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Quand le désespoir surpasse le rationnel 

Sarvesh Dosooye, psychologue, Rajen Suntoo, sociologue, Sonal Cheekhoree, sociologue et Vino Sookloll.

Face aux épreuves de la vie, nombreux sont ceux qui se laissent piéger par des gourous ou autres guérisseurs qui leur promettent monts et merveilles. Comment éviter ces manipulations ? 

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Le psychologue, Sarvesh Dosooye explique qu’il faut prendre en compte le profil des personnes qui ont recours aux gourous. En général, ce sont celles qui ont des problèmes et prêtes à tout afin de trouver une solution. Malheureusement, dans leur quête de voir enfin la lumière au bout du tunnel, elles ne vont pas nécessairement vers la meilleure personne. « L'état d'esprit est de trouver une solution. Une personne noyée s'accroche à une branche, presque désespérée pour trouver une issue, prête à tout essayer. La détresse entraîne un état de survie où l'on ne réfléchit pas. Le corps contourne le centre de réflexion, c’est-à-dire que la logique rationnelle n’est plus prise en considération, rendant la personne plus vulnérable », explique-t-il. 

Parfois, fait-il ressortir, les gourous utilisent un langage axé sur l'émotion plutôt que sur l'intellectuel. Il s’agit d’une approche qui vise à être plus convaincante. « Ce phénomène est également observé pendant les campagnes électorales où le même mécanisme est utilisé. On parle de manière non rationnelle, en touchant les désirs, besoins, aspirations et craintes des gens, provoquant ainsi des réactions émotionnelles », ajoute notre interlocuteur. Ce dernier fait remarquer que tout le monde ne va pas chez un psychologue. « Quand on va consulter un psy, on obtient des solutions nécessitant un effort personnel, pas des réponses rapides et magiques. Toutefois, ce n'est pas ce que les gens veulent. Ils cherchent à tout résoudre en un clin d'œil », indique-t-il. 

Jouer sur le côté émotionnel est le propre des gourous dans les cultes et les petits groupuscules. « Cependant, si une personne est consciente de ce phénomène, elle est plus prudente et donc moins à risque. Alors que celle qui ne comprend pas va trouver un réconfort dans cette assurance, pensant que cela va l'aider. Il y a un côté informatif et ensuite une complicité avec l’individu. On mise sur le lien. Si les gens sont similaires, il y a plus d'affinité, une technique de marketing très efficace. La personne vulnérable se sent comprise par quelqu'un d'autre, cherchant validation auprès d’autrui. Les gens manquent souvent d'estime sociale et ont besoin de se sentir bien en compagnie des autres », explique le psychologue. 

Sarvesh Dosooye affirme qu’il y a des individus qui manquent de confiance en eux pour résoudre leurs problèmes. Dans cette optique, ils cherchent une justification externe pour ne pas se sentir en tort. « Les gourous sont souvent excentriques. La manipulation peut ou non dépendre des intentions. Si c'est de la manipulation, alors toute publicité est de la manipulation. Cela dépend de l'intention derrière. Si quelqu'un fait quelque chose avec l’idée d'obtenir quelque chose en retour, dès lors c'est de la manipulation. Cette dernière peut être interprétée comme du marketing - la ligne entre les deux est fine », précise Sarvesh Dosooye. 

Vigilance

Le sociologue Rajen Suntoo affirme que ce phénomène est mondial et non spécifique à Maurice. Selon lui, on observe partout de nombreuses personnes pratiquant diverses religions, priant et croyant que la prière conduit au succès dans la vie. « Les guides spirituels sont nombreux, mais ces derniers temps, on remarque beaucoup de trafic parmi eux. Beaucoup ne sont pas formés et cela devient un problème. Les chefs religieux doivent rester vigilants, car cela devient un ‘business’ pour certains. Il y a des pseudo-guides et des menteurs professionnels qui font croire qu'ils peuvent faire des choses qu'ils ne peuvent pas  », indique-t-il. 

