Ils sont connus pour être des encyclopédies de la vie, censés passer le relais de leur savoir. Mais pour certains, ce ne sont qu’une vache à traire ou un punching ball. Malgré des lois pour les protéger, nos vieux demeurent une proie facile pour les prédateurs de tout poil. D’où le besoin de durcir la législation, dans un pays où l’on comptera en 2037 quelque 323 715 de ces sages.
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Tellement les agressions, les vols et les arnaques sont devenus monnaie courante, personne ou presque ne prête attention au calvaire que vivent nos aînés. Il y a une banalisation à outrance de ces travers envers nos vieux. Nos législations datant de 2005 et qui auraient dû les protéger sont, soit désuètes, soit méritent d’être remises à jour, avec de nouveaux dispositifs de dissuasion, ou encore de s’inspirer de ce qui se fait ailleurs de meilleur en les mettant au goût du jour.
Cet avis est partagé par pas mal de professionnels, d’Ong et de travailleurs sociaux. Ceux-là disent vivre quotidiennement des manquements légaux qui peuvent pénaliser à outrance les personnes du troisième âge.
Toutefois, l’interprétation de la maltraitance est à géométrie variable, comme nous l’explique le Prof.Armoogum Parsuramen de la Global Rainbow Foundation : « D’abord, il faut que les vieilles personnes sachent distinguer ce qu’est la maltraitance, car souvent elles en sont victimes mais passent cet état des choses comme des caprices passagers. Alors que les signes précurseurs sont visibles et surtout palpables ».
À ce titre, Armoogum Parsuramen estime qu’il y a des lacunes dans nos législations qu’il est nécessaire de rectifier. « Il y a un manque de suivi de la part du Elderly Watch, censé prendre les doléances des vieux et les faire remonter jusqu’aux autorités, sans compter que le Elderly Persons’ Protection Order est souvent bafoué, si ce n’est mis à la poubelle », constate-t-il.
Ce que réfute Hussad Ramjhun, président du Elderly Watch regroupant des villages comme Bellevédère, Lallmatie, St-Julien Village, Camp de Masque Pavé, entre autres. Pour lui, « le Elderly Watch se veut pragmatique, car quand nous recevons des doléances, il n’est souvent pas nécessaire de les renvoyer vers les autorités qui vont prendre du temps pour analyser le problème, alors que nous sommes une équipe sur le terrain où nous tentons de trouver une solution rapide et efficace en dialoguant avec ceux concernés ».
Toujours au chapitre de la maltraitance de nos adultes, le Prof. Parsuramen est d’avis que les diverses législations couvrant ce genre de délits se doivent d’être disséminées aux quatre coins de l’île, quitte à placarder des affiches visibles à la fois contre les prédateurs et contre ceux et celles qui se font maltraiter. « Souvent, on note qu’aussitôt l’ordre de protection obtenu, les abuseurs violent cet ordre de la cour et harcèlent davantage. Je préconise que les peines soient durcies jusqu’à des peines d’emprisonnement, ne serait-ce que pour quelques semaines, pour faire réfléchir à mille fois les agresseurs », souligne-t-il.
Vol d’argent
Quand il s’agit de maltraitance répétitive, Hussad Ramjhun avance également que la solution réside dans des peines sévères, « après que la médiation ait échoué », tandis qu’Armoogum Parsuramen explique qu’il arrive que les vieux ne rapportent pas les violences qu’ils subissent, estimant que personne ne les croira, pas même les autorités policières.
« Il est regrettable qu’une telle chose se passe continuellement, alors qu’il suffit souvent de mener une petite enquête dans le voisinage des plaignants pour être en présence des faits réels », dit-il.
De son côté, Suresh Ramgoolam, président de la plus vieille association du troisième âge avec ses 60 ans d’existence, raconte qu’il reçoit des doléances de ses membres et qu’il y a un délit qui est récurrent : « Au lieu d’aider les vieilles personnes, leurs enfants les dépouillent, que ce soit en volant leur carte de pension de vieillesse ou alors leurs carnets bancaires, d’autant que ces vieux ne savent souvent ni lire ni écrire ». Le septuagénaire ajoute que « c’est la drogue le mal des jeunes, ils ne veulent pas bosser, n’ont aucune valeur humaine et pillent sans vergogne pour satisfaire leur manque quotidien ». Il ajoute qu’il préfère voir cette catégorie de vieilles personnes vivre dans des maisons de retraite, « quoi que ce nem soit guère brillant, mais au moins elles ne sont pas victimisées physiquement ».
