Ces derniers temps, les rayons des supermarchés à Maurice ont été témoins d’une tendance à la hausse des prix de nombreux produits de consommation courante. Cette situation suscite des interrogations concernant l’incidence sur le pouvoir d’achat des ménages et sur l’économie dans son ensemble. De plus, il y a des préoccupations concernant de futures hausses dues à la dépréciation de la roupie et aux tensions au Moyen-Orient.
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Depuis quelques jours, des articles de base tels que le poulet, le lait en poudre, les grains secs, les couches, les pâtes, le beurre, l’huile, et bien d’autres encore, ont vu leurs prix grimper, mettant ainsi à rude épreuve le budget des Mauriciens. Le président de l’Association pour la Protection des Consommateurs et de l’Environnement (APEC), Suttyhudeo Tengur, affiche son inquiétude. Il affirme qu’en dépit de la revalorisation de la pension de vieillesse touchant uniquement une catégorie de citoyens, cette vague d’augmentation affecte chaque foyer mauricien indistinctement. Il fait ressortir que depuis la pandémie de Covid-19, soit il y a plus de quatre ans, les prix des denrées de base ont pris l’ascenseur pour plusieurs raisons.
« Parmi celles-ci, on peut compter la hausse du coût de fret, la dépréciation de la roupie face au dollar, entre autres », cite-t-il. Cependant, il avance qu’aujourd’hui, les données ont changé. « Le coût du fret maritime n’est plus aussi exorbitant, mais les prix ne cessent de grimper. Malheureusement, ce sont les consommateurs qui en pâtissent », déplore-t-il. Pour lui, la dépréciation de la roupie n’est pas une excuse pour faire gonfler les prix. Par exemple, déclare-t-il, un sachet de papier toilette de 24 unités qui était environ à Rs 280 se vend aujourd’hui à Rs 510. « Il en va de même pour les prix des médicaments et d’autres produits de base. Les prix des boissons gazeuses ont également augmenté », souligne-t-il.
Pour sa part, l’économiste Bhavish Jugurnath affirme que l’impact de la hausse des prix des nécessités peut affecter considérablement la vie des gens, en particulier ceux aux bas de l’échelle. « L’inflation, qui est d’environ 6 % actuellement, touche tout le monde, mais plus durement les ménages à revenu plus faible, car ils consacrent une plus grande part de leur budget aux nécessités », soutient-il. Pour les personnes vivant avec un revenu fixe tel que les prestations de sécurité sociale et d’invalidité, ajoute-t-il, ces augmentations de prix posent des défis. L’économiste Ganessen Chinappen ne dira pas le contraire. « La hausse des prix pèse plus lourdement dans les paniers ménagers des familles en bas de l’échelle. Malgré les soutiens financiers de l’État, elles verront leur pouvoir d’achat baisser face à l’augmentation des prix des commodités de base », fait-il ressortir. Selon lui, la hausse des prix est largement le résultat d’une inflation importée.
Appauvrissement de la population
Pour Suttyhudeo Tengur, la principale implication économique de la hausse des produits alimentaires est qu’elle rend nuls toutes les augmentations salariales ou encore le salaire minimum. « Au contraire, ces augmentations contribuent énormément à une baisse conséquente du pouvoir d’achat du Mauricien moyen. En fin de compte, les Mauriciens s’appauvrissent davantage », déplore-t-il. Un avis que partage Bhavish Jugurnath. « Si l’on examine la situation d’un point de vue macroéconomique, ces hausses de prix peuvent entraîner des pressions inflationnistes, ce qui serait à nouveau préjudiciable à l’économie et à la population », fait-il remarquer.
De nouvelles augmentations à l’horizon
Selon nos interlocuteurs, avec la dépréciation de la roupie et les conflits géopolitiques au Moyen-Orient, on peut s’attendre à de nouvelles augmentations dans un avenir proche à Maurice.
Pour Bhavish Jugurnath, le taux de change dollar-roupie, qui était en moyenne de Rs 44,50 entre septembre et décembre 2023, est passé à Rs 45 en janvier 2024 et depuis février dernier, il est resté à Rs 46. Le 12 avril, le taux de change était estimé à Rs 46,69. « Selon cette tendance, nous nous rapprochons d’un taux de change dollar-roupie de Rs 48 en juin et au-dessus de Rs 50 en octobre », prévient-il. La perte par rapport au dollar, poursuit-il, est de 1,7 %, tandis qu’en comparaison à l’euro et à la livre sterling, elle est respectivement de 5,3 % et de 4,7 %. D’après les prévisions, une baisse de l’inflation est attendue avec la résolution des problèmes du côté de l’offre et des politiques monétaires restrictives. « Cependant, avec une éventuelle hausse des coûts de transport et la dépréciation de la roupie, nous pourrions assister à une nouvelle escalade des prix », soutient-il, en tout précisant qu’il s’attend à ce que des mesures politiques soient annoncées dans le prochain budget pour prévenir une nouvelle majoration des prix.
