Interview

Pramod Jaddoo, économiste: «Le Budget de Pravind Jugnauth doit être un exercice de rupture»

Passer ou casser, séduire ou déplaire. Le Budget que présentera le ministre des Finances, Pravind Jugnauth, le vendredi 29 juillet, sera placé sous le triple signe de l’incertitude, l’interrogation et l’espoir. Pramod Jaddoo, économiste, brosse à grands traits les défis auxquels le ministre est confronté.

Publicité

Le Budget, qui sera présenté ce 29 juillet, suscite beaucoup d’intérêt, dont des interrogations. En quoi sera-t-il différent ?

Parce qu’il intervient dans une conjoncture économique locale et internationale difficile. La scène économique internationale est en pleine transformation et se caractérise par beaucoup d’incertitudes, la plus visible étant le Brexit avec les menaces qu’il fait planer sur notre textile, notamment. Compte tenu de ces faits, le Budget de Pravind Jugnauth doit être un exercice de rupture avec celui de l’année dernière. Trop de choses sont arrivées depuis 2015, on ne peut plus parler de ‘business as usual’. Certes, le Budget 2015 partait sur de bonnes prémices, mais l’affaire BAI et ses séquelles ont pris le pays au dépourvu. Il était impératif de s’attaquer à cette situation qui avait gangrené le monde des affaires et celui des finances mauricien. Certes, on n’a pas encore tout résolu, mais le temps presse, la population veut des résultats concrets.

« Trop de choses sont arrivées depuis 2015, on ne peut plus parler de ‘business as usual’. »
À la lumière du tableau que vous avez brossé, comment Pravind Jugnauth peut-il relancer l’économie ?
Je pense que sa nomination aux Finances est déjà une bonne chose, car il est connu pour sa rigueur, son assiduité au travail et son sérieux. Il a apporté la confiance à un moment où celle-ci faisait défaut.

Ce sont ces qualités qui devraient permettre au secteur privé et aux investisseurs étrangers d’investir davantage à Maurice. L’État, lui aussi, doit jouer sa part du jeu en facilitant les procédures administratives nécessaires aux investisseurs. Il faut, à tout prix, que les secteurs privé et public retrouvent une nouvelle synergie pour relancer l’économie, et surtout créer des emplois productifs.

Le secteur des PME était présenté comme un nouveau pilier de l’économie, mais il tarde encore à prendre son envol… I

l y a eu trop de confusions autour de la création de la Maubank, alors que la Banque de Développement est passée à côté de sa mission. Certains économistes et observateurs expliquent que le marché africain est prometteur pour nos PME à condition de rehausser la qualité de la griffe mauricienne…

Oui, il faut explorer le marché extérieur à cause de l’exiguïté de notre propre marché. Mais, c’est vrai qu’il faut que le produit mauricien réponde aux normes internationales afin d’être attractif. Quant au continent africain, on le présente sous un double aspect : d’abord, il est prometteur, avec une croissance de 4,2 % en 2016, contre 3,5 % en 2015, pour l’Afrique subsaharienne. Mais, il y a aussi un ombre au tableau : la persistance de la corruption, l’impact des maladies et des insuffisances récurrentes en infrastructures. Toutefois, il est toujours plus bénéfique d’investir en Afrique. Mais, il faut aussi voir ailleurs, notamment la Chine. Évidemment, on ne pourra pas y vendre des tonnes de produits mauriciens, une infime part de ce marché nous suffira.

Pour les Mauriciens, le défi majeur reste la création d’emplois. Est-ce que ce Budget pourra-t-il satisfaire cette attente ?

Rien n’est acquis, à l’exception du tourisme qui donne de bons résultats depuis ces dernières années. Pravind Jugnauth sait qu’on l’attend sur le dossier de l’emploi. Mais, il est confronté à une problématique qui ne date pas d’hier : la fameuse inadéquation entre les diplômes et les offres d’emplois. C’est un problème de fond qu’il convient de traiter ici et maintenant, sinon ça va être une véritable lame de fond capable de déboucher sur une véritable crise sociale. Notre système éducatif a trop longtemps mis l’accent sur la réussite académique, sans se soucier de l’employabilité des titulaires de diplômes. Cette situation a amené les familles à mettre la pression sur les enfants pour qu’ils deviennent comptables, médecin ou avocats. Nous payons aujourd’hui le prix de l’absence d’une véritable politique en matière d’orientation professionnelle.

Est-ce que le ciblage en matière d’aides sociales doit-elle être revu, comme certains économistes l’affirment ?

Absolument. Même si la décision peut faire des mécontents, elle permettra de distinguer les personnes véritablement nécessiteuses, de celles qui peuvent largement se passer de certaines prestations sociales, lesquelles pèsent lourd dans notre budget national. Le ministre des Finances ne doit pas hésiter à prendre des mesures impopulaires, si celles-ci servent l’intérêt de la population. Nous sommes à la croisée des chemins en ce moment, il faut avoir le courage de regarder la vérité en face, sans se détourner des difficultés auxquelles nous faisons face.

Peut-on encore parler de ‘miracle économique’, au vu de cette situation ?
Je ne pense pas qu’il faille mettre de côté cet objectif, ce serait un aveu de défaite, de faiblesse. Nous sommes encore très loin de là. Ce terme qu’on désigne comme ‘miracle’ sera le résultat de la croissance, avec la relance de la consommation, des investissements et la création d’emplois. Maurice n’est pas dans une situation économique désespérante. Nous avons su éviter les séquelles de la crise des subprimes, mais nous sommes encore dans une étape difficile, où Pravind Jugnauth est, plus que jamais, contraint, de jouer aux équilibristes.
« La population jugera Pravind Jugnauth sur ses actes, pas sur ses promesses. »

Une grosse majorité de la population est endettée, elle attend des décisions lui permettant de respirer. Comment y arriver ?

Comme je l’ai dit plus haut, il nous faut impérativement le partenariat public-privé pour monter des investissements porteurs d’emplois productifs et croissance. Ce sont ces projets qui, pris dans leur ensemble, permettront d’avoir des effets indirects sur la situation des ménages. L’endettement touche aussi et dans une large mesure, la classe moyenne, dont les jeunes couples. C’est cette catégorie de citoyens qui fait tourner l’économie grâce à la consommation. Vue sous cet angle, la marge de manœuvre du ministre est vraiment serrée et il lui faudra plaire à tout le monde. Mais, tout est question de choix prioritaires et il y aura forcement des mécontents.

Quelle est l’échéance de Pravind Jugnauth pour redresser la situation économique ?

Il faut que les résultats soient visibles vers fin 2017. D’ici à cette date, il faut avoir mis en chantier ses projets majeurs. La population jugera Pravind Jugnauth sur ses actes, pas sur ses promesses. Mais, il ne faut pas, non plus, perdre de vue que nous sommes dans un climat économique mondial volatil et incertain. Cette situation impactera certainement sur notre économie.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !