Que la Banque de Maurice se retrouve sans maître n’est pas un bon message aux investisseurs, clame Pierre Dinan, qui souhaite que le « vide béant » soit vite comblé. Pour l’économiste, « l’oiseau rare » qui sera nommé doit être un « homme d’expérience » qui maîtrise la politique monétaire.
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La Banque de Maurice (BoM) est sous les feux des projecteurs ces derniers jours. Quelle image l’annonce du remplacement du Gouverneur Yandraduth Googoolye et de son adjoint projette-t-elle ?
De voir que la Banque de Maurice est étêtée n’envoie pas nécessairement un bon message aux investisseurs, qu’ils soient locaux ou internationaux. Il est bon de rappeler que la BoM doit être la gardienne de la valeur de notre devise nationale, qui est la roupie. Il est donc important et réconfortant de savoir qu’il y a des personnes compétentes pour gérer la politique monétaire. Or, avec le départ de deux Gouverneurs –sachant que le poste du troisième était déjà vacant (Ndlr : Renganaden Padayachy est aujourd’hui ministre des Finances) - on se retrouve avec un vide béant à la tête de la politique monétaire de Maurice. Ce n’est guère rassurant et cela fait se poser des questions.
S’agit-il d’un désir du gouvernement de modifier sa politique monétaire ? S’agit-il d’un règlement de compte pour incompétence ou insoumission ? Le public investisseur et le public en général se posent des questions. Le plus tôt que ce vide sera comblé et que des explications plausibles auront été fournies par les autorités, le mieux ce sera. Car la bonne marche de l’économie ne tolère pas les incertitudes. Cela est d’autant plus important que ces derniers jours l’économie au niveau mondial ne tourne pas rond sous les coups de boutoir de l’épidémie du coronavirus (COVID-19) et sous les incertitudes liées à la situation au Moyen-Orient notamment.
Croyez-vous que le transfert de Rs 18 milliards des réserves de la BoM, qui a été vivement critiquée, serait derrière cette décision ?
Je ne le crois pas parce que dans le dernier bulletin mensuel de la Banque de Maurice, on fait état de ce transfert et on nous informe qu’il a été approuvé par le conseil d’administration de la banque. D’ailleurs, il n’y a aucune allusion à quelque réticence de la part du conseil d’administration ni d’aucun Gouverneur.
En Inde, deux Gouverneurs avaient démissionné parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec le diktat du pouvoir politique»
Plusieurs noms ont été avancés comme potentiel Gouverneur de la BoM. Quel doit-être le profil d’un bon Gouverneur ? Qui serait, selon vous, le parfait candidat ?
Ce n’est pas dans mon habitude de faire des commentaires ad personam. Maintenant, s’agissant des compétences professionnelles du Gouverneur de la BoM, on ne peut s’empêcher de penser que l’idéal serait au moins un économiste avec une spécialisation en politique monétaire. De plus, il serait extrêmement souhaitable que cet « oiseau rare » soit aussi un homme d’expérience. Je donne deux exemples de ce qui s’est passé dans deux pays qui nous sont proches. En Grande-Bretagne, il leur est arrivé de confier ce poste de haute responsabilité à Mark Carney, un Canadien. En Inde, il y a quelques années de cela, ils sont allés chercher un Indien qui occupait à ce moment-là de très hautes responsabilités au Fonds monétaire international (FMI). C’est vous dire que dans ce domaine les compétences et l’expérience sont de grande importance. Ceci étant dit, la compétence et l’expérience étant des facteurs importants, il faut aussi que le choix se porte sur des gens qui ont la capacité d’être indépendants du pouvoir politique.
La question de l’indépendance de la Banque de Maurice revient souvent sur le tapis. Est-ce vraiment possible quand la personne nommée est souvent un nominé politique ?
Je crois que la réponse à votre question est oui, même s’il est nommé par le pouvoir politique, à condition que la personne choisie sache au départ poser ses conditions. À cet effet, permettez-moi de rappeler qu’en Inde, deux Gouverneurs avaient démissionné parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec le diktat du pouvoir politique. Et l’un de ses deux démissionnaires n’était nul autre que celui qui avait été ramené en Inde de Washington où il avait travaillé au sein du FMI. C’était un vrai professionnel et il n’avait pas accepté de perdre son indépendance.
Certains observateurs craignent une dépréciation de la roupie…
J’en fait partie. Et cela pas parce qu’il y a ce changement. Ma crainte date du moment où l’on a commencé à distribuer des cadeaux électoraux, notamment les pensions pour les personnes âgées. Il est devenu évident que pour faire face à ces augmentations de déficit budgétaire, il fallait bien avoir recours à des moyens pour augmenter les revenus budgétaires. Un de ces moyens est de baisser la valeur de la roupie. Ce qui augmentera le coût des marchandises, y compris la TVA qui frappe ces coûts additionnels. Donc, il y a la possibilité d’avoir plus de revenus budgétaires à travers la TVA pour faire face aux hausses des dépenses budgétaires occasionnées par les pensions accrues.
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