Toujours est-il que nos lois existantes ont un urgent besoin d’être rajeunies, dépoussiérées et mises à jour pour que nos vieux puissent enfin dormir sur les deux oreilles. Sans peur de se voir agresser, tant physiquement que moralement. Il suffit souvent d’un petit geste pour soulager une grande détresse.
Ce que disent des lois américaines
Il est de bon ton de copier-coller des lois existant ailleurs, mais ceux qui sont « well versed » dans le combat contre la maltraitance envers les vieux pensent « qu’il suffit souvent d’un petit changement sur mesure à ces législations pour apporter du soulagement physique et surtout mental à nos vieilles personnes ».
Pour sa part, Me Neil Pillay avance que « the child is the father of the man » et certains jeunes ayant peu d’attaches avec leurs aînés et moins de valeurs. Pour ce qui est du durcissement de nos lois par rapport à ce que proposent la Californie et l’Ohio, Me Neil Pillay a ceci à dire : « Je pense que cette question devrait être adressée aux décideurs politiques de ce pays. Mais n’oublions pas que le contexte américain et le nôtre sont différents. À Maurice, nos lois sont correctes, mais souvent nous avons des gens qui abusent de ces lois avec parfois des allégations non-fondées et des motifs ultérieurs provoquant des déclarations à la police ».
Hema Gulab : Ode aux vieux
Elle n'a que vingt-quatre printemps, pourtant elle porte dans son cœur de jeune femme les vieux de son pays. Hema Gulab, Pooja (Bhat comme l’actrice) pour les intimes, est de celles qui ont choisi un sujet qui peut paraître ringard, de prime abord. Elle en a fait tout un plat.
Eldery abuse: human rights est le titre du mémoire qu’elle a présenté dans le cadre de sa licence en droit à l’Université de Maurice. Elle a obtenu un 2nd Class First Division pour l’ensemble des modules qu’elle a passés : le Code criminel, le Droit civil, Mauritian Law, International Criminal Law, Droit pénal spécial, Criminal Process, Human Rights Negotiation in Criminal Justice, Principles of the Law of Evidence and Anti-Corruption Law Laws for elderly abuse.
Alors qu’on la considère volontiers extravagante, elle est plutôt de style téméraire. Jeune femme fonceuse issue du Sud profonf, Pooja de Camp Diable a porté son choix sur l'encadrement des personnes du troisième âge. Dans sa famille, ils vivent presque en autarcie, les maisons se jouxtent et les familles sont loin d'être nucléaires. « Chacha, poupou, chachi, dadi, dada, mamou, behenji, on est une grande famille. Pas question de parquer nos vieux dans des homes, car ils sont une source de solidarité et d'entraide. Ils ne demandent pas un retour d'ascenseur, mais uniquement une dose de compassion et un zeste d'amour », nous dit Pooja, d'une voix à peine audible.
Quelle mouche l'a donc piquée pour prendre un sujet pour le moins aride, elle qui est à la fleur de l’âge ? Alors qu’elle fréquentait la SSS de Rivière-des-Anguilles, Pooja s'est forgée un caractère de battante. Le déclic lui est venu lors d'une sortie scolaire, ces indécrottables outings obligatoires, pour une visite à l'ashram de Belle-Vue. Là, c'est presque le choc culturel : « Jai fait la rencontre d'une vieille dame me rappelant ma dadi et elle se plaignait de devoir vivre dans cette maison de retraite loin des siens, mais c’était pour son bien physique. Je lui ai posé la question de savoir pourquoi elle avait peur et elle m'a tendu les paumes de ses mains. Elles étaient brûlées. Le coupable ? Sa belle-fille, avec la complicité tacite de son fils,» m'a-t-elle dit en larmes.
De cette rencontre, somme toute fortuite, Pooja va faire sien un combat qu'elle veut mener avec, pour seule arme, son stylo. « Je voulais coucher sur papier ce sentiment d'absence de protection de nos vieux, même s'il existe des lois » qui, pour elle, demandent à être revisitées et mises à jour.
