Interview

Pierre Dinan, économiste: «Je ne crois pas aux miracles économiques »

L’économiste Pierre Dinan
L’économiste Pierre Dinan estime que le gouvernement devrait avoir le courage de mettre à exécution les recommandations politiquement difficiles de la Banque mondiale. Car, dit-il, l’enjeu est national. Quelle est votre analyse du rapport de la Banque mondiale (BM) Inclusive Growth and Share Prosperity in Mauritius ? Je note d’abord que c’est un rapport qui a été fait à la requête du gouvernement. Et cela m’a beaucoup frappé… Pourquoi ? Cela indique que le gouvernement est conscient qu’il faut réduire les inégalités. C’est une bonne stratégie de penser que si la croissance et la Vision 2030 qui nous a été proposée est une chose nécessaire, elle doit se faire à certaines conditions. Je regrette que la réforme économique qu’il y a eu dans ce pays quelques années de cela, et qui est évoquée dans ce document, n’a pas été suivie d’une reforme sociale. Aujourd’hui, nous nous retrouvons avec des inégalités qui se creusent. Cette réforme sociale est des plus essentielles. On a perdu beaucoup de temps. Le rapport souligne qu’il y a eu une amélioration générale au niveau du bien-être de la population de Maurice… Certes, mais c’est la répartition de cette croissance qui n’a pas été égale. D’ailleurs, il faut se demander qui sont les victimes de ces inégalités. Selon ce rapport, elles sont la partie basse de la classe moyenne, ceux qui sont très proches des  pauvres et des très pauvres. Ces gens-là n’ont pas bénéficié de la croissance. Car il faut le reconnaître, croissance il y a eu même si elle n’a pas été forte. Si ce pays doit grandir et grossir sa richesse, il aura besoin de tout le monde. Je suis bien content de voir l’accent que les rédacteurs du rapport mettent sur l’incapacité de notre système éducatif actuel de permettre à ceux qui sont au sont au bas de l’échelle de gravir les échelons. Le rapport dit que la pauvreté et la vulnérabilité continuent à travers les générations, qu’il  n’y a pas de possibilité pour un enfant pauvre ou d’une couche moins aisée de réussir, à part certaines exceptions. Donc, sans croissance économique et réduction des inégalités pas d’éradication de la pauvreté? Absolument. Si on veut augmenter la croissance il faut aussi l’apport de ceux qui sont économiquement désavantagés. Tout le monde doit être sur le bateau. C’est dommage que les jeunes se retrouvent en dehors du système. Et le rapport de la Banque mondiale critique le système éducatif qui a failli dans sa tâche et n’a pas pris ces jeunes on board. Pourtant l’éducation est gratuite… Mais quelle de quelle qualité ? [blockquote]"Donnez de l’argent à ceux qui en ont besoin."[/blockquote] Vous dites que l’éducation à Maurice est de mauvaise qualité parce que gratuite ? Il y a sans doute des institutions gratuites qui donnent une éducation de qualité. Mais combien d’autres ne le font pas ? Même le gouvernement reconnaît ce fait. Sinon, pourquoi a-t-on les collèges nationaux ? Ceux qui produisent des lauréats. De temps à autre, il y a un petit collège qui a un lauréat. On a trop axé le système sur la production d’une élite. C’est bien, mais cela ne suffit pas. Il faut davantage d’attention à tous, surtout à ceux au plus bas de l’échelle. Autant pour le constat, mais quelles sont les solutions ? La Banque mondiale déplore qu’il y a des défavorisés qui restent défavorisés. D’ailleurs, un autre rapport ‘leaked’ dans Le Défi Plus soutient que les programmes de la National Empowerment Foundation (NEF) souffrent d’erreurs de conception ne ciblant pas suffisamment les bénéficiaires principaux. C’est le même langage que celui de la Banque  mondiale. Donc le gouvernement a du souci à se faire ? Et comment ! Nous avons le devoir de faire monter les classes au plus bas et qui n’arrivent pas à sortir de leurs conditions. Que devrait-on faire pour cela ? Il faut former des personnes, des femmes plus que des hommes, qui iront s’occuper des familles pauvres dans les villages les plus reculés, y compris Rodrigues, pour accompagner ces familles. Voilà où le gouvernement devrait créer des emplois. Il y a déjà un gros budget social. Ne devrait-on pas faire du ciblage ? Donnez de l’argent à ceux qui en ont besoin. Et utilisez l’argent qui reste pour former des accompagnateurs. Tout le monde a besoin d’argent… Qui cibler ? À mon avis, le gouvernement dépense de l’argent sur des choses qui ne sont pas nécessaires. Il doit utiliser à bon escient ses moyens limités. Il n’est pas nécessaire de donner tout le temps de l’argent. Il faut former, accompagner, suivre… Le rapport s’inquiète aussi de la situation des petites et moyennes entreprises qui éprouvent des difficultés à réaliser des profits… Les PME reviennent dans tous les budgets mais elles n’avancent toujours pas ! On ne peut que souhaiter que la nouvelle banque, la MauBank , agisse de manière compétente et efficace. Il y a l’aide financière, mais il y a aussi les accompagnements. On est en droit de se demander si ces institutions touchent vraiment leur clientèle. Je me hâte de préciser qu’il est souhaitable que la politique ne trouve pas son chemin là aussi, compte tenu de la mauvaise expérience qu’on a eue avec la MPCB ! Est-ce à dire que nous évoluons en deça de nos capacités ? C’est vrai que nous devrions mieux faire en tant que nation mauricienne. Si je m’en tiens à l’économie, c’est un fait qu’aujourd’hui elle ne tourne pas au mieux. Il y a un output gap. La raison, c’est que du plus petit au plus grand, nous ne donnons pas le meilleur de nous-mêmes. Je ne pointe du doigt personne. Le rapport souligne que les salaires dans la fonction publique a connu une hausse de 23 % alors que dans le privé, elle a été de 7%. Je me demande si la productivité dans le secteur public a augmenté du même pourcentage ! Quid de la direction qu’a prise le gouvernement ? La direction est bonne si on s’en tient à la Vision 2030 du Premier ministre. Il faut maintenant se donner les moyens pour maintenir cette direction. Et le rapport de la Banque mondiale,  en mettant l’accent sur les faiblesses, montre les stratégies à employer pour qu’on puisse faire de Maurice une high income economy, comme il est préconisé dans la Vision 2030. Si on applique ces recommandations aura-t-on le deuxième économique comme promis? Le miracle serait que tous les Mauriciens se donnent la main pour avancer et faire progresser le pays. Je ne crois pas dans les miracles économiques,  pas plus dans les années 80 que maintenant. En 1982, nous sortions d’une décennie de gaspillage suivie de dévaluations et d’un gouvernement à bout de souffle. On a été obligé de suivre des prescriptions du FMI et cela a marché. Peut-être que si maintenant on suit les recommandations de la BM de manière loyale, il y a de l’espoir de progresser et atteindre un meilleur niveau de vie. Car il faut mériter la prospérité.
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