
Face à la sécheresse persistante, Maurice doit repenser sa gestion de l’eau. L’heure est à l’action collective : stockage individuel, captage d’eau de pluie, infrastructures optimisées… Chaque initiative compte pour éviter une crise majeure.
L’avenir de la gestion de l’eau à Maurice repose sur une prise de conscience collective et une action coordonnée. Vassen Kauppay-muthoo, océanographe et ingénieur en environnement, est catégorique : « C’est un travail d’équipe. Il n’y aura pas qu’une solution, pas que des barrages, pas que le dessalement, pas que des petits réservoirs ; c’est une solution mixte qui implique tous les acteurs, y compris la population. »
Face aux sécheresses récurrentes, il appelle à une vigilance constante : « Il ne faut pas que, dès qu’il y a une grosse averse, nous oublions les moments difficiles que nous avons traversés et recommencions à gaspiller de l’eau. » Cette responsabilité partagée exige non seulement une réduction de la consommation, mais aussi une augmentation des capacités de stockage individuel.
Son constat : de nombreuses familles mauriciennes possèdent déjà un réservoir individuel pour faire face aux coupures d’eau. Cette approche décentralisée recèle un potentiel considérable, explique Vassen Kauppaymuthoo : « Chaque année, environ 200 m³ d’eau de pluie tombent sur une maison, alors que la consommation moyenne d’un individu est d’environ 1 m³ par jour. » Un simple toit équipé d’un système de collecte pourrait ainsi fournir de l’eau pendant près de 200 jours à son occupant.
L’ingénieur préconise une politique nationale de soutien au captage domestique : « Le rainwater harvesting devrait devenir une stratégie clé pour affronter les périodes de sécheresse. » Il suggère que les autorités soutiennent financièrement les familles dans l’installation de ces systèmes, comme elles le font déjà pour d’autres équipements.
Le principe du captage d’eau peut être étendu efficacement au-delà des foyers. « Les industries doivent favoriser la collecte d’eau de pluie », affirme Vassen Kauppaymuthoo. Pour le secteur agricole, particulièrement vulnérable aux sécheresses, il propose une solution pragmatique : « Le secteur agricole peut également construire des petits ‘bassins’ de rétention d’eau. »
Ces mini-réservoirs offrent l’avantage d’une mise en œuvre rapide. « Il suffirait pour cela de creuser un trou de grande capacité et d’installer une membrane imperméabilisante », indique-t-il, ajoutant qu’une telle structure pourrait être réalisée « en seulement deux semaines sur des terrains agricoles », permettant ainsi aux agriculteurs de gagner en autonomie hydrique.
Pour rendre potable l’eau ainsi collectée, des solutions techniques éprouvées existent. « L’eau de pluie pourrait être filtrée de la même manière que l’eau des rivières pompée par la CWA (Central Water Authority), grâce aux Containerized Pressure Filters (CPF) », souligne Vassen Kauppaymuthoo. Cette technologie déjà utilisée par les autorités pourrait être adaptée à l’échelle domestique, insiste-t-il.
L’ingénieur en environnement « appelle à une prise de conscience rapide et à une action immédiate ». Il établit un parallèle pertinent avec l’indépendance énergétique, « qui pousse déjà certains citoyens à produire leur propre électricité pour contrer la hausse des tarifs. » De même, l’autonomie hydrique devient un impératif dans un contexte de stress croissant sur les ressources en eau. « Il faudrait que tout le monde s’y mette », insiste l’ingénieur. La responsabilité citoyenne face à la gestion de l’eau n’est pas une option, mais une nécessité impérieuse.
Au-delà du captage individuel, la conception même de nos espaces urbains peut contribuer significativement à la préservation de l’eau. Pour Vassen Kauppaymuthoo, « les surfaces bétonnées ne devraient pas être omniprésentes ». Il propose une approche multifonctionnelle de l’espace urbain : « Certaines zones, comme les parkings, pourraient être utilisées pour la collecte d’eau, tout en étant entourées d’arbres pour limiter l’évaporation et favoriser la reforestation. » Cette démarche aurait des bénéfices multiples, notamment sur « la biodiversité de l’île. »
L’impact de la végétation sur le cycle hydrologique est souvent sous-estimé. Vassen Kauppaymuthoo « plaide aussi pour la plantation d’arbres autour des réservoirs afin d’attirer la pluie », créant ainsi des microclimats favorables aux précipitations. Cette approche naturelle complète efficacement les solutions techniques.
