De 9 heures à 17 h 30, Farook est dans son salon. Ce senior de 70 ans, mais qui ne le fait pas, continue son métier de coiffeur même à cet âge avancé. Si ce n’est plus avec la même vigueur ni précision, la passion pour la coiffure est toujours intacte.
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10 décembre 1947. Farook Nasroolah prend naissance dans le village de Chemin-Grenier dans le sud du pays. Il est le benjamin d’une fratrie de sept enfants, dont quatre sœurs et deux frères. Malgré l’absence de sa mère, celle-ci décéda quand il avait huit ans seulement, Farook aura une enfance modeste mais heureuse. Il sera pris en charge par son grand frère et sa belle-sœur. Comme presque tous les garçons de l’époque, lui aussi allait nager à la rivière, « lapess camaron ek ale bor la mer », se remémore-t-il.
Après un début de conversation timide, il se lâche petit à petit avec des lueurs tantôt de nostalgie, de joie et de fierté dans les yeux en racontant son parcours. Puis, la famille déménagera pour Vallée-Pitot à Port-Louis.
Alors qu’il faisait ses études secondaires au collège Strafford, les week-ends, il sera apprenti-coiffeur dans le salon de Saeed Nabeeboccus, celui qui lui apprendra les bases du métier pendant trois ans.
Sir Satcam Boolell était l'un de ses clients réguliers
Quand il sera en en Form III, il arrêta les études, faute de moyens, lui qui pourtant était un bon élève. Le collège était payant, Rs 10 par mois, une somme difficile à réunir avec d’autres enfants à la charge de son père. Entre-temps, il continuera son apprentissage. Son père, qui fut laboureur ayant travaillé sous un soleil de plomb, lui conseillera de « fer enn travay ki dan lombraz ». Et c’est depuis ce jour-là qu’il commença à aimer son métier et à se donner à fond. « Mon patron était un homme gentil. Il m’a donné les opportunités pour améliorer mes coups de ciseau ».
À l’époque, son apprentissage lui permettait d’avoir un pocket money. « Je recevais Rs 5 par semaine comme apprenti », dit-il. Les coupes de cheveux étaient à 50 sous. « Je me rappelle avoir gâché quelques coupes, mais heureusement que les clients, en majorité composé d’hommes, étaient compréhensibles, puis avec l’expérience je maniais à la perfection mes outils de coiffure ». Il se rappelle qu’à l’époque, les salons de coiffure étaient aussi des lieux de rencontres : « Bann klian ti koze for for, ti ena lanbians dan salon ». Cette bonne atmosphère n’était pas suffisante pour qu’il reste. Il sera approché par un autre coiffeur qui lui proposera de travailler dans son salon pour Rs 2 de plus. Une proposition qu’il acceptera. Dans ce nouveau salon à la rue Madame à Port-Louis, il sera témoin de la bagarre raciale en 1968. « J’ai vu des personnes blessées… ». Des scènes qu’il n’oubliera pas de si tôt.
À son compte
Quelque temps après, il se mariera. Et aura des enfants et se mettra aussi à son compte. Il ouvrira son salon pas loin de son ancien employeur. « Mo ti pe gagn Rs 3 par zour, me enn bwat dile tibaba osi ti Rs 3 ». Il aura trois enfants. Deux filles et un fils. Il ne s’arrêtera pas là. Il continuera à travailler et à se faire un nom. Mais, dans les années 70, avec l’ascension des Beatles, la mode des longs cheveux n’était pas à son avantage. « Les jeunes gens préféraient les longs cheveux et donc ils ne les coupaient pas ».
Il saura rebondir, son ami l’encourage à apprendre à brosser les longs cheveux. Pari payant, car son salon grouillait de jeunes voulant avoir les cheveux lisses. En 1979, Farook, ambitieux, ira faire un stage en France pour se perfectionner dans son métier. Pendant ce stage de deux mois, il apprendra différentes techniques de coupe et de défrisage de cheveux. Si à une époque c’était les hommes qui fréquentaient plus le coiffeur, il proposera aussi ses services à la gent féminine. À son retour de France, il sera encore plus connu.
« Kan tann dir enn dimounn inn al aprann deor inn vini, ti enn gran kitsoz », raconte-t-il. Les clients affluaient et ses enfants l’aideront pendant les week-ends.
Quelque temps après, il bougera vers un salon plus spacieux à la rue Labourdonnais où il travaille toujours aujourd’hui. Il prendra, au sommet de sa carrière, cinq assistants pour l’aider. Il sera parmi les seuls à maîtriser les permanentes, les défrisages et les teintures pour cheveux. « J’étais le premier à introduire ce service, il y avait tellement de clientes au salon que je ne savais où donner de la tête », raconte-t-il.
Il a même une petite anecdote. « Je me rappelle de cette femme qui avait des cheveux bien fournis et bouclés. Elle était venue pour un défrisage. Elle était accompagnée de son bébé. Après le traitement des cheveux, quand elle reprit son bébé, celui-ci ne la reconnaissait plus », dit-il en riant.
Il y aura aussi la mode de John Travolta dans le Saturday Night Fever. Autant de stars qui ont beaucoup influencé la coiffure à Maurice. Farook n’a jamais cessé de se moderniser pour répondre aux besoins de ses clients. Parmi ses clients comptaient sir Satcam Boolell, plusieurs diplomates de l’ambassade française ainsi que l’ambassadeur lui-même. « Quatre ambassadeurs français ont été mes fidèles clients », dit celui qui ne lésine jamais sur la qualité des produits utilisés. Il y en a eu d’autres aussi dont il ne dévoilera pas les noms. Après plus de 50 ans dans le métier, Farook s’occupe désormais seulement des coupes traditionnelles. « Avec l’âge, je n’ai plus la même précision qu'auparavant pour faire les nouvelles tendances que cherchent les jeunes », dit celui qui va souvent sur Youtube voir l’évolution de la coiffure.
Si, avant, il a dominé le giron de la coiffure dans sa région, il avoue que la mode change très vite et qu’il y a beaucoup de salons de coiffure. « Je suis content de voir que ce métier est très valorisé de nos jours et que de plus en plus de personnes pratiquent ce métier ».
Bio Express
- Plat préféré : Grains secs, riz et légumes
- Passe-temps : Le jardinage
- Aime : La réussite des autres
- N’aime pas : L’arrogance
- Acteur préféré : Shammi Kapoor
- Actrice préférée : Meena Kumari
- Chanteur préféré : Manna Dey
La coiffure en trois génération
Si à un moment donné Khalid, le fils de Farook, l’aidait dans le salon de coiffure, lui aussi tombera dans la marmite et fera sa carrière dans le même domaine que son père. Après son Higher School Certificate, lui aussi s’envolera pour des cours de coiffure en France. Zakia, la fille de Khalid, a elle aussi emboîté le pas à son grand-père et son père.
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