Les boutiques du coin font partie du paysage mauricien. Mais avec l’arrivée des grandes surfaces, certaines ont dû mettre la clé sous le paillasson, alors que d’autres ont innové. Gros plan sur deux success stories et deux échecs.
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Les Jeetun : Les maîtres de l’innovation
Chez Simla Way, les clients ont le choix entre plus de 10 000 produits et quelque 1 500 à 2 000 marques. Pas étonnant donc que le supermarché enregistre en moyenne 70 000 à 80 000 passages en caisse chaque mois. Des chiffres qui donnent quelque peu le tournis. Quand ils y songent, les Jeetun, qui sont les propriétaires de Simla Way, ne peuvent qu’être fiers du chemin parcouru.
L’aventure a commencé pour eux il y a 20 ans quand Rajeshwar Jeetun, aujourd’hui décédé, a ouvert la Boutique Rajesh à Baie-du-Tombeau. Déjà à l’époque, le commerce se différencie des autres boutiques. Son petit plus : on y trouve à la Boutique Rajesh des légumes frais et des noix de coco qui proviennent des champs de Rajeshwar Jeetun.
Cinq ans d’existence
Les années passent, le commerce se porte bien, mais pas question pour autant pour les Jeetun de s’endormir sur leurs lauriers. Et c’est ainsi qu’en 2008, la boutique devient un supermarché et passe sous l’enseigne Way. Simla Way voit ainsi officiellement le jour. « En joignant le groupe Way, le but des Jeetun était de bénéficier de certains avantages notamment au niveau de l’approvisionnement des produits auprès des fournisseurs à des meilleurs prix. De plus, Way propose son propre catalogue avec plusieurs promotions à la clé », indique Raakesh Bhageerutty, Manager de Simla Way. Dans la même foulée, la petite boutique de 600 pieds carrés passe à 3 000 pieds carrés. Toutefois, en 2010, le malheur frappe les Jeetun. Un incendie ravage le supermarché. Loin de se décourager, les Jeetun (Ndlr : ce sont les fils de Rajeshwar Jeetun, à savoir Rakesh, Ranjeev et Amal qui sont les propriétaires de Simla Way) rouvrent un autre supermarché un an plus tard sur une superficie de 10 000 pieds carrés. Le nouveau Simla Way fête d’ailleurs cette année ses cinq ans d’existence.
Le supermarché tente de se démarquer à divers niveaux. « Nous offrons un service de transport gratuit à ceux qui effectuent des achats avoisinant Rs 3 000 à monter. Nous les déposons, soit tous les membres de la famille qui sont venus faire leurs courses, directement chez eux », indique Raakesh Bhageerutty. Simla Way a aussi mis à disposition de ses clients un plus grand parking ainsi qu’un service de guichet automatique. « Nous innovons constamment. Nous proposons pas mal de promotions et nous avons toujours misé sur la proximité. Ce sont-là les ingrédients qui ont fait notre réussite. D’ailleurs, il y a quelques années, l’Observatoire des prix nous avait décerné le titre de supermarché le moins cher du pays », avance Raakesh Bhageerutty.
Aujourd’hui, les Jeetun songent à l’expansion. Ils prévoient l’ouverture d’un second Simla Way de 10 000 pieds carrés à Triolet au début de 2017. Quelque 50 personnes seront recrutées. Ce qui ramènera le nombre du personnel à une centaine.
Les Fauzee : Comment ils ont transformé une tabagie en 21 supermarchés
5 Stars. C’est ainsi que Moussa Fauzee a baptisé sa tabagie qu’il a fait construire à 16e Mille, il y a bien des années. Ses cinq fils (Salaudin, Muryoodin, Abedeen, Farudeen et Siddick) ont d’ailleurs du mal à se souvenir de la date exacte de l’ouverture. Un nom qui semble avoir porté chance à la famille Fauzee. Et pour cause, la tabagie change de statut dans les années 80. Elle devient une boutique. On y trouve de tout : produits alimentaires, articles de quincaillerie, entre autres. En 1999, nouveau changement. La boutique du coin est dorénavant un libre-service. Elle est baptisée cette fois-ci Siddick Libre-Service. Aujourd’hui, le commerce est devenu le célèbre Dream Price.
