
À 63 ans, Kersley Racheea, sculpteur et peintre, vit la paternité en solo. Père d’une fillette de 10 ans, il consacre ses journées à Laxmi, son miracle tant attendu, qu’il élève avec amour et détermination.
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Dans son modeste logis empreint d’odeurs de peinture fraîche et d’effluves sucrées de pâtisserie, Kersley Racheea s’affaire. Un linge suspendu ici, une toile en cours de création là. Entre les pinceaux, les casseroles et les cahiers d’école, sa vie est un ballet organisé rythmé par une seule mélodie : celle de l’amour inconditionnel d’un père pour sa fille.
À 63 ans, cet homme discret, au regard bienveillant et aux mains façonnées par les années de création, n’a pas choisi la voie la plus simple. Il élève seul sa fille de dix ans, Laxmi, qu’il surnomme tendrement « mo ti lizie ». C’est elle qui illumine son quotidien, qui lui donne l’énergie de cumuler les petits boulots pour joindre les deux bouts. C’est elle, surtout, qui donne un sens profond à son existence.
Kersley n’a jamais été un homme pressé. Dans ses jeunes années, l’amour ne l’a pas trouvé. Il a préféré s’investir dans ses passions, notamment la peinture et la sculpture, disciplines dans lesquelles il s’est épanoui pleinement. Il a aussi enseigné la pâtisserie, un art qu’il considère comme « la poésie du sucre ».
Pendant longtemps, il pensait que le destin l’avait fait naître pour créer, et non pour fonder une famille.
Mais en 2014, une rencontre bouleverse sa trajectoire. Celle d’une femme plus jeune de 20 ans, avec laquelle il a cru, pour la première fois, pouvoir construire un avenir à deux. Une union improbable, pleine d’espoir. De cet amour naît, un an plus tard, une petite fille aux yeux pétillants : Laxmi.
Cependant, entre les deux adultes, les différences ont fini par creuser des fossés. « On n’avait pas la même vision de la vie, pas les mêmes priorités », confie Kersley avec une sérénité forgée par le temps. « Elle était plus jeune, elle voulait vivre autrement. Moi, j’étais déjà tourné vers la stabilité, la création,
l’éducation. » Ils ont fini par se séparer. Sans animosité, mais avec le cœur lourd.
Il n’a jamais douté une seconde de ce qu’il devait faire : assumer la responsabilité pleine et entière de son enfant. « J’ai toujours voulu être père, et voilà que Dieu m’a fait ce cadeau. Comment aurais-je pu tourner le dos à cela ? » demande-t-il, les yeux humides. Il a donc pris Laxmi avec lui, décidé à être à la hauteur, malgré le poids de l’âge.
Depuis, Kersley est devenu tout à la fois : père, mère, cuisinier, enseignant, soutien moral, et compagnon de jeu. Sa journée commence tôt. Il peint quelques heures le matin, propose des ateliers d’arts plastiques pour enfants ou adultes, et donne des cours de pâtisserie lorsqu’une opportunité se présente. Il accepte aussi des petits contrats ici et là, pour arrondir les fins de mois. Chaque centime compte, dit-il.
Ma fille est mon professeur de bonheur, moi qui croyais que j’étais trop vieux pour apprendre encore»
Sa fille ne manquera de rien, il se l’est juré : « Je peux me priver de tout, mais pas elle. Son éducation passe avant tout. Si je dois ne pas manger un bon repas ou reporter l’achat d’un pantalon, je le fais. Mais elle, elle doit avoir ses cahiers, ses crayons, et tout ce qu’il faut pour réussir. »
Et Laxmi réussit. Brillamment. Élève studieuse et appliquée, elle récolte de bonnes notes, mais plus encore, elle est curieuse, vive, pleine de vie.
« Elle me pose mille questions par jour, elle veut tout comprendre. Elle est mon professeur de bonheur, moi qui croyais que j’étais trop vieux pour apprendre encore », dit-il en souriant.
Père et fille partagent tout : les repas, les devoirs, les promenades, les fous rires… et la peinture. Laxmi adore regarder son père créer. Elle l’imite, elle peint, elle aussi. Parfois, leurs toiles sont exposées côte à côte dans de petits marchés artisanaux.
« C’est notre galerie à nous », dit Kersley, avec une fierté non dissimulée.
« Quand elle peint, je vois mon âme à travers elle. Elle a cette sensibilité, cette délicatesse… Elle met de la lumière dans tout ce qu’elle touche. » Et de cette lumière, il se nourrit. Car certaines journées sont rudes. Les douleurs au dos, les angoisses de ne pas avoir assez pour le mois prochain, les insomnies pleines de doutes. Mais il ne flanche pas : « Elle est ma force. »
Kersley ne cache pas qu’il se sent parfois en décalage. À son âge, ses amis sont devenus grands-parents. « Moi, je fais encore les devoirs avec ma fille, je prépare les tartines le matin, je lave le linge à la main, je fais la cuisine le soir. Certains trouvent ça étrange. D’autres m’admirent. Mais au fond, je ne fais que suivre mon cœur. »
Et ce cœur est rempli d’une tendresse immense, d’un amour brut et pur. « L’amour d’un père, quand il est seul face au monde, il est puissant. Je n’ai pas de relais, pas de compagne, pas de grands-parents pour m’épauler. Je suis seul. Mais ça me rend encore plus attentif, encore plus fort. »
Malgré les incertitudes, Kersley rêve encore. Il rêve de voir sa fille devenir artiste, ou médecin, ou tout ce qu’elle voudra. Il espère pouvoir exposer à nouveau, vendre davantage de ses œuvres, avoir un petit atelier mieux aménagé. Il pense aussi à écrire un livre pour raconter son parcours, « pour que Laxmi sache, plus tard, combien je l’ai aimée ».
Et surtout, il ne veut jamais qu’elle doute de sa valeur. « Je veux qu’elle sache qu’elle est née d’un amour sincère, même s’il n’a pas duré. Et que son père l’a choisie, chaque jour, encore et encore. »
Kersley Racheea est peut-être un homme hors du temps. Mais il est surtout une preuve vivante que la paternité n’a pas d’âge, que l’amour d’un père peut porter un foyer entier, et que, parfois, les plus belles œuvres d’art sont celles que l’on élève, jour après jour, avec foi, courage et amour.
Ajagen Koomalen Rungen / Azeem Khodabux

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