigrot a été reconnu coupable du meurtre de Vanessa Lagesse par les jurés, à une majorité de sept contre deux. Les jurés avaient été séquestrés depuis le 21 juin 2024.

Dans son verdict, le juge Aujayeb est revenu sur les faits et les circonstances entourant le meurtre de la styliste, en prenant en compte les preuves scientifiques ainsi que les témoignages des experts en ADN, tant de la part de la poursuite que de la défense. Il a également considéré les aspects saillants des éléments de preuve.

Vanessa Lagesse a été retrouvée morte le 10 mars 2001, dans sa baignoire à son bungalow, à Grand-Baie, avec plusieurs blessures. L’examen post-mortem avait conclu que la styliste était décédée d’une « fracture dislocation of the cervical spine ». 

Dans cette affaire, Bernard Maigrot faisait face à une accusation de « manslaughter ». Il avait plaidé non coupable et était défendu par Me Gavin Glover, SC. La poursuite était assurée par Mes Darshana Gayan, Senior Assistant Director of Public Prosecutions, Audrey Sandra Stephen, Principal State Counsel, Kevin Moorghen, Principal State Counsel, Mohammad Irfaan Mittoo, State Counsel, et Yanish Rao Jeerasoo, State Counsel. 

La complexité d’une affaire abordée 

Pour le juge Luchmyparsad Aujayeb, les principes juridiques bien établis, comme énoncé dans la jurisprudence, sont les facteurs que la Cour peut prendre en considération pour évaluer le délai. Il s’agit, en premier lieu, de la complexité de l’affaire. « Plus une affaire est complexe, plus le temps nécessaire pour la préparer de manière adéquate en vue du procès est long. Néanmoins, quelle que soit sa complexité, il arrive un moment où le temps écoulé devient excessif et inacceptable », martèle le juge. 

Le deuxième élément, dit-il, que la Cour peut prendre en considération est la conduite de l’accusé et des autorités chargées des poursuites avant de conclure si du temps a été gaspillé inutilement. 

Troisièmement, constate le juge, il est nécessaire d’examiner la manière dont l’affaire a été traitée par les autorités administratives et judiciaires. On ne peut nier qu’à la lecture du dossier, il y a eu un long délai avant que l’affaire ne soit portée devant une cour de justice.

Il a par ailleurs cité l’affaire « Ruhumatally v State » ainsi que « State v St Pierre » concernant la question de délai.

« Une agression brutale et vicieuse » 

Selon le juge Aujayeb, la trentenaire avait été soumise à un degré élevé de violence à l’intérieur de sa propre maison. Il note aussi que la défunte avait subi de violentes blessures externes et internes à la tête, au ventre, au thorax et qu’il y avait une marque de ligature au cou. Les éléments de preuve au dossier, affirme-t-il, ont établi qu’après l’agression féroce, Vanessa Lagesse avait été traînée dans la salle de bain et placée dans sa baignoire remplie d’eau, recouverte d’un drap de lit.
D’autre part, le juge fait état que Vanessa Lagesse était styliste de profession et avait une carrière, une vie brillante et prometteuse devant elle. « Tout cela lui a été volé après l’agression brutale et vicieuse », soutient-il.

Autre point soulevé par le juge Luchmyparsad Aujayeb : « Le fait de tuer quelqu’un d’une manière aussi violente et atroce est considéré avec beaucoup de sérieux par la Cour ». 

Persécution, couverture médiatique et défis continus 

Le 17 juillet 2024, Bernard Maigrot avait pris la parole pour la première fois devant la cour d’assises. C’était dans le cadre des plaidoiries entourant la sentence. Il avait déposé sous serment faisant état de sa situation personnelle et de son vécu durant ces dernières 23 années. Le juge Luchmyparsad Aujayeb a retenu que l’homme d’affaires a maintenu son innocence tout au long de l’affaire et a affirmé qu’il ne peut éprouver de remords, car il n’a rien fait de mal et n’est pas responsable de la mort de Vanessa Lagesse. « The accused stated being shocked and was in deep grief upon learning of the death of Ms Lagesse and this had saddened him deeply ».

La Cour a aussi considéré les sujets de brutalité policière et de kidnapping par des policiers dans le témoignage de Bernard Maigrot. Ces aspects, dit-il, n’ont pas été étudiés au cours du procès devant les jurés. « This does not prevent the Court, however, from considering the testimony of the accused on that account, generally, from a compassionate angle for sentencing purposes, based on his testimony under oath », a évoqué le juge Luchmyparsad Aujayeb. 