Selon lui, un grand nombre d’individus tombent dans les pièges, perdant de l'argent et s'égarant dans des affaires inutiles. « Ces pseudo-guides nuisent à ceux qui tombent dans leurs pièges, et c'est dommage de voir ce phénomène augmenter. Il est crucial que les chefs religieux forment leurs guides pour éviter cela. Il y a de bons guérisseurs qui utilisent la prière et des méthodes traditionnelles, mais aussi des charlatans. Dans tous les cas, quand les gens ont des problèmes et cherchent des solutions rapides, ils sont vulnérables et peuvent facilement se faire piéger », conclut-il.

Partie intégrante de notre « folklore »

Plusieurs raisons expliquent pourquoi tant de gens se tournent vers la religion en période de crise difficile, où ils ne savent plus vers qui aller pour trouver des solutions ou du réconfort. C'est ce qu'affirme l'anthropologue social et sociologue Sonal Cheekhoree. « C'est devenu presque un phénomène normal, surtout dans notre société 'stressée' par plusieurs facteurs, comme le coût de la vie, la criminalité et la perte de confiance envers les institutions, entre autres. Ces problèmes sont les symptômes d'une société qui ne se porte pas bien et qui lutte pour s'auto-guérir », souligne-t-elle.

Selon notre interlocutrice, des gens désespérés à la recherche de solutions voient souvent dans la religion un réconfort et une réponse immédiate à leurs problèmes. « Certains gourous poussent le bouchon trop loin, en promettant des guérisons instantanées, attirant ainsi ceux qui cherchent désespérément un soulagement », dit-elle. Ce phénomène n'est pas nouveau, fait-elle ressortir, car les gourous et les prêtres « la croisée » - comme on dit à Maurice - existent depuis toujours. D’ailleurs, cela fait partie intégrante de notre patrimoine culturel. Toutefois, aujourd'hui, avec les réseaux sociaux et les médias, ce phénomène est plus visible et partagé. « Il fait partie de notre folklore mauricien depuis des décennies. C'est une forme d'identité et d'appartenance pour beaucoup, rattachée à des pratiques pseudo-religieuses qui nous définissent en partie », indique-t-elle.

Sonal Cheekhoree ajoute qu’en période de désespoir palpable, où les solutions traditionnelles paraissent inefficaces ou inaccessibles, des gens se tournent vers le surnaturel en espérant trouver un répit. « Les systèmes de santé et d'éducation peuvent sembler défaillants, incapables de répondre efficacement aux besoins fondamentaux », avance-t-elle. Toutefois, certains gourous, souvent « opportunistes », exploitent la vulnérabilité des gens pour leur propre gain, profitant de leur désarroi financier et émotionnel. « Cela reflète un symptôme plus profond d'une société en crise, où la criminalité et la propagation de la drogue augmentent à mesure que le mal-être social s'intensifie », met notre interlocutrice en avant. 

Elle souligne que le contexte global, marqué par des guerres et des crises économiques, amplifie les difficultés. « Depuis la pandémie de Covid-19, une crise existentielle touche de nombreuses personnes, qui cherchent à comprendre le sens de ce qu'elles vivent. Les questions sur le but de la vie et la raison de faire des efforts deviennent centrales. Cette quête de réponses qui a commencé depuis la pandémie ne se résume pas qu’à Maurice. Malheureusement, les réponses à de telles questions fondamentales ne sont pas toujours faciles à trouver. Ce malaise sociétal est global et touche le monde entier avec de nombreux défis. Le manque d’opportunités et de perspectives, les secteurs de l'éducation et de la sécurité en difficulté, sans oublier les institutions qui peinent à maintenir leurs performances, voire perdent leur capacité à répondre efficacement aux crises, alors qu’elles sont censées apporter des solutions concertées ». Devant ces interrogations, la religion offre des réponses pratiques et fondamentales. Elle aide à donner un sens à la vie, à comprendre pourquoi les efforts sont nécessaires, et à trouver des explications aux événements difficiles. « Lorsqu'une personne se demande pourquoi elle traverse des épreuves ou pourquoi son enfant fait face à des difficultés comme la consommation de drogue, la religion propose des perspectives qui apaisent et donnent un sens d'orientation », indique-t-elle. Devant une telle situation, la pratique des gourous et des guérisseurs prend également de l'ampleur. « Certains se présentent comme capables de résoudre divers problèmes, se positionnant comme des guérisseurs. Qu'elles soient véridiques ou non, ces pratiques méritent des études approfondies pour comprendre leur origine et leur efficacité », fait-elle ressortir. 

