Quitte à se mettre eux-mêmes en danger, de nombreux Mauriciens sont plus que jamais prêts en découdre. N’ont-ils plus confiance dans nos institutions pour se muer en justiciers ?
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Commentant le viol d’une fillette de 10 ans par un voisin, un proche de celle-ci estime que cet acte est répréhensible. Le présumé pédophile a échappé à une castration, il y a deux semaines.
« Nous avons ressenti un sentiment de révolte quand nous avons appris la nouvelle. Sur le coup, on n’arrive pas à distinguer entre le mal et le bien, car, on veut punir le présumé coupable », explique-t-il.
« Ils ne méritent pas la belle vie en prison. C’est trop facile de les envoyer dans un hôpital psychiatrique, d’où ils sortiront après quelque temps et pourront refaire la même chose. Concernant les pédophiles, violeurs ou criminels, le système judiciaire laisse à désirer. Les sentences ne sont pas assez sévères pour qu’ils puissent tirer des leçons de leurs actes. Une fois libérés, ils récidivent », estime notre interlocuteur.
Il réclame l’introduction de la peine de mort pour les crimes odieux. « En Inde, les accusés d’un viol collectif sont condamnés à mort. À Maurice, les accusés ont toutes les facilités pour mener une vie paisible en prison », ajoute-t-il.
« La vie de ma nièce n’est plus la même. Elle n’arrive pas à fermer l’œil. Elle vit dans la peur. Cet homme a violé son innocence. Il mérite la mort », dit-il. La famille de la fillette envisage de plier bagages, afin de redonner le sourire à la petite.
Lois insuffisantes
S’il est interdit de se défendre, que doit-on faire quand un événement se produit mettant notre vie ou celle de nos proches en danger ? C’est ce que demande Vipin B. Il a été arrêté pour avoir agressé ses deux collègues, il y a deux ans.
« Je trouve que les lois ne sont pas du tout sévères à Maurice. Il y a la perception que les autorités n’agissent pas d’une façon juste. Malgré l’intervention des policiers, une énième dispute entre deux voisins peut se terminer en une bagarre sanglante, voire mortelle », fait observer le jeune homme. Selon lui, les mesures protectrices ne suffisent pas. Cela pousse certains à se défendre eux-mêmes, lors d’une altercation, d’une bagarre familiale, entre autres.
Malgré la bonne volonté de la force policière et du secteur judiciaire dans le combat contre le mal, les fauteurs de trouble récidivent. Et de nombreuses victimes continuent à subir les coups. Tel a été le cas de Daniel V., 38 ans, qui a été agressé au sabre à la tête par son locataire. La raison évoquée : des loyers impayés.
« La vie de Daniel a basculé après cet incident. Il a été grièvement blessé. Après un mois d’hospitalisation, il est alité et partiellement paralysé. Il survit avec sa pension d’invalidité », raconte sa compagne.
Il existe plusieurs circonstances dans lesquelles les gens sont contraints de prendre la justice en main. Comme dans le cas du lynchage d’un voleur pris en flagrant délit, un règlement de compte, une agression conséquente, voire mortelle, entre autres.
Quelles sont les raisons qui poussent à faire justice soi-même ? Selon Zuheira Ameer, sociologue, la raison principale serait la perte de confiance en nos institutions.
« Certains estiment qu’on doit attendre trop longtemps pour que justice soit faite, alors que d’autres sont d’avis que la loi n’est pas assez sévère. Dans plusieurs cas, une caution après un vol ou un autre délit devient une banalité et cela a tendance à rendre les gens furieux. Ils n’ont plus confiance dans les institutions. La peine infligée par les autorités n’est pas assez sévère pour punir le suspect. Cela ne va rien changer et il va récidiver. C’est ce que plusieurs personnes pensent », indique-t-elle.
Une autre raison est le manque d’information, précise la sociologue. « De nombreuses personnes ne sont pas assez informées par rapport aux lois. Elles ne savent pas quelles sanctions elles risquent en prenant la justice entre leurs mains. Elles pensent qu’elles ont le droit d’agir, mais ne savent pas que c’est illégal », dit-elle.
Cependant, notre interlocutrice soutient qu’il ne s’agit pas forcément d’ignorance, mais de besoin de satisfaction immédiate. « Nous avons une génération qui n’est pas soumise, mais de nature rebelle. On n’accepte plus qu’on fasse du mal à notre entourage. On veut tout avoir et immédiatement. L’intolérance prend le dessus et on ne respecte pas les règles établies du système », poursuit-elle.