Si l’aventure a commencé à 16e Mille, Dream Price s’est étendue à d’autres régions de l’île, principalement dans le sud du pays. On compte en effet 21 Dream Price à travers l’île. La chaîne de supermarchés arrive en deuxième position dans le Top 5 des grandes surfaces les plus fréquentées à Maurice d’après un sondage de TNS Analysis. Elle se situe, par ailleurs, en troisième position après Winner’s et Super U avec un chiffre d’affaires de Rs 3,096 milliards. Ce qui n’est pas étonnant car Dream Price propose plus de 15 000 références produits à ses plus de 40 000 clients mensuels. Pour Nooreza Fauzee, directrice financière chez Dream Price, plusieurs facteurs se cachent derrière le succès de Dream Price. « D’abord, nous avons été parmi les premiers à avoir proposé le libre-service dans le Sud. Nous avons aussi constamment étoffé notre gamme de produits tout en misant sur des prix compétitifs et un service de proximité. Ce qui nous a permis d’attirer de plus en plus de clients, de faire grimper notre profitabilité et notre chiffre d’affaires et, ainsi, d’ouvrir d’autres supermarchés dans l’île », soutient notre interlocutrice.
La famille Fauzee ne compte, toutefois, pas s’arrêter en si bon chemin. « Nous envisageons d’ouvrir, en 2017, d’autres supermarchés dans d’autres régions de l’île ainsi qu’un second mini mall (Ndlr : les Fauzee ont ouvert, en mai, un mini-mall à Souillac où on compte un supermarché Dream Price, deux food-courts et plusieurs magasins) », annonce Nooreza Fauzee.
Plus de 2 000 fermetures en 20 ans
En l’espace de 20 ans, le nombre de boutiques du coin et tabagies est passé de plus de 5 000 à environ 3 000 actuellement, indique-t-on à la Shop Owners’ Association. À titre d’exemple, rien qu’à Vacoas/Phoenix, il y a eu 98 fermetures depuis le début de l’année à ce jour. Le nombre de fermetures dans cette région varie : 117 en 2010, 118 en 2011, 111 en 2012, 95 en 2013, 240 en 2014 et 167 en 2015.
Les Beedasy : La 3e génération ne roulera pas le store familial
Umesh Beedasy, 50 ans, est aide-chauffeur de camion. Un employé comme les autres pour ceux qui ne le connaissent pas. Pourtant, Umesh Beedasy, qui est père de deux enfants, a été son propre patron. Vingt ans plus tôt, il avait pris le flambeau de l’affaire familiale, soit le Beedasy Store, que son père Lalman avait montée.
« Au début, il ne manquait pas de travail et de clients. Toutefois, avec l’éclosion de plusieurs supermarchés dans la région, les affaires ont commencé à aller mal. Les clients n’étaient plus aussi nombreux et les ventes chutaient continuellement », explique-t-il. D’où sa douloureuse décision de mettre la clé sous le paillasson il y a un peu plus d’un an et de devenir aide-chauffeur pour gagner sa vie. « Cela m’a fait mal de fermer ma boutique. Quand j’ai pris la succession de mon père, je comptais, moi aussi, léguer la boutique à mes enfants », relate Umesh Beedasy. Un rêve auquel, toutefois, il a dû vite renoncer quand la boutique a commencé à cumuler les pertes. Croit-il en l’avenir des boutiques du coin ? « Celles qui sont situées dans des régions où l’on compte peu de supermarchés pourront toujours opérer. Par contre, là où il y a une compétition accrue, les choses risquent d’être plus difficiles », soutient notre interlocuteur. Umesh Beedasy en a lui-même fait l’amère expérience.
Les Bysooa : Il abandonne sa boutique pour un taxi
Nous sommes en 1992. C’est l’année où Rajess Bysooa et son épouse Bharutee réalisent leur rêve de toujours : monter leur propre affaire. Il faut dire que le couple a fait pas mal de sacrifices pour réaliser son ambition. Après leur mariage, les Bysooa iront travailler en Italie : Rajess en tant que réceptionniste pour une entreprise qui gère un club sportif pendant trois ans et son épouse comme femme de ménage pendant deux ans. Ils mettent chaque sou possible de côté. Une fois de retour à Maurice, ils achètent un terrain à Izy D’or Rose dans l’Est où ils construisent une boutique en 1991.