La tentation guette 

De nombreuses personnes sont « facilement tentées », en particulier avec l’essor des publicités sur les réseaux sociaux. Vino Sookloll, Innovative Brand & Creative Consultant, concède que les diverses offres sur ces plateformes, comme les vidéos où l'on voit des gourous à l’œuvre, peuvent être tentantes, surtout pour les personnes qui se sentent vulnérables ou désespérées en raison de difficultés financières, de maladies graves ou d'autres crises personnelles. « Ces plateformes permettent maintenant des démonstrations en direct et des ventes directes. Cela multiplie les opportunités pour ceux qui cherchent à attirer des personnes en souffrance à solliciter leur aide ou à acheter divers produits », affirme-t-il. Les réseaux sociaux, selon lui, offrent une liberté presque totale. Ainsi, il est complexe pour les gouvernements de réguler efficacement ces plateformes où des milliards de messages sont échangés chaque jour. « Bien qu'il existe des algorithmes pour bloquer certains types de contenus, comme le terrorisme, il reste difficile de contrôler complètement les activités malveillantes ou trompeuses », souligne-t-il.

Pour lui, l’éducation aux dangers qui guettent sur les réseaux sociaux doit se faire à l’école. Les adultes doivent être aussi sensibilisés aux risques associés aux gourous et aux charlatans en ligne. « Les réseaux sociaux sont devenus des outils de marketing extrêmement puissants, permettant à n'importe qui de devenir un influenceur et d'influencer des groupes entiers de personnes. Il est important de comprendre ce comportement humain et aider à distinguer le vrai du faux dans un monde où tout peut sembler positif ou négatif en fonction des commentaires et des interactions en ligne », fait remarquer notre interlocuteur. Il considère que l’éducation à la littératie médiatique est vitale, car elle permet aux gens de juger de manière critique ce qu'ils voient et entendent sur Internet. Il explique : « Bien que ces plateformes offrent des possibilités extraordinaires pour la diffusion d'informations et de contenu, elles posent aussi des défis majeurs en matière de confiance et de véracité ».

Père Philippe Goupille : « L’accompagnateur spirituel doit faire très attention de ne jamais manipuler la personne qu’il reçoit »

Père Philippe GoupilleDans toutes les religions, nous avons des hommes ou des femmes d’une profonde spiritualité qui accompagnent ceux et celles qui cherchent la lumière ou comment gérer un problème de la vie de tous les jours. Nous les appelons accompagnateurs spirituels dans les religions chrétiennes. Leur rôle est d’écouter battre le cœur de la personne souffrante qui cherche une réponse à un problème existentiel. L’accompagnateur spirituel doit faire très attention de ne jamais manipuler la personne qu’il reçoit. Malheureusement, cette tentation existe. Il y a des accompagnateurs spirituels ou des gourous qui se servent de leur pouvoir non pas pour aider la personne à se libérer de ses blocages psychologiques ou spirituels. Au contraire, ils cherchent à l'attacher à eux et à la rendre prisonnière de leur propre mental. Il faut dénoncer cette déviation profonde et dangereuse des accompagnateurs spirituels, qui au lieu d'aider une personne à grandir, cherchent à la rendre esclave, l'empêchant ainsi de s'épanouir spirituellement et humainement.

Dans la religion catholique, il existe un contrôle important exercé sur les accompagnateurs spirituels, visant à discerner s'ils servent véritablement la personne en souffrance ou s'ils cherchent à en tirer profit pour eux-mêmes. Je ne suis pas certain si d'autres religions ont un processus similaire de vérification pour ceux engagés dans un travail spirituel crucial où les dérives peuvent survenir. Il serait pertinent d'interroger des personnes mieux informées que moi sur l'accompagnement spirituel, notamment les gourous, et leur engagement à aider les fidèles à croître spirituellement.

 

 

 

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