L’optimisation des infrastructures existantes
Mais si les solutions décentralisées offrent des avantages immédiats, les grands projets d’infrastructure gardent toute leur pertinence malgré leur complexité. Et Vassen Kauppaymuthoo de déplorer : « La construction de nouveaux réservoirs est un processus long et complexe. Le barrage de Rivière-des-Anguilles en est un exemple frappant : bien que ce projet existe depuis plusieurs années, il peine encore à voir le jour. » Abordant la question de l’aménagement des réservoirs, l’hydrologue Farook Mowlabucus souligne que « si le grand public a souvent l’impression que trop d’eau est perdue, l’implantation des réservoirs répond à des impératifs techniques stricts ». Ces infrastructures « doivent être situées dans des zones géographiquement propices, capables de stocker de grandes quantités d’eau ».
L’optimisation des infrastructures existantes constitue un axe majeur d’amélioration. Selon Vassen Kauppaymuthoo, la fragmentation actuelle des réseaux de la CWA entraîne un gaspillage significatif : « Si certaines interconnexions existent, comme entre Mare-aux-Vacoas et Mare-Longue ou encore entre Bagatelle Dam et La Nicolière, il serait nécessaire d’étudier la possibilité d’en créer d’autres. » L’ingénieur propose des solutions concrètes : « Midlands Dam pourrait être relié à Bagatelle Dam afin de permettre un partage plus efficace des ressources. » De même, l’hydrologue Farook Mowlabucus évoque « la possibilité de rediriger l’eau du réservoir de Mare-Longue, utilisée pour la production hydroélectrique, vers Mare-aux-Vacoas », une connexion déjà expérimentée qui « pourrait être optimisée pour réduire la pression sur les ressources de Mare-aux-Vacoas ».
La topographie accidentée de l’île complique la distribution de l’eau, mais des solutions innovantes existent. « La topographie de l’île représente certes un défi, notamment en raison de la nécessité de pomper l’eau vers certaines régions, ce qui implique une forte consommation énergétique », reconnaît Vassen Kauppaymuthoo. Il propose néanmoins des alternatives efficientes : « Un ‘feeder canal’ pourrait relier Midlands Dam à La Ferme, permettant ainsi d’acheminer l’eau vers l’Ouest en exploitant la gravité. »
Face à l’urgence climatique, la gestion de l’eau à Maurice exige une action immédiate et coordonnée. Chaque geste compte, chaque initiative contribue à une gestion plus durable de cette ressource vitale. Comme le résume Vassen Kauppaymuthoo, « il est impératif d’agir dès maintenant pour garantir un accès durable à l’eau » pour les générations actuelles et futures.
Relance du projet de collecte des eaux de pluie
Relance du projet de collecte des eaux de pluie grâce au renforcement des incitations, notamment via la refonte du programme de la Development Bank of Mauritius. Cette initiative vise à encourager la population à récupérer les précipitations pour des usages non potables comme l’arrosage ou le nettoyage extérieur.
La démarche présente un double avantage environnemental : elle réduit le gaspillage d’eau traitée – prioritairement destinée à la consommation humaine – tout en favorisant une gestion plus durable des ressources hydriques du territoire.
Parallèlement, face aux défis d’accès à l’eau potable dans les régions mal desservies, le gouvernement déploie le « Water Tank Grant Scheme » pour soutenir les familles à revenus modestes. Ce programme vise à développer la collecte d’eau de pluie.
Initialement fixée à Rs 8 000, l’aide financière a été revalorisée à Rs 15 000 dans le Budget 2023-2024. Cette augmentation permet désormais aux foyers gagnant jusqu’à Rs 60 000 mensuels de participer au programme.