Ce dernier a pris en compte les dires de l’homme d’affaires qui avait déclaré que l’impact de ce cas sur son entreprise et ses activités professionnelles a été conséquent et que sa réputation a été ternie. En sus, il avait dû faire face à des situations difficiles surtout après que son épouse, Isabelle Maigrot, a été diagnostiquée d’un cancer. 

Bernard Maigrot s’est retrouvé seul à s’occuper de ses deux enfants alors que son épouse, dont la santé se détériorait, se faisait traiter en France. « A task which he had to carry out whilst dealing with the very serious accusation with which he was faced and fighting for his innocence », avait fait ressortir l’homme d’affaires dans son témoignage. 

D’autre part, la Cour note l’état de santé de Bernard Maigrot. Ce dernier a souligné qu’il ne jouit plus d’une bonne santé et avait souffert d’une crise cardiaque en novembre 2019. Il doit être sous traitement médical constant. Le sexagénaire avait exprimé des doutes quant à la possibilité d’obtenir le traitement adéquat et opportun pendant sa détention en prison. 

La question de délai évoquée 

Le juge Aujayeb dit avoir également pris en compte la question de délai dans la détermination de la peine. Il a fait la chronologie de l’affaire :
• 10 mars 2001 : l’enquête de police démarre pour prendre fin le 26 juillet 2002.
• 23 avril 2001 : Bernard Maigrot est arrêté. 
• 6 juillet 2001 : le suspect est libéré sous caution.
• Mai 2003 : l’enquête préliminaire est initiée devant le tribunal de Mapou. 
• 28 novembre 2007 : le tribunal de Mapou réfère Bernard Maigrot aux assises. 
• La poursuite déposé un « discontinuance of proceedings » devant la cour d’assises. 
• Juillet 2008 : l’enquête policière est rouverte.
• 23 mai 2011 : l’homme d’affaires est arrêté à nouveau et libéré sous caution le 3 juin 2011. 
• Mai 2012 : une accusation formelle de « manslaughter » est logée contre Bernard Maigrot aux assises. 
• Février 2022 : la poursuite dépose une nouvelle fois un « discontinuance of proceedings ».
• Le sexagénaire est convoqué par la police pour une enquête.
• 21 février 2022 : un procès formel est instruit contre Bernard Maigrot pour « manslaughter » devant la cour d’assises. 
D’autre part, le juge souligne que la question du délai a déjà été largement examinée par la cour suite à une requête d’arrêt de procès présentée par Bernard Maigrot par l’intermédiaire de son avocat. L’instance a statué que l’homme d’affaires n’a pas subi de préjudices graves et significatifs au point de compromettre la possibilité de garantir un procès équitable.

Traumatismes

Le juge Luchmyparsad Aujayeb a fait état que les enfants de Bernard Maigrot ont également dû faire face à des défis et à des traumatismes psychologiques ainsi que sociétaux. Car ils ont été associés à un meurtre. 

Le témoignage d’Adrien Maigrot, fils de l’homme d’affaires, a été pris en compte par le juge. Il a expliqué que sa sœur et lui ont été confrontés à diverses difficultés.

Ils ont été « bullied » à l’école, en raison de la couverture médiatique de cette affaire. 

Leur mère a aussi été interpellée, les laissant pendant un moment « orphelins ». Adrien Maigrot a raconté qu’ils ont dû vivre avec des proches. Ils ont changé de maison de temps à autre. 

Selon le juge, il a eu l’occasion d’observer le comportement d’Adrien Maigrot lors de son témoignage. Il a constaté combien il était difficile pour ce dernier de présenter devant le tribunal ce qu’il avait vécu et ce que sa famille et lui vivent encore. 

Pour le juge, Adrien Maigrot a témoigné de manière sincère. « He got somewhat emotional at times, and this only shows how the whole matter had deeply impacted his life growing up as a teenager for the last years and even now as an adult with the invidious task of looking after the family business and his ailing mother », indique le juge Luchmyparsad Aujayeb. 

De plus, les ennuis légaux de son père ont gravement perturbé l’entreprise familiale et sa réputation depuis 2001. De 2001 à 2007, l’entreprise de l’accusé avait dû fermer ses portes, en raison de la couverture médiatique de cette affaire. 

Malgré le démarrage d’une nouvelle entreprise textile en 2019, la famille a continué à faire face à des défis importants. C’est à cause des batailles juridiques de Bernard Maigrot et des problèmes de santé d’Isabelle Maigrot.  Depuis le verdict, a relaté le fils, la famille a eu du mal à gérer seule l’entreprise familiale. Car leur père était le principal point de contact et de liaison avec les fournisseurs de l’entreprise. Le tribunal a pris en compte qu’Adrien Maigrot a fait ressortir que le gagne-pain de la famille a été gravement compromis depuis le verdict de culpabilité de son père. Ce qui pourrait les conduire à une situation financière précaire. 

