
L’Association of Chartered Certified Accountants (ACCA), en collaboration avec le Mauritius Institute of Professional Accountants (MIPA), a organisé jeudi à Réduit, un « post-Budget Forum » à la suite de la présentation du Budget 2025/26. Les mesures annoncées et les lacunes dans le Grand oral ont été au centre des discussions.
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Afsar Ebrahim, Founding Partner chez KICK Advisory : «Les Mauriciens ont voté pour le changement, mais ils n’ont pas changé leur ‘mindset’»
Afsar Ebrahim a été catégorique. Pour lui, il ne fallait pas s’attendre à des surprises dans le Budget 2024/25. « Si vous aviez lu le rapport "State of the Economy", rien dans ce Budget ne devrait vous surprendre », affirme-t-il. Il déplore toutefois une mentalité stagnante. « Les Mauriciens ont voté pour le changement, mais ils n’ont pas changé leur ‘mindset’. Ils ont toujours de grandes attentes du gouvernement ».
Sur la dette publique, il a souligné qu’heureusement que la dette est en roupies mauriciennes. « Si elle avait été en devises étrangères, on aurait fini comme le Sri Lanka », a-t-il prévenu. Il a rappelé que la spirale d’endettement a débuté avec la pandémie.
« Pendant la Covid, il fallait soutenir les entreprises et les individus », a-t-il dit. Pour éviter une dégradation de la note souveraine par Moody’s, Afsar Ebrahim estime que le gouvernement n’avait pas d’autre choix. « Ce Budget va certainement nous éviter une dégradation. Il fallait appuyer sur le bouton "pause", et revoir les politiques fiscales », a-t-il soutenu.
Parmi les mesures clés, a-t-il dit, l’Alternative Minimum Tax suscitera des remous. « Cela va déranger beaucoup de comptables », reconnaît-il. Sur l’impôt sur le revenu, il se montre pragmatique. « C’est simple : au-delà de Rs 500 000, vous payez des impôts. » Mais il souligne un problème structurel. « 81 % de la population ne paie pas d’impôt, cela veut dire qu’ils ne gagnent pas plus de Rs 500 000 par an. Ce n’est pas bon signe. »
Face à l’insuffisance des recettes fiscales locales, il préconise une contribution accrue des étrangers, mais avec précaution. « Le Fair Share Contribution peut faire les étrangers à partir investir dans d’autres juridictions moins chères », a-t-il prévenu.
Il a salué la mesure de la pension à 65 ans. « C’est une anomalie qui aurait dû être corrigée depuis longtemps. Une personne ne peut pas percevoir une pension alors qu’elle est toujours sur la liste de paie et qu’elle touche un revenu », a-t-il dit. Toutefois, il a critiqué la suppression brutale des incitations pour les Smart Cities. « Une transition en douceur aurait été préférable », a-t-il avancé. Selon lui, il existe également certaines distorsions dans les mesures, notamment en ce qui concerne les droits de douane sur les voitures. « Certaines personnes bénéficient d’exonérations de droits lors de l’importation de véhicules, mais lorsqu’elles les revendent, ces véhicules sont vendus avec les droits inclus. Cela crée un déséquilibre dans le système », a soutenu Afsar Ebrahim.
Anthony Leung Shing, Country Senior Partner & Tax Partner, PwC Mauritius : «Un manque de visibilité sur certaines mesures»
Anthony Leung Shing, Country Senior Partner chez PwC Mauritius, salue les intentions affichées, notamment la volonté de « monter dans la chaîne de valeur ». Mais selon lui, les conditions ne sont pas encore réunies. « Ce mouvement ne peut se faire sans deux éléments essentiels : l’expertise et un écosystème approprié, incluant les lois et les politiques publiques », a-t-il souligné. Il a également fait ressortir que le budget prévoit la création d’une unité dédiée à l’intelligence artificielle sous l’égide du ministère des TIC ainsi qu’un institut national de recherche. Des initiatives qui visent plusieurs secteurs clés : l’éducation, le tourisme et l’agriculture. « Mais quel sera le rôle du secteur privé dans cette transformation numérique ? », s’interroge Anthony Leung Shing. Il a également évoqué les Rs 200 millions allouées à différents ministères pour la recherche. Selon lui, il y a un manque de visibilité sur comment ce budget va être dépensé. « Il faut un vrai suivi et des indicateurs pour mesurer les résultats », a-t-il soutenu. Autre point d’ombre selon lui : les Rs 30 milliards promises sur trois ans pour les énergies renouvelables. « Où est la feuille de route ? », a-t-il demandé.
Amédée Darga, Managing Director of Straconsult ABDS : «Un budget aux bonnes intentions mais aux lacunes stratégiques»
Amédée Darga a salué certaines mesures du Budget 2025/26, tout en pointant du doigt plusieurs lacunes majeures. Selon lui, l’absence de propositions concrètes pour dynamiser les secteurs de l’industrie et de l’agriculture est préoccupante. « Ces secteurs sont pourtant essentiels pour notre développement économique durable. » Il a également déploré le manque total de vision africaine. « Il n’y a quasiment rien sur l’Afrique, alors que le continent est une opportunité naturelle pour Maurice. » En revanche, il qualifie d’« excellente » la création de laboratoires à forte valeur ajoutée pour l’exportation de singes, une niche lucrative. Il a aussi salué l’Innovation Immigration Policy, mais a précisé. « Tout dépend de qui on fait venir. J’aurais préféré des jeunes qui fonderont des familles, pour résoudre notre problème démographique. » Concernant le tourisme, il a averti. « Maurice perd de l’intérêt face à la concurrence. Il faut miser sur un tourisme de valeur, pas brader nos hôtels. »
Fazeel Soyfoo, Partner - International Tax, Andersen : «Espérons que les nouvelles taxes ne mèneront pas Maurice vers une nouvelle inclusion sur la liste grise»
Fazeel Soyfoo s’inquiète des nouvelles mesures fiscales annoncées dans le dernier Budget. Selon lui, les Mauriciens gagnant plus d’un million de roupies par an seront désormais imposés à 20 %, contre un taux unique de 15 % auparavant. « C’est un changement majeur et un très mauvais signal. Maurice risque d’être perçu comme un pays à forte pression fiscale », avertit-il.
L’impact est d’autant plus significatif pour les entrepreneurs prospères. « Un entrepreneur réalisant un chiffre d’affaires supérieur à Rs 24 millions sera taxé à hauteur de 14 % sur ses revenus, plus 2 % au titre du CSR, sans compter d’autres prélèvements. Cela représente environ 24 % d’impôts. S’il verse des dividendes, il devra s’acquitter de 5 % supplémentaires, portant la charge totale à 29 % », a-t-il détaillé. Par ailleurs, il a fait comprendre que les banques ne sont pas épargnées non plus, avec une hausse des prélèvements les concernant. Fazeel Soyfoo a également mentionné l’introduction d’un impôt minimum alternatif (Alternative Minimum Tax), dont les modalités restent à préciser et qui ne concernerait que certains secteurs. Il espère que ces nouvelles taxes ne mèneront pas Maurice vers une nouvelle inclusion sur la liste grise. « Les répercussions économiques seront majeures. On pourra mieux commenter après le Finance Bill », a-t-il.

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