Le plan progresse graduellement avec l’ambition d'atteindre entre 25 000 et 30 000 bénéficiaires d’ici fin 2025. Selon les sources gouvernementales, près de 6 000 familles ont déjà bénéficié du dispositif, tandis que 150 personnes supplémentaires se sont récemment inscrites.
L’approvisionnement en eau potable à Maurice

Capacité de stockage des reservoirs
En temps normal 430 000 m³/jour
En saison sèche 315 000 m³/jour
Les 7 principaux réservoirs et leurs sources d’alimentation*
- Mare-aux-Vacoas : 4 canaux principaux + 3 ruisseaux
- La Nicolière : 1 canal principal + 3 déviations + 11 petits cours d’eau
- Piton-du-Milieu : 2 rivières
- La Ferme : 2 canaux d’alimentation
- Mare-Longue : 3 rivières principales
- Midlands Dam : 2 rivières + affluents
- Bagatelle Dam : Rivière Terre Rouge + 1 déviation de la rivière Cascade
*Ces réservoirs sont également alimentés par les ressources en eau de leurs propres bassins versants.
Exploitation des nappes phréatiques : une ressource sous pression

Les nappes phréatiques, essentielles pour l’approvision-nement en eau, sont mises à rude épreuve. Elles se divisent en plusieurs catégories : les nappes superficielles, qui alimentent les sources et sont les premières à s’assécher lors des périodes de sécheresse, les nappes intermédiaires, exploitées jusqu’à 40 mètres de profondeur, et les nappes profondes, dont le taux de recharge est beaucoup plus lent, explique Vassen Kauppaymuthoo.
« Les nappes de surface sont déjà affectées, ce qui se manifeste par la diminution du débit des rivières », explique Vassen Kauppaymuthoo. Quant aux nappes intermédiaires, exploitées depuis longtemps, elles sont désormais sous pression, ce qui entraîne une baisse dramatique de leur niveau.
Cela comporte des risques importants, notamment l’interaction entre l’eau de mer et l’eau souterraine, un phénomène connu sous le nom de biseau salé. « Si l’eau de mer pénètre les nappes phréatiques intermédiaires, elles deviendront impropres à la consommation et seront irrémédiablement perdues », prévient l’ingénieur en environnement.
Face à cette situation, les autorités se tournent vers les nappes profondes, les derniers réservoirs d’eau disponibles. Cependant, ces nappes sont très peu renouvelables. Selon Vassen Kauppaymuthoo, elles nécessitent des pluies longues et régulières pour se régénérer, et non des pluies torrentielles. Un usage excessif de ces nappes pourrait aussi entraîner des conséquences graves. Dans certains cas, ces nappes profondes risquent de ne plus jamais se remplir si les conditions climatiques restent défavorables.
Un autre danger lié à l’exploitation des nappes phréatiques est l’altération de l’équilibre entre l’eau souterraine et la stabilité du sol. « L’eau souterraine agit comme un ressort, maintenant la terre en place. Si l’on pompe trop d’eau, le sol perd sa fermeté et peut s’affaisser, créant des fissures et des instabilités géologiques », explique-t-il.
Farook Mowlabucus, quant à lui, souligne que dans la plupart des cas à Maurice, où des boreholes sont exploités par la Water Resources Unit (WRU), de l’eau est présente. Toutefois, il insiste sur le fait que cette eau provient d’un réservoir limité, et qu’il n’est pas possible de dépasser cette capacité sans risquer de compromettre l’approvisionnement. « Les nappes phréatiques ont déjà été exploitées au maximum. Si l’on continue d’ajouter des boreholes, le niveau des autres va baisser rapidement, réduisant ainsi leur capacité d’extraction », avertit-il.
Des projets de déviation en cours

« Afin d’améliorer la capacité de stockage et de maximiser la récupération des eaux pluviales, des projets de déviation sont en cours. En 2014, la rivière du Poste a été détournée vers le réservoir de Mare-aux-Vacoas via le canal de dérivation d’Arnaud », explique Lormus Juggoo directeur de la Water Resources Unit (MRU). De nouveaux travaux sont envisagés pour La Nicolière, où le canal d’alimentation, long de 27 km, sera modernisé et partiellement détourné afin d’améliorer son efficacité et de capter davantage de ressources en eau. Une étude est en cours pour la mise à niveau de cette infrastructure.
