Percy Yip Tong estime qu’il est temps de considérer l’interculturalité comme un moyen de renforcer le mauricianisme en vue des 50 prochaines années d’indépendance du pays.
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Vous êtes né avec la nationalité britannique. Vous êtes devenu Mauricien en 1968. Pour l’enfant que vous étiez à l’époque, qu’est-ce que cela a changé ?
Je suis né Anglais, comme la majorité des Mauriciens, mais je ne me suis jamais senti Anglais. Enfant, je ne comprenais pas vraiment ce que signifiait l’Indépendance. Mon père étant magistrat, il était invité à la cérémonie officielle au Champ de Mars et je l’ai accompagné.
Quel est votre souvenir le plus marquant ?
Ce qui reste gravé dans mes souvenirs d’enfant de 8 ans, c’est l’immense foule présente. J’ai compris que ce jour-là était un jour exceptionnel, un événement historique. J’ai aussi trouvé comique le contraste entre un petit monsieur brun à lunettes qui portait un costume, et un autre qui était habillé bizarrement. Le premier avait des cheveux blancs et l’autre portait un chapeau rigolo couvert de longues plumes blanches. C’est après que j’ai appris leurs noms. Ces derniers étaient sir Seewoosagur Ramgoolam et le gouverneur général sir John Rennie.
Qu’est-ce, pour vous, être Mauricien ? Et être patriote ?
Être Mauricien, c’est avant tout se sentir appartenir à un même peuple avec des ressemblances et valeurs communes. Être patriote, c’est se sentir plus Mauricien que citoyen d’origine chinoise, indienne, africaine ou européenne.
Et le mauricianisme ?
Pour moi, le mauricianisme, c’est le fait de vivre en tant que Mauricien avant tout et d’exprimer son patriotisme en pensée et en actes. Le sentiment de mauricianisme existe dans la nation, reste à savoir s’il est majoritaire.
Le problème c’est que les politiques qui dirigent la nation pratiquent à chaque élection le « communalisme » et nous font croire que seul un Mauricien de foi hindoue et de caste Vaish peut être Premier ministre. En outre, il y a une certaine forme de royauté qui dit qu’il faut être le fils de Premier ministre pour pouvoir être un bon Premier ministre.
Le mauricianisme existe, mais le milieu politique et parfois religieux et socio-culturel l’empêchent d’être plus ancré dans la population.
Quelques mots sur le slogan « As one people, as one nation »…
Il a perdu de sa valeur après 56 ans d’Indépendance. Depuis 1968, il y a eu plusieurs dérapages communaux, comme les émeutes de Kaya et plus récemment l’attaque de La Citadelle. J’ai l’impression, après plus d’un demi-siècle d’Indépendance, qu’au lieu d’être plus soudée, la nation est plus divisée. “As one people, as one nation… in Peace, Justice and Liberty”… La Paix, la Justice et la Liberté ont aussi reculé, surtout sous le gouvernement actuel.
Mais j’aime penser positif. Donc, je préfère me souvenir des trois marches pacifiques regroupant plus de 100 000 Mauriciens dans les rues de Port-Louis et Mahébourg. Jamais, depuis notre indépendance en 1968 n’avons-nous eu une si grosse foule dans les rues ! La catastrophe écologique du Wakashio a soulevé un tsunami de solidarité, de patriotisme et de mauricianisme. Des citoyens ensemble pou enn meyer Lil Moris.
Quid du « nation building » ?
Posez cette question à ces politiciens qui pratiquent une campagne communale pour se faire élire.
Il y a une multitude de centres culturels et d’associations socio-culturelles. À quand un Centre culturel mauricien ?
Après 56 ans d’Indépendance, ce n’est pas normal qu’un Centre culturel mauricien n’existe toujours pas à Lil Moris. Sous le MMM, nous en avions bien eu un. Mais il était fantomatique et a fermé. C’est la preuve même que tous les gouvernements que nous avons eus n’ont pas vraiment à cœur le mauricianisme. Sinon, ils auraient pensé qu’ouvrir un Centre culturel mauricien est important pour cimenter la nation mauricienne.
Ne faudrait-il pas étudier les textes d’artistes emblématiques tels que Grup Latanier, Cassiya, Bam Cuttayen, Kaya, Michel Legris, et bien d’autres, à l’école ? Cela ne contribuerait-il pas à valoriser le mauricianisme ?
