Mère de quatre enfants, cette trentenaire dit vivre de la prostitution, n’ayant d’autre choix. « Qui embaucherait une prostituée, de surcroît toxicomane ? » lance-t-elle. Elle confie qu’elle connaissait Maëva Edouard, dont le corps sans vie a été retrouvé à la mi-octobre.
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«Enn sel metie monn kone dan mo lavi. Se vann mo lekor. » Josiane (prénom d’emprunt), a 37 ans. Et cela fait une vingtaine d’années qu’elle se prostitue. Pas par plaisir, souligne cette habitante d’un faubourg de la capitale, mère de quatre enfants. Mais par « obligation ».
« Dir mwa, ki dimounn pou aksepte pran enn prostitue ek toxicomann pou travay ? Mo pe vann mo lekor pou nouri momem ek mo zanfan. Kisanla pou vinn donn ou enn dipin sek kan ou zanfan pena nanien pou amenn lekol ? » lâche la trentenaire qui est séropositive et sous traitement de la méthadone. « Mo kone ki zame enn zour monn kit mo zanfan san manze. Mem enn ti kas permet nou aste mine apollo pou nou manze. Mo sorti pou al tras mo lavi pou nouri zot », soutient Josiane.
Boukou fwa monn sap dan lamor anba pon avek bann klian violan, bann residivist»
Ainsi, depuis plus d’une vingtaine d’années, chaque jour, elle « tras enn ti lavi », en faisant le trottoir. Pendant la journée, elle opère au jardin de la Compagnie et le soir, à proximité d’une maison de jeux. Auparavant, elle s’adonnait à cette activité sur la route Nicolay et aussi à Grand-Baie.
Sa vie, raconte Josiane, a basculé à l’adolescence. À l’âge de 15 ans, elle se met en couple avec un toxicomane, qui était également proxénète. Elle a deux enfants avec lui. Quelque temps après, elle tombe dans l’enfer de la drogue et commence à consommer de l’héroïne.
Pour obtenir de l’argent, son compagnon ne trouve rien de mieux que de la « vendre » à des marins taïwanais à Caudan. Tentée par l’agent facile, Josiane finit par en faire son métier. À la mort de son compagnon en prison des suites du VIH sida, il y a plus d’une dizaine d’années, elle se met en couple avec un autre toxicomane avec qui elle a eu un enfant. Quant à son dernier-né, elle ne sait pas qui est le père. « Kapav pou enn klian sa… » murmure-t-elle.
Depuis qu’elle se prostitue, Josiane a été arrêtée à plusieurs reprises pour plusieurs délits, notamment possession de drogue, « soliciting male for immoral purposes » et récemment « bearing offensive weapons ». La prison, dit-elle, est sa seconde maison depuis une vingtaine d’années. À maintes reprises, elle a dû purger des peines allant jusqu’à six mois de prison.
Mo kone ki zame enn zour monn kit mo zanfan san manze. Mem enn ti kas permet nou aste mine apollo pou nou manze»
Ce métier, poursuit-elle, n’est pas sans risque. D’ailleurs, plusieurs filles de joie ont perdu la vie dans des circonstances terribles. Josiane confie qu’elle connaissait bien Maëva Edouard, 22 ans, dont le corps sans vie a été retrouvé sur un terrain en friche à Roche-Bois le 19 octobre. Le compagnon de cette dernière, Stephan Simon, 42 ans, après avoir nié toute implication dans cette affaire, a fini par passer aux aveux.
Josiane raconte avoir croisé Maëva Edouard à plusieurs reprises. « Li sagrinan. Mo ti ena mo kamarad Milazar si zot inn touye. Ena plizier finn gagn lamor. Sirtou aster enn bann zen akoz ladrog sintetik pe tom dan prostitision kouma Maëva. Momem boukou fwa monn sap dan lamor anba pon avek bann klian violan, bann residivist », soupire la trentenaire.
Cette dernière poursuit que ses deux fils sont également tombés dans le fléau de la drogue synthétique. L’un deux est actuellement en prison pour vol et l’autre vient d’être libéré.
Josiane, elle, ne sort pas trop souvent pour vendre ses charmes. « Mo ena bann ti lezot trasman. Avek metadonn mo pa tro bizin droge, me parfwa kan pena nanien dan lakaz lerla oblize », lâche-t-elle.
Cindy Trevedy de l’ONG Ailes : « Ces filles de joie sont livrées à leur sort »
Cindy Trevedy, Peer Educator de l’association Ailes, connaît bien le calvaire quotidien de ces filles de joie : répression, stigma, rejet... Elle affirme que ces femmes sont des êtres humains et aussi des mères de famille qui se sont retrouvées par les circonstances de la vie à pratiquer cette activité. « Même si elles n’ont pas été forcées à le faire, elles subissent des humiliations et des agressions physique et morale. Elles ne savent pas à quel saint se vouer pour réclamer justice et aide », avance Cindy Trevedy.
Souvent, observe-t-elle, les autorités tournent le dos à ces femmes lorsqu’elles sont victimes de violence. À ce moment-là, elles ont recours à un travailleur social pour les accompagner au poste de police pour déposer plainte et obtenir l’assistance nécessaire.
Selon la Peer Educator, plusieurs filles qui opèrent dans les alentours du jardin de la Compagnie sont victimes de toute sorte d’humiliations. Elles sont la cible de jeunes qui circulent à moto ou en voiture, surtout pendant les périodes des festivités. Ils lancent même des objets en leur direction des fois. « J’ai connu des filles de joie qui ont été blessées à la tête après que des jeunes ont lancé des projectiles sur elles. »
Cindy Trevedy plaide pour plus d’empathie envers ces femmes. « Sa bann fam-la, zot kone kan zot sorti me zot pa kone kan zot pe rantre. Parski swa zot kapav gagn trape ar lapolis, swa zot kapav viktim enn agresion mortel lor lari. Ena ki fini travay gagn kas apre zot viktim vol par bann malfra. »
Elle estime que la loi est répressive envers les travailleurs du sexe à Maurice. Elle explique qu’elle connaît plusieurs cas où les prostituées ont été arrêtées par la police après la découverte d’un préservatif dans leurs sacs. Elles ont été condamnées à payer une amende, mais faute de moyens, elles ont dû purger une peine de prison. « Je suis Peer Educator depuis plus d’une dizaine d’années. La mentalité négative et le regard envers ces femmes n’ont pas changé. C’est le statu quo », se désole-t-elle.
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