L’intelligence artificielle s’invite dans les salles de classe mauriciennes, offrant des outils d’apprentissage personnalisés et un gain de temps pour les enseignants. Experts et syndicats appellent cependant à un usage encadré, pour préserver l’humain et la créativité.
Entre opportunités pédagogiques et risques de dérives, plusieurs spécialistes appellent à un usage responsable et encadré de l’intelligence artificielle. Quelque 4 000 enseignants ont déjà suivi un programme de formation visant à les préparer à l’intégration de ces outils dans les salles de classe. Le ministre de l’Éducation, Dr Mahend Gungapersad, insiste sur la nécessité d’adopter l’IA sans perdre de vue l’essence humaine de l’enseignement.
Le pédagogue Harrish Reedoy souligne que l’IA représente « un levier puissant, mais qui doit être utilisé avec discernement, structure et éthique ». Selon lui, son impact dépend entièrement de la manière dont elle est guidée. « L’IA peut offrir un soutien considérable aux enseignants. Dans nos collèges, les éducateurs jonglent souvent entre la gestion des classes, la préparation, les évaluations et les tâches administratives. L’IA peut permettre un véritable gain de temps », explique-t-il.
Il cite des exemples concrets : « Certains enseignants utilisent déjà des plateformes intelligentes pour analyser automatiquement les résultats des interrogations. En quelques secondes, ils obtiennent une vue claire sur les points forts et les faiblesses d’une classe. Un enseignant de sciences peut utiliser un générateur d’animations pour illustrer un phénomène compliqué, comme le cycle de l’eau ou la formation d’un arc-en-ciel. Cela capte immédiatement l’attention des élèves. Ce type de ressource ne remplace pas l’enseignant, mais lui permet de rendre l’apprentissage plus vivant et plus accessible. L’IA devient ainsi une extension du savoir-faire humain, et non une menace. »
Pour les élèves, Harrish Reedoy observe que « l’IA ouvre un univers nouveau, dans lequel l’apprentissage peut devenir davantage personnalisé ».
Les tuteurs numériques permettent aux jeunes en difficulté de revoir leurs leçons tard le soir, sans crainte de jugement. Mais il met en garde : « Certains élèves tentent parfois de confier entièrement un devoir à un outil d’IA, espérant contourner l’effort. C’est là que le rôle de l’enseignant reste central : apprendre aux jeunes à utiliser l’IA comme un soutien, et non comme un remplaçant. »
Les parents face au défi numérique
Les familles ne sont pas en reste. Le pédagogue souligne que, grâce à des explications simplifiées générées par l’IA, « des parents peuvent mieux accompagner leurs enfants dans leurs révisions sans se sentir dépassés ». Cependant, il avertit :
« L’IA ne doit pas mener à une surveillance excessive, au risque de créer un stress inutile. Le rôle des parents reste celui d’un guide bienveillant, et non d’un contrôleur permanent. »
Selon Harrish Reedoy, l’enjeu fondamental est clair : « L’IA ne remplacera jamais la présence d’un enseignant, la créativité d’un élève ou le soutien émotionnel d’un parent. Elle doit servir de partenaire, capable d’ouvrir des portes nouvelles. » Sur la question de la lecture, il souligne : « Je ne crois pas que ce soit l’IA elle-même qui menace la lecture, mais plutôt la manière dont certains élèves choisissent de l’utiliser. »
Par ailleurs, le pédagogue dénonce l’usage abusif des résumés automatiques qui appauvrissent l’expérience littéraire, mais reconnaît aussi des bénéfices : « Lorsqu’un texte est difficile, certains élèves utilisent l’IA pour obtenir des explications de vocabulaire, ou une reformulation plus simple. Cela leur permet ensuite de revenir au texte original avec plus de confiance. »
La prudence
De son côté, Vishal Baujeet, président de la Government Teachers Union (GTU), partage une vision nuancée. « L’intelligence artificielle dans nos écoles peut être très bénéfique. Mais, elle comporte aussi des risques, et son utilité dépendra en grande partie de la manière dont elle sera introduite, réglementée, et utilisée par les élèves, les enseignants et les parents », affirme-t-il.