Avec cette image de la vieille du Nord en tête, Pooja va proposer son sujet de prédilection à son 'coach' Didier Michel de l'UoM, qui insistait pour qu'elle se montre originale. Celle qui a fait un stage en entreprise à l'étude de Me Rex Stephen sera l'avocate du diable, pour nos aînés en ce qu’il s’agit de protection basée sur les lois existantes. « J'ai commencé à faire des recherches sur Internet. D'abord, je me suis attaquée aux lois de Maurice, puis je suis allée voir ailleurs ce qui se faisait et était mis en pratique. Là, j'ai réalisé que nous étions à des années lumière de certains pays développés, surtout de deux états américains, la Californie et l'Ohio », raconte Pooja.
Qu'ont-ils de si particulier nos amis américains ? Réponse de Pooja : des lois, rien que des lois et encore des lois. Uncle Sam, hats off, même si... « Pour moi, il serait bien que Maurice apporte ces amendements à nos lois pour le bien de nos aînés et pour tirer la sonnette d’alarme à l’intention de ceux qui mijotent de faire du mal aux personnes du troisième âge, leur faire comprendre que des sanctions sévères au criminel les attendent au tournant », ajoute Hema Gulab.
Elle conclut que si les autorités mauriciennes vont dans le sens de leurs homologues américains, « ce serait une joie pour moi qui suis très attachée aux aînés du pays »
Questions à Me Jenny Moteealloo : «Le Protection Order n’est pas très connu»
Les agressions contre les personnes du troisième âge sont fréquentes et notre législation n’est pas spécifique quant aux abus physiques et autres, subis par nos vieux. Faut-il revoir ces lois ?
À Maurice, il y a l’Elderly Protection Act de 2005, qui régit la protection des personnes âgées. Cette loi, en vigueur depuis 2005, offre une certaine protection aux personnes vulnérables.
Elle prévoit même l’octroi d’un Protection Order par un magistrat d’une cour de district en cas de violence ou de maltraitance envers les personnes âgées. Cependant, il est dommage que ce recours ne soit pas très connu par les victimes.
Tout comme dans les cas de violences domestiques, il y a des personnes qui font fi du Protection Order. Que faire dans ce genre de situation ?
Si une personne ne respecte pas cet ordre, elle sera poursuivie pour « breach of Protection Order » et sera passible d’une amende. Il est certain que cette personne va récidiver. Je pense que la lutte contre la violence envers les personnes âgées doit se faire en amont, c’est-à-dire que l’éducation des enfants est très importante. Il faut leur montrer le respect des autres, valoriser la contribution des personnes âgées.
Quand des proches s’en prennent à leurs grands-parents et sont poursuivis, ne faut-il pas considérer ces délits comme criminels au lieu qu’ils s’en sortent par une simple mise à l’amende ?
Ces délits sont criminels mais sujets à une amende. Je pense que notre loi devrait traiter ce genre de cas comme une circonstance aggravante d’agression au lieu d’un « simple assault ».
Faudrait-il classifier les délits commis selon l’âge de la vieille victime et que la justice sanctionne selon ces considérations ?
Nous parlons alors de circonstances aggravantes quand les délits sont commis sur les victimes âgées.
En Californie et en Ohio, deux États américains, il existe des lois qui, volontairement, surprotègent les vieux. Pourquoi pas à Maurice ?
C’est une politique gouvernementale qui doit être mise en place par le ministère de tutelle. Il y a des pays qui ont la volonté d’agir contre ce type de délits et ainsi protéger davantage les personnes âgées.
Souvent, on note que des proches dévalisent les vieux et ne sont poursuivis que pour une pecuniary loss. Ailleurs, comme en Californie et dans l’Ohio, les institutions bancaires sont obligées de reporter tout retrait douteux avant de décaisser l’argent. Est-il possible de le faire à Maurice ?
Nous parlons de maltraitance financière. À Maurice, en cas de vols de cartes de pensions ou bancaires, l’auteur est poursuivi pour larceny or embezzlement. Les banques mauriciennes ont déjà un mécanisme mis en place quand elles détectent toute transaction suspecte. Quand les retraits sont faits au distributeur, l’auteur a souvent le code de la victime, il est alors difficile pour les banques de prévenir cela.
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