Concernant les nappes phréatiques, Lormus Juggoo précise que le pays dispose de cinq aquifères principaux dont l’exploitation varie en fonction des précipitations dans les bassins versants concernés. Actuellement, leur niveau est inférieur à la normale en raison d’un déficit pluviométrique. Environ 150 millions de m³ d’eau sont exploités chaque année à partir de ces aquifères.
Nouveaux projets de barrages à Maurice
La gestion des ressources en eau à Maurice s’articule autour de projets ambitieux centrés sur la construction de nouveaux barrages. Selon Lormus Juggoo, directeur de la WRU, le barrage de Rivière-des-Anguilles constitue la pièce maîtresse d’un ensemble d’initiatives qui comprend également, à moyen terme, la réhabilitation du barrage de La Ferme dans l’Ouest et l’agrandissement du réservoir de La Nicolière dans le Nord.
Cette approche s’inscrit dans une vision à plus long terme, où les projets de barrages de Constance et de Calebasses, encore au stade conceptuel, figurent dans le Plan directeur pour le développement des ressources en eau. Ce plan identifie plusieurs sites potentiels à travers l’île, avec un horizon de mise en œuvre s’étendant jusqu’à 2050.
L’implantation des barrages suit une logique territoriale précise, explique l’hydrologue Farook Mowlabucus. Si le barrage de Rivière-des-Anguilles répond spécifiquement aux besoins des régions sud et sud-est, il propose la mise en place d’autres infrastructures pour le nord et l’ouest de l’île. Les expériences positives des barrages de Midlands et de Bagatelle, qui ont déjà considérablement soulagé le réservoir de Mare-aux-Vacoas, servent de modèle pour les projets futurs, bien que leur réalisation nécessite plusieurs années.
La construction de grands barrages à Maurice se heurte cependant à des contraintes naturelles importantes. Vassen Kauppaymuthoo souligne que la topographie de l’île, moins vallonnée que celle de la Réunion voisine, limite les options disponibles. Si le site de Rivière-des-Anguilles a été validé, d’autres recherches sont nécessaires pour identifier des emplacements viables ailleurs sur l’île. La nature poreuse du sol dans certaines régions complique également la planification de ces infrastructures majeures et exige des études approfondies.
Parallèlement aux grands projets de barrages, des initiatives visant à exploiter plus efficacement les ressources existantes, notamment les importantes quantités d’eau se déversant actuellement dans la mer via la Grande Rivière Nord-Ouest et la Grande Rivière Sud-Est, sont envisagées. La CWA a déjà mis en place plusieurs points de captage sur diverses sources et rivières, particulièrement utiles en période de sécheresse. La CWA prévoit également d’exploiter les eaux de la rivière Deep River à Pont Lardier pour renforcer l’approvisionnement en eau potable.
Pour compléter ces grands ouvrages, des solutions alternatives sont également à l’étude. Les petits barrages et la construction de réservoirs de collecte d’eau de pluie pourraient alléger la pression sur le réservoir principal de Mare-aux-Vacoas et sur les infrastructures existantes. Vassen Kauppaymuthoo souligne que les deux grandes rivières – la Grande Rivière Nord-Ouest et la Grande Rivière Sud-Est – représentent des sites possibles pour de futurs barrages.
En attendant la concrétisation de ces projets structurants, des mesures à court terme s’imposent. Farook Mowlabucus recommande la réparation rapide des fuites dans les réservoirs et les canalisations de distribution, un entretien crucial pour éviter des problèmes d’approvisionnement imminents. Il soulève également une question pratique concernant la possibilité de réaffecter temporairement l’eau du réservoir de La Ferme, actuellement destinée à l’irrigation, vers les besoins domestiques pendant les périodes de pénurie.

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !