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Polémique sur les rapports du FSL non concluants - Détention préventive : fausse drogue, vraies lacunes

Me Alexandre Le Blanc. Me Shameer Hussenbocus.

Comment prévenir les détentions prolongées sans preuves concluantes ? Mes Shameer Hussenbocus et Alexandre Le Blanc évoquent l’urgence d’investir dans la science et la législation pour protéger les droits fondamentaux concernant la liberté des personnes arrêtées.
 

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Le débat sur la détention préventive refait surface après l’arrestation des sœurs Shazia et Adiila Oozeerally, le 11 septembre 2023. Cela fait suite à la saisie de 8,2 kilos de poudre, suspectée d’être de la cocaïne, mais qui s’est avérée ne pas l’être. Malgré cela, elles ont été détenues pendant dix jours avant d’être libérées sous caution. Il s’agit d’un autre cas de détention prolongée pour une affaire présumée de drogue qui s’est révélée infondée.

Tout cela fait dire à Me Shameer Hussenbocus qu’il faut « absolument » une réforme du système de détention préventive. « Notre système date de longtemps et beaucoup de choses ont changé dans la pratique. Toutefois, notre approche est restée la même », constate-t-il. Il fait ressortir qu’avec le système d’accusation provisoire actuel, il serait trop facile pour n’importe qui de faire de fausses allégations dans le seul but d’envoyer quelqu’un en prison pendant des mois.

Eu égard aux avancées scientifiques et technologiques en matière de détection de drogue, il est totalement inacceptable qu’en 2023, des personnes soient privées de leur liberté en raison d’une accusation provisoire de drogue. Tout cela pour apprendre des jours, des mois ou même des années plus tard, qu’il ne s’agissait pas de drogue, martèle Me Shameer Hussenbocus.

L’avocat s’interroge : comment expliquer que la police dispose d’appareils qui donnent un résultat immédiat lorsqu’un conducteur a consommé de la drogue, mais n’a pas les outils nécessaires pour identifier la drogue elle-même ? S’il concède que, dans certains cas, des tests approfondis en laboratoire sont nécessaires, il estime que la norme devrait être des tests préliminaires effectués par la police pour s’assurer de la présence de drogue.

De son côté, Me Alexandre Le Blanc rappelle que la législation existante vise déjà à protéger les citoyens contre la détention abusive. D’ailleurs, dit-il, l’ancien chef juge Eddy Balancy l’avait fait ressortir dans l’affaire Vinay Deelchand. Cependant, c’est la mise en œuvre de ces protections qui fait défaut, déplore-t-il. Ce qui entraîne des délais « inacceptables ».

À qui la faute ? « Les enquêteurs de la police ne sont pas à blâmer pour ces délais. Les juristes qui fréquentent la Bail and Remand Court (BRC) savent à quelle fréquence la police envoie des rappels au laboratoire. Quant aux officiers du laboratoire, ils ne peuvent qu’opérer dans les limites imposées par les ressources mises à leur disposition et ils ne sont donc, sans doute, pas à blâmer non plus », répond Me Alexandre Le Blanc. Il trouve également « inacceptable qu’à l’ère de la 5G et des safe cities, il faille parfois des mois ou des années pour analyser scientifiquement les pièces à conviction ».

Me Shameer Hussenbocus renchérit que le manque de ressources adéquates affecte tous les niveaux du système : « Que ce soit le manque d’équipements au niveau de la police ou encore au Forensic Science Laboratory (FSL), qui est débordé avec les requêtes d’analyses venant des quatre coins de l’île, beaucoup pourrait être fait pour améliorer le système actuel. »

Bracelets électroniques

L’avocat pense à l’introduction des bracelets électroniques. L’objectif serait de superviser ceux ayant obtenu la liberté sous caution en attendant une décision sur leur procès. « Cela permettra non seulement une supervision étroite, mais reviendra moins cher à l’État qui, dans le cas contraire, fera les frais de la personne en détention préventive », soutient-il.
De même, Me Alexandre Le Blanc tient à rappeler que la liberté de l’accusé est la norme et que l’exception est sa détention préventive. Aussi, chaque accusé est présumé innocent tant qu’il n’est pas reconnu coupable par une cour de justice à l’issue d’un procès.

L’homme de loi souligne que la détention préventive n’est ordonnée par un tribunal que s’il y a un risque réel et établi qu’un accusé interfère avec l’enquête, tente de fuir le pays ou commet d’autres délits. Il existe des moyens – notamment technologiques – de réduire ces risques et de superviser un accusé en liberté sous caution.