« On voulait faire un business à tout prix et ouvrir une boutique doublée d’un bar s’est imposée d’emblée », explique Rajess Bysooa. Le succès est immédiat. Les Bysooa se constituent rapidement une clientèle, parmi des consommateurs qui viennent au quotidien et d’autres qui font leurs courses chaque quinzaine ou chaque fin de mois. Mais, ce temps-là est révolu. Il y a deux ans, Rajess Bysooa a dû fermer boutique. « Environ cinq ans avant que je ne décide de fermer la boutique, les affaires ont commencé à aller mal. On faisait des ventes, mais ce n’était plus comme avant. L’argent que j’obtenais ne couvrait qu’une partie de mes frais. Je devais puiser de mes poches pour payer mes permis. Ce n’était plus soutenable financièrement de continuer à rouler l’affaire alors qu’auparavant, ce travail permettait de faire vivre ma famille », indique Rajess Bysooa.
Compétition
Aujourd’hui âgé de 56 ans, Rajess Bysooa, qui est père de trois enfants, est devenu chauffeur de taxi. « J’étais très attristé de renoncer à mes rêves et mes ambitions. Le fait que j’avais mon propre business était une fierté pour la famille », fait-il ressortir.
Pour Rajess Bysooa, deux facteurs expliquent le déclin de ses activités. D’abord, la compétition « Il y a eu des libre-services qui ont ouvert leurs portes. Difficile de concurrencer avec eux en termes de choix, de service et de promotion en fin de mois. Ce n’est pas facile pour une petite boutique d’offrir le même confort d’achat », souligne notre interlocuteur. Deuxième facteur : les achats à crédit. « L’achat à crédit est une des facilités que proposent les boutiquiers. Or, certains clients en abusent. On ne les voit plus quand il faut qu’ils s’acquittent de leurs dettes. Leurs paroles ne restent que des promesses. À ce jour, on ne m’a toujours pas remboursé une somme totale d’environ Rs 25 000 », ajoute Rajess Bysooa. A-t-il l’intention de refaire un autre business ? « Non. Je projette juste à l’avenir de louer le bâtiment sur lequel se trouve la boutique », conclut Rajess Bysooa.
Santosh Ramnauth, président de la Shop Owners’ Association : «Les ventes ont chuté de 50 %»
Certaines boutiques du coin continueront à exister contre vents et marées, affirme Santosh Ramnauth. Le président de la Shop Owners’ Association ne cache, toutefois, pas que l’hémorragie des fermetures persistera.
Chaque année, des boutiques du coin ferment leurs portes. Est-ce une activité commerciale en voie de disparition ?
Il y aura toujours des boutiques du coin même si une bonne partie continueront à fermer leurs portes. Il faut savoir que ces fermetures sont généralisées et ne touchent pas que les villes, mais également les villages. Ce sont surtout celles qui doivent payer un emplacement qui sont les plus à risque. Elles sont vouées à la fermeture dépendant de la concurrence qu’il y a dans les régions où elles se trouvent.
Vos activités sont en chute libre…
Oui. Les ventes des boutiquiers ont chuté de 50 % depuis ces 10 dernières années. Certes, il y a des boutiques qui ont innové et se sont agrandies, mais on n’en compte qu’une poignée.
La compétition avec les supermarchés et grandes surfaces est-elle l’unique raison qui explique la fermeture des boutiques du coin ?
Non. Certaines ont trop de frais à s’acquitter. Outre les factures telles que l’électricité, il y a les permis à payer. Ils tournent autour de Rs 12 000 par an, dépendant des régions. Certaines doivent s’acquitter de la location. Notre plus gros problème demeure cependant la compétition. D’une part, les grandes surfaces, qui bénéficient des prix plus avantageux auprès des fournisseurs, font constamment des promotions. Ce qui fait que nous ne pouvons pas rivaliser en termes de prix. De l’autre, on compte plusieurs chaînes de supermarchés à travers l’île. Les gens préfèrent y faire leurs achats plutôt que dans les boutiques du coin.
Quelles sont les solutions pour que ce type de commerce continue à survivre ?
Il n’y a pas vraiment de solution. Toutefois, cela aurait été un soulagement pour les boutiquiers si le gouvernement révise à la baisse les coûts de ses permis.
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