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Protection Money : une ruse bien rodée qui rapporte... gros

Recevoir le Protection Money serait chose courante pour certains éléments de la force policière. Des officiers de la brigade antidrogue (Adsu) et ceux opérant dans certains postes de police sont pointés du doigt. Dans la pratique, ce sont les trafiquants de drogue qui remettent de l'argent aux officiers de police en échange d’une « protection » ou d’informations communiquées en « primeur » concernant les raids prévus par la brigade. De grosses sommes d'argent en liquide seraient distribuées. 

L'ancien Deputy Commissioner of Police (DCP) Dev Jokhoo a passé 43 ans dans les forces. Selon lui, la pratique du Protection Money a « toujours existé ». Il n’en démord pas. « Les informateurs des officiers de l’Adsu, qui, jadis, n’étaient que des petits trafiquants, sont aujourd'hui des barons de drogue. C’est un lien difficile à briser. Certains de ces gros bonnets dénoncent d’autres barons qui leur barrent la route et remercient les policiers qui ont mené l’opération en leur remettant forcément une enveloppe remplie de billets de banque », avance l’ancien haut gradé. Mais comment l'argent est-il remis aux policiers ? Un autre DCP, maintenant à la retraite, accepte de dévoiler l'un des modes opératoires employés pour la répartition du Protection Money aux policiers. 

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Une enveloppe sous conditions…

« La somme d'argent est remise à l'un gradé ou haut gradé, responsable de l’unité. Dir ou vin ‘briefing’ ouswa enn reyon lerla donn sak gard so ‘share’ enn par enn », précise l’intervenant. Dev Jokhoo se remémore d’un épisode où son supérieur hiérarchique lui aurait remis une enveloppe sous conditions qu’il devait « protéger » un individu qui opérait une maison de jeu qui était la « source de tous les vices » dans une région de l’Est. « Lorsque j'étais inspecteur de police, je m’occupais de la région de Flacq. Un individu gérait une maison de jeu qui causait beaucoup de problèmes dans la région. Un jour, mon supérieur m’avait appelé. Durant l'un de nos briefings, il m’avait remis une enveloppe contenant de l’argent. Inn dir mwa less sa operater-la trankil. Mais j'ai refusé l'argent en arguant que le fait de verbaliser tout hors-la-loi faisait partie de mon travail », dit-il.

« Des policiers corrompus »

L'ancien assistant-surintendant de police (ACP} Hector Tuyau, qui était lui-même affecté à l’Adsu, a également été sollicité pour le besoin de notre enquête. « Il y a des policiers corrompus dans le monde entier », dit-il. « Notre force policière n'est pas une exception ». L'ancien haut gradé démolit toutefois la thèse que des officiers toucheraient l'argent des trafiquants contre des « faveurs ». « Certains officiers de police refilent des renseignements à des trafiquants de drogue. Je ne pense pas que le Protection Money existe au sein de la police », soutient-il. 

Le Défi Plus a approché un officier qui a passé environ 11 ans au sein de l'Adsu. L’enquêteur chevronné, sous le couvert de l'anonymat, avoue, lui, que « le Protection Money existe bel et bien au sein de cette unité spécialisée qui lutte contre le trafic de drogue ». Notre intervenant souligne que cette pratique est un délit grave tombant sous la section 307 du Code pénal. « C’est, précise-t-il, une forme d’extorsion ». 

Montant perçu

« Gayn ‘Protection Money’ enn kozer ki kouran dan l’Adsu. Kan ou rant dan l’Adsu ou bann koleg pou koumans koz ‘Protection Money’. C’est connu d’un bon nombre d'officiers de l’Adsu ayant mené diverses opérations. Ils touchent de l’argent en liquide des mains des trafiquants et autres barons de drogue contre des faveurs. L’argent est bien souvent remis à des hauts gradés. Zot fer sa pou pa fer 'case' kont zot swa pou fer zot kone kan pou ena loperasion », indique un informateur. 

Selon lui, les policiers seraient « rémunérés en fonction de leurs rangs ». Un constable pourrait, indique-t-on, percevoir environ Rs 5 000 ; un caporal Rs 6000 et un sergent, Rs 8 000. Le haut gradé de l'équipe, selon l’intervenant, se taille... « la part du lion ». « Il y a des hauts gradés qui possèdent des berlines flambant neuves, des maisons pied dans l'eau ou encore dans des palaces construits dans des morcellements huppés. Kouma ou explik sa ? Pa vinn dir nou inn aste sa are loan ‘Mutual Aid’ ! » dit-il. 

Est-ce que tous les trafiquants remettent un Protection Money aux policiers de la brigade antidrogue ? « Il y a un grand nombre de trafiquants de drogue qui le font. Généralement, c’est le trafiquant qui propose de l’argent aux officiers. Ils diront aux policiers : ‘Mo pou donn ou ‘Protection Money’ pa aret mo bizness’. C’est ainsi que certains policiers se laissent tenter par l’argent facile », fait-on comprendre. 
« Traffickers can offer more »

Hector Tuyau est d'avis que c'est « l’appât du gain » qui pousse certains policiers à se laisser corrompre. Mais comment freiner cette pratique malsaine qui ronge la police ? Dev Jokhoo est d'avis qu'il faut impérativement réintroduire le système de ‘Reward Money’ accordé aux officiers qui mènent des opérations fructueuses. 

Le rapport de la commission d'enquête sur la drogue présidée par l'ancien juge Paul Lam Shang Leen précise d'ailleurs que le ‘Reward Money’ doit être accordé à tous les officiers de l’Adsu. « The Commission is told that for every successful conviction, the team is given a reward which officers share amongst themselves on an agreed ratio. The system forgets those who perform office work or those in the intelligence unit. The Commission understands that it is left to the goodwill of the team to share with the officers in the administration or not. This method creates a sense of frustration (…) The Commission is more favorable to a system where all the officers whose duties carry a higher risk to be covered by an insurance policy on top of whatever scheme of compensation provided by the authority in case of death on duty for all officers (…) Whatever amount they get as reward, certainly the traffickers can offer more. Reward Money is therefore a dangerous double edge knife », stipule le rapport. 

Shiva Coothen : « Il faut à tout prix décourager cette pratique »

Shiva CoothenLe Défi Plus a contacté le responsable de la brigade antidrogue (Adsu), le Deputy Commissioner of Police (DCP) Choolun Bhojoo pour un commentaire. Mais il est resté injoignable au téléphone. 

Nous nous sommes cependant tournés vers l’inspecteur Shiva Coothen, le responsable de la cellule de presse de la police. Ce dernier dit « ne pas être au courant » de cette forme de corruption. « Mais, il faut à tout prix décourager cette pratique. Ceux qui sont au courant de ces agissements doivent venir de l’avant afin de dénoncer, avec des faits, et des faits vérifiables, les policiers impliqués. Il y a la Commission anticorruption (Icac) et le Central Criminal Investigation  Department (CCID). Une enquête sera immédiatement initiée à la suite des dénonciations qui seront formulées », déclare l’inspecteur Shiva Coothen. 

Le haut gradé ajoute qu’une politique de zéro tolérance sera appliquée envers les policiers qui se livrent à cette forme de corruption. « La lutte contre la corruption au sein de la force policière est le cheval de bataille du Commissaire de police. Il est d’ailleurs disposé à rencontrer tout individu qui dit détenir des informations dans ce sens », termine l’inspecteur Coothen.

 

 

 

 

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