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Précarité - Kabootree Doorgah : la force fragile de la résilience

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Kabootree Doorgah, 82 ans, est menacée d’expulsion de sa résidence actuelle, une bicoque en tôle et en bois délabrée, qui est sur le point de s’effondrer. Sa vie n’est pas un long fleuve tranquille, car elle doit constamment relever des défis. Récit.

Aux confins de Montagne-Longue, une scène déchirante se dévoile. Une maison en tôle, chancelante et délabrée, se dresse péniblement aux abords d’une rivière. De l’autre côté, une plantation d’ananas et de canne à sucre. Cette construction fragile semble prête à céder sous le poids des années et des intempéries, tel un ultime vestige d’une vie en proie à l’adversité. La tôle, rouillée et percée par endroits, laisse entrevoir les stigmates du temps et de la négligence. La lumière a du mal à filtrer, ajoutant une atmosphère sombre et morose à ce tableau désolant.

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Kabootree Doorgah ne dispose pas d’eau courante et doit stocker l’eau.

Aux alentours, la rivière, habituellement berceuse et apaisante, murmure avec mélancolie en cette journée hivernale. Ses eaux grises frémissent sous l’effet du vent, semblant refléter l’état d’âme de Kabootree Doorgah, surnommée Dadi, comme si elles partageaient sa tristesse et son fardeau. Cette petite femme frêle incarne, du haut de ses 82 ans, la résilience dans toute sa vulnérabilité. Debout, elle tient bon malgré la fatigue et la douleur, portant sur ses épaules fatiguées les poids de son passé tourmenté.

« Il y a quelques jours, alors que je terminais ma prière, j’ai glissé et je me suis cassé la main », raconte l’octogénaire. Le sol rouge devient glissant lorsque l’eau s’infiltre dans la maison. Malgré sa silhouette frêle, elle continue à affronter courageusement les intempéries de la vie. Elle fait partie de ces personnes qui ne baissent jamais les bras. D’ailleurs, elle attend avec impatience de guérir afin de reprendre ses habitudes, car elle n’aime pas dépendre des autres, même si pour le moment, c’est l’une de ses filles qui l’aide dans les tâches ménagères et la cuisine.

J’ai dû me débrouiller très tôt. Je n’avais pas de parents et j’ai dû tout apprendre de la vie par moi-même»

Qu’il pleuve ou qu’il fasse grand soleil, de jour comme de nuit, Dadi doit quitter sa maison principale pour se rendre aux toilettes, qui se trouvent à l’extérieur sous la forme d’une latrine. Elle lave son linge dans la rivière. Son foyer de trois pièces ne dispose que du strict minimum. Une petite ampoule éclaire ses pièces. Il n’y a pas d’eau courante, elle doit donc remplir des seaux et autres réservoirs pour obtenir de l’eau. Dadi porte des vêtements troués et rapiécés. Elle se nourrit de ce qu’elle a à sa disposition. « Je me contente de ce que j’ai. La vie n’est pas facile. Il y a des personnes encore plus démunies », souligne Dadi.

Bien que sa maison soit dans un état déplorable, c’est dans cet environnement humble et délabré que Kabootree Doorgah a forgé son existence. Sa demeure, reflet concret de sa vie marquée par la privation et la solitude, offre peu de réconfort, mais elle incarne la résilience de son occupante. 

« J’ai eu quatre filles et deux fils qui sont malheureusement décédés. Mes filles me demandent de venir vivre avec elles, mais je préfère rester chez moi. Même si l’état de ma maison est lamentable, c’est mon chez-moi. Je m’y sens à l’aise, bien plus que je ne le serais ailleurs. J’ai pris sous mon aile mon petit-fils, Karan, que j’ai élevé depuis sa naissance. Il aura bientôt 19 ans et il m’accompagne dans ma vie solitaire », dit Kabootree Doorgah. Elle a également recueilli dans sa modeste bicoque des chats et chiens abandonnés. Elle leur donne à manger.dadi

Malgré les conditions précaires dans lesquelles elle vit, sa force indomptable transparaît dans chaque recoin de cette humble demeure, témoignant de sa capacité à trouver la beauté et l’espoir au cœur de l’adversité. « Ma vie n’a pas toujours été facile. J’ai dû me débrouiller très tôt. Je n’avais pas de parents et j’ai dû tout apprendre de la vie par moi-même », confie Dadi. 

Issue d’une famille modeste de Petite-Rivière, Kabootree Doorgah a été abandonnée par sa mère à l’âge de 7 mois. Peu après, le destin frappe une fois de plus : alors qu’elle n’avait que huit mois, son père est décédé. « C’est ma grand-mère paternelle qui s’est occupée de moi jusqu’à l’âge de 14 ans. J’ai reçu une demande en mariage d’un habitant de Pointe-aux-Piments. Je ne voulais pas me marier car le jour de mes fiançailles, mon futur époux est arrivé ivre. Mais je ne pouvais pas défier l’autorité de ma grand-mère », poursuit-elle.

Je me contente de ce que j’ai. La vie n’est pas facile. Il y a des personnes encore plus démunies»

Bon gré malgré, Kabootree Doorgah se passe la corde au cou. De son mariage naissent six enfants, quatre filles et deux garçons. Le destin s’acharne une fois de plus sur elle lorsqu’à l’âge de 45 ans, elle devient veuve et se retrouve seule avec ses enfants à charge. 

