Plus d’un mois après la présentation du Budget 2017-2018, l’économiste Pramode Jaddoo passe en revue les grands traits de cet exercice comptable national et souligne ses promesses sociales. Mais, les gros projets tardent à se réaliser en raison d’un manque de moyens, ajoute-t-il. Plus loin, il s’alarme sur les inégalités salariales qui se creusent et les promesses politiques qui reviennent cher à l’État.
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Quelles ont été les principales caractéristiques du Budget 2017-2018 ?
C’est un Budget qui a été bien préparé, avec une prise en compte du social et des mesures incitatives pour encourager la création d’emplois, mais qui, malheureusement, ne bougent pas assez vite. Dans le sens que le secteur privé ne veut pas jouer le rôle primordial dans l’économie mauricienne. Pourtant, ce secteur a bénéficié de nombreux privilèges durant des années.
Le secteur public, lui, tarde à réaliser les gros projets d’investissement annoncés, car les moyens lui font défaut. Il n’y a que le Metro Express, qui va absorber Rs 25 milliards, qui semble se concrétiser.
C’est une économie qu’il faut absolument remettre sur les rails. »
Mais, au final, le bilan financier de ce mégaprojet sera plus lourd avec le coût additionnel des infrastructures et des gares routières, mais encore faut-il préciser que le Metro Express ne verra pas le jour demain.
Les autres secteurs productifs, comme l’économie bleue, n’avance guère. On a fait état de l’extension du Passenger Terminal à l’aéroport, mais là-aussi, on ne voit aucun développement. Ce sont des projets qui ont été annoncés avec véhémence et détermination, ensuite cette volonté s’est calmée dans le temps.
Comment expliquer ce manque de moyens dont vous faites mention ?
Ce manque de moyens trouve son origine dans le scandale de la BAI, dont le gouvernement n’a pas su mesurer l’ampleur. Mais ce sont eux qui l’ont voulu. Aujourd’hui, il convient de changer d’orientation économique pour diminuer la dette publique. On est parti frapper aux portes de l’Inde pour obtenir des prêts, mais cet argent n’est pas gratuit. Il y a la DTAA qu’on a signé avec l’Inde en 2016, qui fait beaucoup de torts à notre secteur financier. C’était un secteur de création d’emplois productifs pour nos jeunes diplômés. Avant la DTAA, j’avais une équipe de jeunes comptables, aujourd’hui, les comptes sont préparés en Inde. Et dire qu’on comptait énormément sur le secteur financier comme un pilier additionnel pour l’économie mauricienne.
Est-ce qu’on ira encore chercher des prêts du gouvernement indien pour le prochain Budget ?
Cela devient une mauvaise habitude que d’aller chercher de l’argent pour financer le Budget. Venir dire à tous les coups que l’Inde est un pays ami, ne peut être un argument. Il faut avoir le courage d’éviter certaines dépenses dans le secteur public. Lorsqu’on regarde de près au rapport du Bureau de l’Audit, on se rend compte que l’argent des contribuables n’a pas été utilisé de manière productive et rentable.
Certaines voix très alarmistes n’écartent pas la possibilité d’une faillite grecque de l’économie mauricienne. Faut-il y prêter foi ?
Nous n’en sommes pas encore là. Mais je constate que depuis notre miracle économique superficiel, nos dirigeants n’ont pas réfléchi à préparer Maurice pour une vision de développement à long terme. Le temps est venu de changer nos structures et de revoir le financement du secteur public. Trop d’argent part en gaspillage, c’est une économie qu’il faut absolument remettre sur les rails.
Est-ce notre modèle de développement qu’il faut revoir ?
Je pense qu’il faut réexaminer avec un esprit dépassionné la définition même de l’État-Providence.
Est-ce que cela est possible dans un pays où les gouvernements successifs ont toujours offert beaucoup de choses gratuites ?
C’est là notre véritable problème. Durant les campagnes électorales, les principaux partis politiques font des promesses sans avoir au préalable examiner leurs coûts. Ensuite, on comble le manque à gagner dans les caisses de l’État par des taxes. Il faut savoir que Maurice est un des pays au monde où il existe le plus de taxes. C’est un cercle vicieux, et ça fait joli durant les campagnes électorales et on applaudit à tout rompre. Mais, par la suite, au moment des comptes, l’addition devient salée, parce que les promesses n’ont jamais été validées par des études comptables. Que ce soit le transport gratuit ou l’éducation gratuite, on continue dans la surenchère des promesses sans se rendre compte qu’on n’en a pas les moyens, et ensuite, il devient difficile de retirer ces acquis.
Est-ce que Maurice a les moyens de ses ambitions ?
Oui, mais ils ne sont pas utilisés à non escient. Les gratuités et privilèges sociaux sont les engagements de tout gouvernement, mais tout est annoncé de manière populiste avec des soi-disant experts. J’avais fondé beaucoup d’espoirs sur l’Alliance Lepep, en pensant que ses dirigeants auraient le courage de réformer le système, mais tout continue à fonctionner de manière désastreuse.
Quels sont, selon vous, les défis majeurs auxquels sera confronté ce gouvernement ?
Dans le contexte local, nous faisons face à une situation sociale dramatique et l’accroissement de l’écart salarial entre les riches et les pauvres, entre ceux qui ont un salaire de Rs 15 000 et un petit groupe de nantis dont les salaires sont plus d’un million de roupies.
Que faut-il craindre face à une telle situation ?
Elle est de nature à générer une frustration, qui se traduit d’abord et souvent par les vols, parce que c’est le moyen le plus facile de se procurer de l’argent, puis par la drogue, dont la consommation est en hausse constante. Quant aux travailleurs, en raison de leurs salaires dérisoires, ils ne sont pas motivés à travailler, ce qui impacte sur la productivité. Je veux dire par là qu’il faut que le gâteau national soit équitablement réparti. Que ce soit le chauffeur de taxi, le petit cleaner ou le technocrate, tout le monde a contribué à la production de la richesse dans notre pays. Sur le plan international, dans l’immédiat, on n’a pas encore ressenti les effets du Brexit, mais ça viendra.
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