L’un rabat les clients dans la capitale, les deux autres font entre-temps le lavage de véhicules. Leur point commun : ils sont tous trois des SDF depuis quelque temps.
Le plus jeune a l’allure d’un adolescent. Il s’appelle Jean Axel, il a 22 ans. Kinsley, dit Rasta, en a 26. Et Gino, 38. Tous trois dorment sous les étals vides de la foire du jardin de la Compagnie. Pour subvenir à leurs besoins, ils lavent des véhicules. Mieux, disent-ils, ils font du « smart washing ».
L’un rabat les clients, les deux autres font entre-temps le lavage de véhicules juste à côté du musée de la capitale. À les voir laver les motos, voitures, vans, ils sont heureux, car ils gagnent honnêtement leur vie.
Jean Axel, père d’un enfant de quatre ans, révèle que c’est par choix qu’il dort dans la rue. Sa famille vit à Résidence La Cure. « J’ai mes parents, je vais à la maison de temps en temps, mais j’aime être libre. » Depuis 14 ans, il traîne la rue et dort au jardin de la Compagnie depuis le premier confinement. « Je navigue sur le chemin, je lave les voitures, mais auparavant j’étais aide-maçon, peintre. »
Du bleu sur son nez et le haut de sa joue droite. Il s’est ramassé quelques coups la veille pour une pécadille. « Il y avait un molleton. Alors que je dormais mercredi, un autre SDF est venu me le prendre en disant que c’était pour lui. Je me suis bagarré avec lui. II était plus fort et m’a frappé au visage. »
Pourquoi ne rentre-t-il pas chez lui, vivre avec ses parents, ses deux soeurs et trois frères ? À cette question, Jean Axel sourit et répond : « J’aime la rue, certains jours on travaille bien, d’autres pas, mais nous avons toujours de quoi nous acheter à manger. » Il indique que pour le lavage d’une voiture, les trois compagnons prennent entre Rs 250 et Rs 400 dépendant de l’état du véhicule.
Rasta, lui, a le chic pour héler les conducteurs qui passent tout près de leur « base » d’opération. « Un petit lavage, un coup d’aspirateur, un cirage ? Allez, allez, rendez votre voiture nickel », dit-il de sa grande voix. Il parle bien le français, c’est que Kinsley a étudié jusqu’à la Form V (Grade 11) au Curepipe College.
Comment est-il devenu SDF ? Tout en scrutant les nombreux véhicules qui passent dans ce chemin très fréquenté, il raconte avoir eu des problèmes familiaux. « J’ai préféré m’en aller et vivre dans la rue. Je suis libre. On travaille avec mes deux autres compagnons. On s’entend bien, on lave, on polit, on brosse, on utilise des solutions professionnelles qui coûtent. »
D’ailleurs, fait valoir Rasta, souvent quand ils arrivent à obtenir jusqu’à Rs 1 000, ils en investissent une bonne partie dans des solutions qu’ils utilisent pour le lavage et le nettoyage de l’intérieur des véhicules. « On offre un bon service. » Il s’interrompt soudain et s’adresse à un conducteur : « Je vous fais la caisse, Monsieur ? »
Entre-temps, Gino astique une moto. Marié et séparé, il confie être un ex-toxicomane. « Je suis dans la rue à cause de mes relations conflictuelles avec mon petit frère, mais je m’entends bien avec mon demi-frère. Je n’ai été à l’école que jusqu’au Std V », confie-t-il.
Il est sous traitement de la méthadone depuis sept ans.
« J’ai fait de la prison durant six ans et quand j’ai rencontré Rasta, je me suis engagé à ses côtés et je travaille. »
Il se démène à polir le réservoir de la moto sous l’oeil du propriétaire qui l’attend. Un conducteur s’arrête et demande combien coûte le lavage. « Juste à l’extérieur, Rs 200 Monsieur », lui indique Gino.
Souvent, poursuit-il, le travail ne paie pas « mais on a des dons des passants, de l’église et quelques fois on a tout juste de quoi nous acheter du pain et du beurre. Mais souvent je suis obligé de vendre une partie de ma dose de méthadone pour nous acheter à manger, on travaille le matin pour manger le soir ».
Et le bain ? « Il y a la salle de bains du jardin de la Compagnie et aussi les toilettes. » Il concède qu’en hiver « c’est dur » de dormir sous les étals, « même si on reçoit des vêtements chauds en cadeau ». Mais qu’importe ces difficultés. « On est libre. »
Au jardin de la Compagnie, les trois compères ne sont pas seuls. Selon Rasta, il y a au moins une trentaine de SDF qui viennent dormir là chaque soir, alors qu’il existe un abri de nuit à Port-Louis. C’est une question de choix, semble-t-il.
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