« Je percevais une pension de Rs 600, mais cette somme n’était guère suffisante pour joindre les deux bouts. J’ai travaillé dans les plantations de légumes et d’ananas, qui sont abondantes dans la région de Montagne-Longue. Ensuite, j’ai commencé à fabriquer des sacs en vacoas pour arrondir les fins de mois. J’ai également cousu des vêtements pour mes enfants et pour d’autres personnes, afin de gagner un peu d’argent », indique Dadi, qui, en raison de sa main plâtrée, ne peut pas fabriquer ses sacs.

Le visage de Kabootree Doorgah porte les traces indélébiles d’une existence éreintante. Ses rides, profondes et marquées, tracent des sillons sur sa peau autrefois douce, témoignant du poids des années et des soucis qui ont creusé leur empreinte. Ses yeux larmoyants, empreints d’une tristesse silencieuse, reflètent les épreuves qu’elle a traversées et les chagrins qui ont imprégné son existence.

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Les toilettes se trouvent à l’extérieur sous la forme d’une latrine.

Dadi a toujours été locataire dans la région de Montagne-Longue, louant plusieurs maisons au fil des années. Elle a résidé dans l’une d’entre elles pendant 45 ans. Elle avait entrepris d’économiser auprès de la Mauritius Housing Corporation afin d’acquérir un jour sa propre maison. 

« Sur ma maigre pension de Rs 600, je devais verser Rs 100 chaque mois. Cependant, avec mes filles qui grandissaient, je me préoccupais de leur avenir et je savais que je devais trouver de l’argent pour leurs mariages. J’ai donc fini par fermer mon compte d’épargne », confie l’octogénaire.

Sa détresse ne s’arrête pas après le mariage de ses enfants. Elle se retrouve également responsable de ses petits-enfants, en particulier ceux de l’un de ses fils décédés. Elle fait de son mieux pour les élever. Kabootree Doorgah a toujours mis l’accent sur l’éducation, étant elle-même analphabète. Ce n’est que plus tard qu’elle a suivi des cours d’alphabétisation.

Cependant, certains d’entre eux ont pris le mauvais chemin et ont été entraînés dans le fléau de la drogue. « Seul mon Karan est un garçon adorable qui prend soin de moi. Il a commencé à voler de ses propres ailes, même s’il n’a pas réussi son School Certificate. Il a trouvé du travail », dit-elle fièrement.

Il y a quelques années, Dadi a été victime d’un accident ; elle a été percutée par un bus. Elle est restée dans le coma pendant plusieurs jours. C’est son amour pour Karan qui lui a donné la force de se remettre sur pied. « Comme moi, il n’a personne. Il n’a ni père ni mère. Je sais qu’il n’a que moi. Je vis pour lui et il vit pour moi. En ce moment, je n’arrive pas à lui préparer à manger avant qu’il parte travailler. Il se débrouille. »

Dorénavant, les soucis de Kabootree Doorgah sont exacerbés par le comportement néfaste d’un de ses petits-enfants qui a pris le mauvais chemin, lui causant de nombreux tracas. « Je suis menacée d’expulsion de ma propre maison. Mon petit-fils a volé des ananas dans le champ du propriétaire qui se trouve en face de notre maison. Pourtant, c’est moi qui suis montrée du doigt, alors que je suis victime des agissements de ce dernier », se désole-t-elle.

Depuis, Kabootree Doorgah est désemparée. Elle aspire à une vie paisible, mais les obstacles continuent à se dresser sur son chemin. Actuellement, sa main plâtrée l’empêche d’accomplir ses tâches habituelles. Malgré les épreuves de la vie, elle conserve son humilité et surtout son sourire. « Je veux rester ici, mais je n’aurai guère le choix si le propriétaire persiste. Ici c’est une partie de ma vie », affirme-t-elle. 

Elan de solidarité pour Dadi

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Des peluches Amigurumi (au crochet) seront fabriquées et venduesafin de collecter des fonds destinés à l’achat d’une maison conteneur pour Dadi.

Hanlie Ducasse a récemment fait la connaissance de Dadi et son histoire l’a profondément touchée. Avec son époux Denis, ils font de leur mieux pour aider l’octogénaire. « Elle n’avait pas de réfrigérateur, alors nous avons pu lui en trouver un », raconte Denis Ducasse.

Hanlie Ducasse a lancé une initiative visant à collecter des fonds pour permettre à Dadi d’avoir un logement décent. « Mon épouse a lancé un appel aux volontaires pour fabriquer des peluches Amigurumi (au crochet) dans le cadre d’un projet de collecte de fonds visant à acheter une maison conteneur pour Dadi », explique Denis Ducasse.

Une centaine de bénévoles ont répondu à l’appel jusqu’à présent. « Sa maison est dans un état déplorable et elle est menacée d’expulsion. Nous souhaitons lui acheter une maison conteneur car elle peut être installée n’importe où. Nous essaierons de négocier avec le propriétaire afin de pouvoir installer la maison conteneur ici en démolissant l’actuelle maison. Si le propriétaire n’est pas d’accord, nous trouverons un autre terrain », poursuit-il.

Denis Ducasse affirme qu’ils ont trouvé deux conteneurs qui seront convertis en une maison pour Kabootree Doorgah. « Nous les faisons venir directement de Chine. Cela coûtera environ Rs 700 000, y compris l’installation de l’électricité et des toilettes. Nous nous efforçons de concrétiser ce projet le plus rapidement possible. »

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