Il reconnaît que l’IA peut améliorer « la qualité de l’enseignement, l’efficacité des enseignants et l’engagement des élèves », mais alerte sur les dangers : « Sans règles, formation et contrôle, elle peut augmenter les inégalités, nuire aux compétences fondamentales et au développement de la pensée critique. »
La prudence est de mise, dit-il. « Au secondaire les élèves en font déjà usage, mais nous devons être très prudents quant à son introduction au primaire, car les enfants sont encore petits. Nous pensons que des consultations intenses sont primordiales avec tous les partenaires, incluant les psychologues, mais aussi les parents. Il faut avancer en douceur ».
Vishal Baujeet avance : « L’IA n’est ni bonne ni mauvaise en soi ; tout dépend de son utilisation. Bien encadrée, avec des enseignants formés, des élèves qui l’emploient efficacement, des parents informés et des règlements clairs, elle peut réellement améliorer l’éducation à Maurice. »
Formation des enseignants
«Embracing Artificial Intelligence and Technological Change in Education ». C’est le thème de la formation suivie par les enseignants au Mahatma Gandhi Institute (MGI), à Moka, jusqu’au 11 décembre. Ce projet, porté par l’Institute of Technical Education and Technology (ITET) en collaboration avec le ministère, vise à préparer les enseignants et les responsables éducatifs à intégrer l’IA dans leurs pratiques pédagogiques.
Pour le ministre de l’Éducation, l’IA ne saurait remplacer la dimension humaine et bienveillante de l’enseignement. « Les éducateurs doivent conjuguer cœur et esprit pour offrir le meilleur à leurs élèves », insiste-t-il, tout en mettant en garde contre les dérives d’une culture du raccourci et d’une dépendance excessive aux outils numériques, qui pourraient freiner la créativité et l’esprit critique.
Le Dr Mahend Gungapersad met l’accent sur les multiples potentialités de l’IA dans le secteur éducatif : la diffusion élargie des cours dispensés par des enseignants chevronnés, ou encore la création de coachs virtuels personnalisés adaptés aux capacités de chaque enfant.
Selon lui, ce programme s’inscrit dans une stratégie de renforcement des compétences des éducateurs, afin de leur fournir les outils nécessaires pour améliorer l’enseignement et l’apprentissage.
Les objectifs principaux sont de doter les 4 000 participants - des recteurs, des chefs de département, des directeurs d’instituts et des enseignants - de connaissances et de compétences nécessaires pour intégrer efficacement l’IA dans leurs pratiques pédagogiques. Tout en respectant les principes éthiques et la rigueur pédagogique.
Pour sa part, le président de la Government Secondary School Teachers’ Union (GSSTU), Yugeshwur Kisto, explique que l’atelier permet d’exposer les participants aux diverses plateformes d’IA utilisables dans le domaine éducatif.
« Nous apprécions particulièrement l’accent mis sur la dimension éthique de l’utilisation de l’IA. Comme souligné lors du lancement, la technologie doit s’accompagner d’une touche humaine indispensable. L’objectif n’est nullement de remplacer l’enseignant, mais de lui fournir des outils complémentaires permettant d’explorer de nouvelles approches pédagogiques et d’accompagner chaque élève selon son rythme d’apprentissage. »
La GSSTU est donc favorable à une telle initiative qui marque une étape décisive dans la transformation numérique du système éducatif national. Il ajoute que cette initiative s’inscrit dans une vision globale de modernisation de l’éducation mauricienne, incluant le projet pilote MyT GPT, en partenariat avec Mauritius Telecom, qui offrira aux élèves un assistant virtuel personnalisé.
Learn-AI
Parallèlement, le projet « Learn-AI » est une initiative nationale destinée aux élèves de Lower VI / Grade 12. Il vise à éveiller la passion des jeunes pour la technologie et à les encourager à devenir de véritables architectes de solutions pour les enjeux du pays. Cette initiative invite les élèves de Maurice et de Rodrigues à explorer, à innover et à développer des projets basés sur l’IA et capables de générer un impact concret dans leurs communautés. Cette compétition favorise la pensée critique, le travail en équipe et la résolution de problèmes, préparant ainsi la jeunesse à un avenir marqué par les technologies émergentes.