« On t’aime, Bernard »

« Tu peux compter sur nous. Sois fort ! Nous avons toujours cru en ton innocence (…) On t’aime, Bernard (…) ». Les mots d’encouragement ont fusé quand l’homme d’affaires Bernard Maigrot est sorti de la cour d’assises. Proches et amis s’étaient rassemblés pour le soutenir. 

Après la sentence, l’accusé a eu droit à quelques minutes d’audience avec ses hommes de loi, Mes Gavin Glover, Senior Counsel et Bhooneswur Sewraj, Senior Attorney. Ce fut ensuite au tour de ses proches de le rencontrer le temps d’échanger quelques mots avant qu’il ne regagne la prison.

13 heures, Bernard Maigrot prend place à bord du véhicule de la Special Supporting Unit qui le conduit à la prison de Beau-Bassin. 

Me Gavin Glover, SC : «mon client compte montrer qu’il est innocent»

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Gavin Glover, Senior Counsel, et Bhooneswur Sewraj, Senior Attorney, sont les hommes de loi de Bernard Maigrot.

« Je ne suis pas surpris », dit Me Gavin Glover, Senior Counsel, avocat de Bernard Maigrot. « Mon client, Bernard Maigrot clame toujours son innocence. Il fera appel de la décision du tribunal dans les jours à venir. Nous allons aussi demander à ce que mon client soit relaxé sous caution. N’oublions pas que cela fait vingt-trois ans qu’il est sous caution (…). Ce qui importe plus, c’est qu’il lave son intégrité et qu’il montre au monde qu’il est innocent. Je suis confiant dans un proche avenir qu’il sera innocenté », explique-t-il.

Concernant l’état d’esprit de son client après le verdict de la cour d’assises, Me Gavin Glover, SC, dit : « Je laisse mon client vous faire la déclaration lui-même quand il sera relaxé et ce sera bientôt ». 


Peine

Après avoir considéré l’atrocité du meurtre de Vanessa Lagesse ainsi que le délai, le juge s’est penché sur le principe sacrosaint de « l’application de la loi la plus douce » ou la « rétroactivité » à être imposée.

La peine maximale applicable est de vingt ans de servitude pénale vu que l’infraction a eu lieu en 2001.  Citant l’affaire « State v Lacloche », le juge souligne que la Cour suprême a observé que chaque cas doit être décidé en fonction de ses propres faits et circonstances.

Toutefois, dit-il, avant de déterminer la peine appropriée pour l’accusé, le tribunal doit prendre en compte plusieurs facteurs. Il y a les circonstances personnelles de l’accusé et la nature de l’infraction, entre autres. 

« Sentencing cannot be a mathematical science or a mechanical exercise, in the sense that there are no set or predetermined values attaching to each factor », précise le juge Luchmyparsad Aujayeb.

D’autre part, le juge explique que le tribunal doit déterminer le niveau de réduction à appliquer s’il y a un verdict de culpabilité. Le taux de cette réduction correspond généralement à un tiers de la peine appropriée examinée par le tribunal.  

Ensuite, le tribunal doit suivre d’autres étapes. Il prend en compte les circonstances atténuantes, la situation personnelle de l’accusé, les circonstances aggravantes et le délai. « Il va sans dire que chaque cas doit être examiné selon ses propres mérites (…) », explique-t-il. 

L’observation du juge est que l’histoire mouvementée de la présente affaire, qui s’étend sur vingt-trois ans, doit être traitée en fonction de son propre ensemble de faits et de circonstances. 

Ce qui importe à la fin, avance-t-il, est que le tribunal prononce une peine juste, équitable et appropriée.  Il a ainsi condamné Bernard Maigrot à quinze ans de prison. 


Me Angélique Desvaux de Marigny, avocate des proches de Vanessa Lagesse : «ils sont très bouleversés…»

« Ils ne souhaitent pas réagir pour l’instant. Ils sont très bouleversés. Durant tout le procès, beaucoup de souvenirs sont remontés à la surface, c’est très dur pour eux. On laisse la justice faire son travail… », a déclaré Me Angélique Desvaux de Marigny, avocate représentant les proches de Vanessa Lagesse dont la sœur de celle-ci, Anne Rogers. Sollicitée pour une réaction à la suite du verdict prononcé contre Bernard Maigrot, l’avocate a fait ressortir que ses clients « sont respectueux des institutions de leur pays et des droits de tous ceux qui sont impliqués dans cette procédure ».
 

 

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