Au lieu de sanctionner, Zuheira Ameer affirme qu’il faut éduquer. « Une éducation de masse doit être privilégiée pour améliorer la situation. Un système de renforcement positif, au lieu de sanctions, crée un sens de citoyenneté. Il faut suivre l’exemple des autres pays. Par exemple, en Hollande, la fermeture des prisons démontre que l’accent est mis sur le capital humain. Ce pays croit dans l’éducation et non pas dans la punition », fait-elle observer.
Lynchage mortel
Vishal Doorgah avait kidnappé une fillette de 8 ans avant de la laisser s’en aller, en mars 2013, à Gokhoola. Fous de colère, les habitants du village auraient agressé le présumé kidnappeur avant de le remettre à la police. Peu après, Vishal Doorgah a succombé à une défaillance rénale. Il avait les côtes fracturées et le poumon écrasé. L’enquête policière a abouti à l’arrestation de treize habitants de la localité.
Saint-Pierre : agression d’un voleur de choux-fleurs
Menon Meetoo a appris à ses dépens à ne pas convoiter la propriété des autres. Ce récidiviste a été pris en flagrant délit, faisant main basse sur des choux-fleurs dans une plantation à Saint-Pierre. Il a été sauvagement agressé à coups de gourdins par un planteur, avant d’être livré à la police de la région. Une scène montrant la confession de Menon Meetoo a été également filmée et postée sur les réseaux sociaux. Le clip a fait le buzz sur Facebook.
Que dit la loi ?
Faire justice soi-même est illégal. Ceux qui agressent un présumé violeur, voleur ou meurtrier commettent un délit, à moins qu’ils n’aient agi en légitime défense. C’est ce qu’explique Me Germain Wong.
« Il n’y a ni crime ni délit lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense, comme prévu à la Section 246 du Code criminel. Tout délit de meurtre, ainsi que les blessures et les coups sur le présumé violeur, voleur ou meurtrier sont excusables, à condition qu’ils aient été provoqués par des coups ou violences graves. Comme prévu par la section 230 du Code criminel. Lorsque la blessure, le coup, la violence ou le voie de fait n’a pas occasionné de maladie, d’incapacité de travail personnel, le coupable est passible d’une peine d’emprisonnement qui ne pourra excéder deux ans et d’une amende qui n’excédera pas Rs 50 000. Cependant, s’il y a une incapacité de travail pendant plus de vingt jours, le coupable est passible d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas dix ans et d’une amende n’excédant pas Rs 100 000. Éventuellement, si la victime décède, le coupable risque une servitude pénale ne dépassant pas 60 ans. »
Shiva Coothen : «Le mal ne reste jamais impuni»
Nul ne peut faire justice lui-même, fait ressortir l’inspecteur Shiva Coothen. Le système légal du pays, souligne le responsable de la cellule de communication de la police, est l’institution qui décide du sort du contrevenant, qu’il soit un meurtrier, un voleur, un violeur...
Le terme « misdemeanor » est utilisé, en général, pour les personnes qui prennent la justice entre leurs mains.
« Ce délit est passible de poursuites », explique l’inspecteur Shiva Coothen. Une servitude pénale de vingt ans et une amende ne dépassant pas Rs 100 000 sont prévues à cet effet.
Pourquoi les gens font-ils justice eux-mêmes ? « C’est l’ignorance qui incite la personne à prendre l’affaire en main, sans réfléchir et sans se soucier des conséquences de ses actions. La personne se laisse emporter dans le feu de l’action. Ce sont les émotions qui poussent à commettre l’irréparable. En d’autres mots, la personne perd la maîtrise de soi », explique l’officier.
« Le mal ne reste jamais impuni. Dans ce contexte, le délit est excusable, aussi bien que punissable », ajoute-t-il. Toutefois, il conseille aux gens de réfléchir à deux fois avant de prendre une telle décision. « Il faut aider la police au lieu de faire justice soi-même. Par exemple, si vous avez coffré un voleur en flagrant délit, livrez-le à la police au lieu de le punir. Sinon, vous aurez des ennuis avec la justice », fait-il observer.
Les lois devraient-elles être renforcées ? Me Germain Wong est d’avis qu’un durcissement de la loi ne va pas résoudre ce problème. « Ces personnes qui prennent la justice entre leurs mains réagissent simplement sous le coup de la colère ou sont impulsives. C’est pourquoi la police doit être prompte à arriver sur place pour éviter tout débordement. »
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