Myscoreai
Présente sur nos écrans via WhatsApp ou Meta, l’IA générative s’impose partout. Mais Djameel Soobadar, CEO de Myscore, alerte : si elle n’est pas intégrée avec discernement dans l’éducation, elle pourrait fragiliser la créativité et la singularité des élèves.
Djameel Soobadar, directeur de myscoreai, rappelle que les assistants d’IA générative sont omniprésents, intégrés dans la plupart des applications mobiles comme WhatsApp ou Meta. Cependant, ces outils n’ont pas pour vocation d’encadrer un élève ni de l’accompagner dans le développement de sa pensée critique et créative.
La nouvelle version de myscoreai.com propose une IA en mode agentique, conçue pour faciliter la prise en charge des tâches répétitives du quotidien des enseignants, des responsables d’établissement et des parents. Objectif : soutenir la prise de décision, rendre la gestion administrative plus efficace et améliorer l’expérience de l’élève comme celle de l’enseignant.
Ces agents IA prennent en charge :
- l’accompagnement à l’évaluation (préremplissage des bulletins scolaires)
- l’organisation du remplacement des enseignants absents, l’optimisation des emplois du temps
- le suivi en temps réel des performances des élèves.
Ils vont plus loin en proposant des plans d’action individualisés pour chaque enfant, selon ses résultats académiques, ses comportements, sa discipline et son assiduité.
Myscore travaille également sur des problématiques pédagogiques comme l’amélioration de la lecture, dans un cadre strictement sécurisé. Un assistant IA dédié à la littérature permet aux élèves de dialoguer avec des personnages littéraires, qui reprennent « vie » et interagissent comme des êtres humains. La lecture traditionnelle, faite de textes et d’images, se transforme en expérience interactive : échanges, sons, vidéos, émotions sensorielles.
Cette approche vise à limiter le risque d’effondrement intellectuel lié à la baisse de motivation face à des apprentissages exigeants, alors que l’IA les maîtrise en quelques secondes. « Il n’y a pas de régression pédagogique si l’IA reste un outil d’accompagnement et ne prend pas en charge la réflexion, la pensée critique et la production intellectuelle des élèves », dit Djameel Soobadar.
Catherine Paya : « L’IA doit encourager la réflexion, pas la remplacer »
Catherine Paya, experte en projet numérique chez Bliss Management, directrice du festival AI4GOOD Maurice, nous livre ses impressions sur l’IA. Pour elle, avec un bon accompagnement, les élèves apprennent à utiliser l’IA comme un outil, pas comme une béquille.
Quels sont les bénéfices de l’IA ?
L’IA peut être un formidable levier, mais uniquement si elle est encadrée, gouvernée, et utilisée avec éthique. Pour les élèves, l’IA ouvre la porte aux compétences essentielles du XXIᵉ siècle : la créativité, la pensée critique, la communication, la collaboration. Ce sont les 4C, et ils sont aujourd’hui aussi importants que les savoirs académiques. Avec un bon accompagnement, les élèves apprennent à utiliser l’IA comme un outil, pas comme une béquille. Ce qui les aide à développer leur autonomie et leur capacité à résoudre des problèmes. Pour les enseignants, l’IA peut compléter leur travail et leur apporter un soutien dans certaines tâches, sans jamais remplacer leur savoir-faire, leur intuition et leur présence auprès des élèves. Elle permet, entre autres, de préparer des supports plus rapidement, de diversifier les approches pédagogiques, de renforcer l’inclusion et de libérer plus de temps sur l’accompagnement auprès des élèves. Mais là aussi, l’enseignant reste aux commandes : l’IA n’est qu’un outil et jamais un remplacement.
Et les parents ?
Pour les parents, comprendre l’IA leur permet d’enlever la peur, de mieux accompagner leurs enfants et de voir les opportunités derrière cette technologie. Ils n’ont pas besoin de devenir des experts, mais de connaître les bases pour faire la différence. Finalement, tout repose sur la même chose : maîtriser, encourager les usages responsables et encadrer avec bon sens. Le bien-être et la sécurité des jeunes passent avant tout.