Toutefois, note Me Alexandre Le Blanc, il ressort de la lecture de jugements récents que la liberté sous caution aurait pu être favorablement considérée si l’État disposait de certains moyens, notamment la surveillance par bracelet électronique. « À titre d’exemple, le bracelet électronique est appliqué aux États-Unis depuis les années 1980 et depuis les années 1990 en Angleterre, en France et plus largement en Europe. Je pense que la simple mise en œuvre de ce système entraînerait des changements radicaux sur l’issue des demandes de remise en liberté sous caution. Il n’y a aucune raison valable, en 2023, pour ne pas introduire le bracelet à l’île Maurice », explique-t-il.

Me Alexandre Le Blanc estime que la solution réside dans la formation et le recrutement de plus de scientifiques. Aussi, dit-il, il faut investir davantage dans l’acquisition de l’infrastructure et du matériel nécessaire pour accélérer l’analyse des preuves. Car il s’agit de « protéger le droit le plus sacré du citoyen, soit sa liberté ».

 

Ces cas qui interpellent 

Le cas des sœurs Oozerally n’est pas le premier où des individus se font arrêter pour possession ou trafic de drogue et que, par la suite, on découvre qu’en fait, il ne s’agissait pas de produits stupéfiants. 

Le 20 avril 2023, Taslim Oozeer, 40 ans, est arrêté par les éléments de l’Anti-Drug and Smuggling Unit (Adsu). Il est soupçonné de trafic de drogue synthétique d’une valeur de Rs 15 millions. Lui insiste qu’il s’agit d’un produit médicinal contre la douleur. Il passera trois semaines en détention. Le 8 mai 2023, le FSL confirme qu’il ne s’agit pas de drogue synthétique. 
Le 1er février 2023, la Special Striking Team interpelle le Tiktokeur Feroz Karamuth à son domicile, une certaine quantité de poudre blanchâtre est saisie, ainsi qu’un « taser » et une somme de Rs 34 500. Après vérification, il s’avère que la poudre en question n’est pas un produit illicite. 
En 2020, Shah-Baaz Choomka, un jeune étudiant, est arrêté pour délit de drogue. Il passera 467 jours en détention préventive, avant d’être libéré sous caution, le FSL n’ayant décelé aucune trace de drogue dans le colis saisi dans le sac de la femme dont on l’accuse d’être complice.

 Recours du citoyen et obstacles

En cas de fausses allégations entraînant des préjudices, la personne lésée peut envisager des poursuites et réclamer des dommages contre l’auteur de ces allégations. C’est du moins l’avis de Me Shameer Hussenbocus.

« Toutefois, si la personne a été placée en détention préventive en raison d’une accusation provisoire déposée contre elle en l’absence de doute raisonnable ou à raison d’omission de la police, celle-ci peut alors engager des poursuites au civil contre l’État et le commissaire de police », ajoute l’avocat.

S’il estime qu’aucun recours « n’est à la hauteur du préjudice subi par un citoyen injustement privé de sa liberté », Me Alexandre Le Blanc tient à souligner que celui qui cherche réparation dans ces circonstances devra faire face à de nombreux obstacles. Il cite le Public Officers Protection Act (POPA), qui régit les actions en réparation de dommages contre les policiers. Celles-ci sont soumises à une prescription de deux ans, ce qui est beaucoup plus court que la norme de dix ans pour les actions civiles en réparation. 

De plus, la plainte doit se limiter au contenu de la mise en demeure préalablement servie, ce qui, selon lui, « limite les possibilités lors du procès ». Il est impératif, en cas d’arrestation ou de détention abusive, d’agir rapidement en prenant contact avec un professionnel du droit.

Quelles solutions les deux juristes préconisent-ils ? Pour Me Alexandre Le Blanc, certains amendements à la législation pourraient être envisagés pour protéger les citoyens contre la détention provisoire prolongée. La Constitution mauricienne prévoit qu’un accusé soit jugé dans un délai raisonnable, dit-il. 

« Je partage avec d’autres juristes l’opinion que ce délai pourrait être défini plus précisément par la loi. Ce genre de limitations existe dans de nombreuses juridictions sous diverses formes et pourrait parfaitement s’incorporer au système mauricien. Il faudrait que ce délai ne soit pas trop court afin de permettre à la police de travailler sereinement », précise Me Alexandre Le Blanc.
Quant à Me Shameer Hussenbocus, il explique qu’il existe en Angleterre un custody time limit. Passé un délai de 56 jours, la police ne peut continuer à garder un suspect en détention. Pour les délits plus graves, le délai est de 182 jours. Il précise qu’avec la volonté nécessaire, il est possible d’adopter un système similaire à Maurice.

 

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