La vérité, c’est que ce ne sont pas les politiciens ou religieux qui cimentent le plus la nation mauricienne, mais les artistes, musiciens et chanteurs. Les deux grosses vagues de mauricianisme dan nou ti zil ont été musicales. Le séga engagé, grâce à un groupe de chanteurs, a fortement contribué à mettre un nouveau parti, le MMM, au pouvoir. La deuxième grosse vague a été le seggae lancé par Kaya & Racinetatane, une nouvelle musique mauricienne porteuse de messages d’unité, de paix et de mauricianisme.
L’art, la culture, mais aussi le sport ont cette capacité d’unir les Mauriciens autour du drapeau national.
56 ans après l’accession à l’indépendance, sommes-nous fiers d’être Mauriciens ?
Certainement. Mais je trouve ce sentiment de fierté bien plus présent chez la diaspora à l’étranger que chez les citoyens à Maurice.
En quoi l’Indépendance de Maurice vous a-t-elle influencé ?
Cela m’a influencé justement en me rendant fier d’être Mauricien, d’avoir le sentiment d’appartenance à un peuple et un pays. Cela m’a donné une fibre patriotique qui m’a poussé à promouvoir le séga et le seggae, de produire des artistes dont les albums propagent des messages unitaires, écologiques et de justice sociale, d’utiliser l’art et la culture comme outils de sensibilisation aux problèmes de la société et au mauricianisme.
Comment évaluez-vous le progrès réalisé par Maurice au cours des 56 dernières années ?
Il faut être honnête. En général, Lil Moris a fait de gros progrès sur les plans économique, social et politique. Mais si les politiques ne l’accompagnent pas avec plus d’égalité sociale et économique, alors quelque part, nous avons échoué.
Quels sont, selon vous, les principaux enjeux auxquels fait face Maurice aujourd’hui ?
Les principaux enjeux sont aujourd’hui le combat contre la drogue et la pauvreté, et malheureusement les deux sont liés. Mais aussi la protection de la nature, l’autosuffisance alimentaire et les énergies propres. La solution est dans l’agroécologie, les énergies renouvelables et l’économie circulaire.
Maurice est un pays minuscule. Si nous reproduisons toutes les bonnes pratiques qui ont réussi dans ces tros secteurs à travers le monde, nous réduirons notre dépendance aux importations en dollars et euros pour la nourriture et l’énergie, tout en réduisant nos déchets et le gaspillage.
Concernant le problème grave et croissant des drogues dures et synthétiques, la légalisation du cannabis est une solution. Mais cela risque de grandement déranger la mafia de la drogue et ceux qui s’enrichissent au détriment de la population, surtout des jeunes mais aussi éventuellement l’industrie de l’alcool et de la cigarette, deux drogues douces légales plus nocives que le cannabis.
C’est quand même grave que la seule drogue qui pousse dans l’île est difficile à trouver et très chère, alors que toutes les drogues dures importées beaucoup plus dangereuses sont disponibles 24h/24. Et surtout coûtent moins cher, d’où leur popularité et le boom actuel de la drogue synthétique, l’héroïne, la cocaïne etc.
La raison de l’échec des combats contre ces fléaux est le manque de bonne gouvernance, de méritocratie, de transparence au sein de nos institutions. Mais surtout aussi à cause du manque de vision et de dialogue avec les citoyens de la part de nos dirigeants. Ils ont tous fauté à un moment ou à un autre.
Quels conseils donneriez-vous aux générations futures pour poursuivre le développement du pays ?
Pensez en tant que Mauricien avant tout. Pensez qu’ensemble nous sommes plus forts pour un développement durable pour notre pays.
Quelles sont vos aspirations pour l’avenir du pays sur la scène mondiale ?
Nous ne sommes qu’une petite poussière dans l’océan Indien, mais nous pouvons être un exemple, pour le monde, de développement durable à travers les énergies renouvelables, l’agriculture bio, l’agroécologie, l’économie circulaire, l’économie bleue...
Après 56 ans à vanter les mérites du multiculturel, cela va consolider nos divisions tout en vivant ensemble. Il est temps, pour le prochain demi-siècle d’Indépendance, de penser à l’interculturel afin de consolider le mauricianisme.
Quel message souhaitez-vous transmettre au peuple mauricien à l’occasion de la célébration de l’Indépendance ?
Le rouge, bleu, jaune et vert partout.
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