Est-ce que l’IA décourage les élèves à lire ?
Honnêtement, je ne pense pas que l’IA soit la cause du manque d’intérêt pour la lecture. Le recul de la lecture chez les jeunes date d’avant l’IA. En tant que maman, même si je travaille dans le numérique, j’encourage ma fille à lire, à toucher des livres, à découvrir des histoires. On doit préserver les valeurs fondamentales de l’éducation. L’IA peut créer des images, résumer des textes... Mais elle ne remplacera jamais la relation intime avec un livre ni l’émotion que procure la lecture et son auteur. Il faut simplement remettre du sens, donner envie et montrer que l’IA n’empêche pas de lire, au contraire, elle peut parfois susciter la curiosité autour d’un auteur ou d’un sujet.
Selon vous, comment utiliser l’IA pour que ce soit un atout pour les élèves ?
Pour moi, tout repose sur trois fondations : un cadre clair, une gouvernance éthique, et surtout, un accompagnement humain solide. L’IA doit encourager la réflexion, pas la remplacer. L’élève doit comprendre, analyser, ressentir, puis utiliser l’outil pour aller plus loin. C’est là qu’on parle réellement de compétences. Un exemple très concret a eu lieu lors de la visite du président de la République française et des ministres mauriciens lors de l’édition spéciale le 20 novembre dernier au Caudan Art Center. Il a observé et échangé directement avec les élèves pendant plus d’une heure. Ces derniers, dans notre édition dédiée à l’art hybride, avaient d’abord étudié les textes d’auteurs mauriciens, compris les émotions, les symboles et les messages, puis travaillé avec leurs encadrants grâce au programme pédagogique complet conçu par Jean-Michel Lavallard.
Ce n’est qu’après cette phase humaine qu’ils ont utilisé l’IA pour créer les images, la musique et la mise en scène. Et même là, ils ont dû réfléchir, écrire les bons prompts, affiner, corriger. L’IA ne pense pas à leur place. Nous avons aussi mis en place une équipe de mentors : Amy Ratsihoarana et Mathieu Baba, des étudiants de l’université des Mascareignes, Ziggy Police de l’Institut français de Maurice, pour guider les jeunes et veiller à ce que la dimension humaine reste première. Ce rôle d’accompagnement est indispensable, et fait partie de l’ADN du festival.
Pour finir, rien ne remplace la pensée, l’analyse, la créativité, le sens critique et la collaboration. Si nous mettons les humains avant l’IA, tout se passera bien. Et je crois sincèrement que c’est en restant collectifs, responsables et engagés aux côtés de notre jeunesse que l’IA deviendra un vrai atout pour leur avenir.
Mahend Gungapersad : « L’IA ne remplacera jamais les enseignants »
« L’Intelligence artificielle transforme profondément notre monde, et le domaine de l’éducation évolue en conséquence. L’IA constitue un secteur d’avenir incontournable, et il est essentiel que nos étudiants ne soient pas laissés pour compte : ils doivent s’y préparer activement », souligne le Dr Mahend Gungapersad, ministre de l’Éducation. Le ministère de l’Éducation, dit-il, a la responsabilité de transmettre aux élèves les compétences nécessaires pour utiliser ces technologies de manière éthique et en tirer le meilleur parti. « Si nos jeunes rencontrent aujourd’hui des difficultés face aux réseaux sociaux, c’est sans doute parce qu’ils n’ont pas été suffisamment préparés à l’école. Il convient de rappeler que l’IA ne remplacera jamais les enseignants. Au contraire, elle leur fournit des outils pour l’intégrer efficacement dans leur pratique pédagogique et pour guider les élèves vers une utilisation responsable. » Pour le ministre, une bonne préparation est indispensable : « Certains craignent que l’IA rende les enfants paresseux. C’est une idée reçue. En réalité, si nous ne les formons pas, ils risquent de l’utiliser de façon inappropriée. Notre mission est donc de les accompagner pour qu’ils deviennent des acteurs éclairés et responsables dans ce nouvel environnement numérique. »
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