Suttyhudeo Tengur, lui, estime que les conflits géopolitiques à l’international peuvent avoir des répercussions sur les prix des produits à Maurice. « Nous avons déjà subi l’effet du conflit russo-ukrainien. Souhaitons que celui qui sévit au Moyen-Orient reste dans les limites régionales et ne s’amplifie pas davantage, sinon, les risques pour Maurice seraient énormes », affirme-t-il. Un avis que partage Ganessen Chinnapen. « Nous avons été victimes du conflit russo-ukrainien en termes de prix exorbitants à l’importation. Ainsi, si les tensions entre l’Iran et Israël persistent, nous connaîtrons le même sort », soutient notre interlocuteur. Ce dernier explique qu’en tant que petit État insulaire qui dépend fortement des importations, les répercussions des conflits géopolitiques à l’international sont inévitables sur notre économie. « Ainsi, avec une intensification de la guerre au Moyen-Orient, on peut s’attendre à des effets néfastes sur les prix des produits », ajoute-t-il.
Hausse des prix
Explications d’un importateur
Le directeur de P&P International, Pritam Dabydoyal explique que plusieurs facteurs contribuent à l’augmentation des prix des commodités ces derniers temps. Tout d’abord, il avance que les attaques en mer Rouge ont entraîné d’énormes retards dans l’arrivée des conteneurs. En effet, il affirme que des géants du transport maritime mondial évitent la mer Rouge et contournent l’Afrique pour se rendre à Maurice. « Avant, il fallait compter 30 à 40 jours pour recevoir des conteneurs en provenance d’Europe. Désormais, il faut compter 90 jours », indique notre interlocuteur. Par conséquent, dit-il, les frais de magasinage par conteneur appliqués aux importateurs demeurent plus élevés. D’autre part, poursuit-il, l’appréciation constante du dollar continue d’impacter les prix des produits importés. « Déjà, il est difficile d’obtenir des devises. Maintenant, nous sommes confrontés à une appréciation du dollar », déplore-t-il.
C’est pourquoi les importateurs n’ont pas d’autre choix que de répercuter ces coûts sur les prix des produits importés. Il soutient que si les retards dans l’arrivée des conteneurs persistent et que la roupie continue de perdre de la valeur face au dollar, d’autres augmentations de prix seront inévitables.
Ces mesures recommandées pour atténuer les effets négatifs
Suttyhudeo Tengur : «les autorités concernées doivent jouer leur rôle de manière efficace»
« Les autorités concernées, notamment le ministère de la Protection des Consommateurs et la Commission de la Concurrence, ont failli à leurs responsabilités face à la cartellisation et aux situations de monopole. Il semble que le gros commerce impose sa loi, car il y a un enjeu électoral dans un proche avenir. Le gros commerce et les politiciens veulent une situation ‘gagnant-gagnant’, alors que ce sont les consommateurs qui seront les grands perdants. Il est grand temps que les parties impliquées jouent leur rôle de manière efficace ».
Pritam Dabydoyal : «des infrastructures permettant d’acheter et de stocker en grande quantité sont nécessaires»
« Depuis plus de 40 ans, nous travaillons toujours sous un système archaïque au niveau de notre port. Quand les pays producteurs ont des récoltes abondantes, nous ne sommes pas en mesure de profiter de prix abordables, car nous n’avons pas la capacité de stockage. Ainsi, il est nécessaire de revoir les systèmes de stockage sur notre port. Il faut créer des infrastructures permettant d’acheter en grande quantité et à de meilleurs prix lorsqu’il y a de bonnes récoltes. De cette manière, nous pouvons garantir des prix bas aux consommateurs mauriciens. »
Ganessen Chinnapen : « Les subventions doivent être étendues à une plus large gamme de produits »
« Étant donné que la hausse des prix concerne principalement les produits alimentaires de base, ce sont surtout ceux situés en bas de l’échelle qui seront les plus affectés. Depuis la Covid-19, le gouvernement accorde des subventions sur une multitude de produits alimentaires, ce qui a permis de stabiliser les prix. Je pense que cela devrait être appliqué aussi à d’autres produits. Les subventions doivent être étendues à une plus large gamme de produits. Par ailleurs, il est grand temps de promouvoir la production locale afin de réduire notre dépendance aux importations. Si nous parvenons à baisser le taux d’importation, le déficit de notre balance commerciale diminuera également ».
Bhavish Jugurnath : «le gouvernement doit réglementer les prix de certains produits»
« Les prix croissants des nécessités affectent de manière disproportionnée les ménages à faible revenu, soulignant ainsi le besoin de politiques visant à lutter contre l’inflation tout en soutenant les personnes vulnérables. Le gouvernement joue un rôle crucial dans la stabilisation des prix des nécessités grâce à des politiques stratégiques, à la gestion de l’approvisionnement et à des interventions ciblées. À court terme, je suggérerais que le gouvernement puisse réglementer les prix de certains produits et services sélectionnés et intervenir sur le marché pour assurer la stabilité des prix ».
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