
Le recrutement de 1 000 infirmiers en trois ans, bien que salué, soulève de nombreuses questions. Notamment quant à la formation, la rétention, les conditions de travail, les salaires et l’intégration d’étrangers face à une surcharge chronique.

L’annonce du recrutement de 1 000 infirmiers sur trois ans par le ministre de la Santé, Anil Bachoo, est accueillie avec soulagement, mais aussi avec prudence par les professionnels du secteur. Si cette mesure vise à combler le manque criant de personnel soignant dans les hôpitaux publics, elle soulève plusieurs questions sur la capacité réelle à former et à retenir ces infirmiers sur le long terme.
« Le ministre lui-même a reconnu un manque de 1 500 infirmiers », rappelle Bholanath Jeewuth, secrétaire de la Nurses Union. Avec l’ouverture imminente du nouvel hôpital ophtalmologique de Moka, les besoins en personnel vont encore augmenter. « On peut moderniser le système, mais l’intelligence artificielle ne remplacera jamais les infirmiers », affirme-t-il.
La formation des infirmiers représente un défi majeur dans la réalisation de ces objectifs ambitieux. Les établissements comme Polytechnics Mauritius, la School of Nursing ou le Mauritius Institute of Health ne peuvent former que 300 infirmiers par promotion, ce qui rend le recrutement de 1 000 infirmiers en trois ans difficilement réalisable. De plus, Krist Dhurmah, président du Nursing Council, rappelle qu’un infirmier a besoin de trois ans de formation avant d’être pleinement opérationnel.
Une infirmière, qui a servi pendant de nombreuses années dans le service public, fait remarquer que « depuis plusieurs années des ‘trainee nurses’ n’ont pas été recrutées pour la formation. Je ne crois pas que les Mauriciens ne sont pas intéressés par le métier d’infirmier, mais il n’y avait pas de places vacantes ».
Face aux contraintes de formation locale, le recrutement d’infirmiers étrangers apparaît comme une solution temporaire. À ce jour, plus de 600 infirmiers étrangers travaillent à Maurice, principalement dans le privé. Une solution que préconise Krist Dhurmah, en attendant que les Mauriciens en formation soient prêts à intégrer le service. Ainsi, l’embauche temporaire d’étrangers permettrait de soulager le personnel existant, souvent surchargé. Le Nursing Council s’assure de leur enregistrement et du respect des critères de formation.
Cependant, cette solution ne fait pas l’unanimité parmi le personnel. La perspective de voir des infirmiers étrangers intégrer les établissements publics soulève des préoccupations. « Il y aura une barrière de langage. Est-ce que les infirmiers mauriciens devront jouer aux interprètes à ce moment-là ? », demande l’infirmière expérimentée. Elle rappelle qu’« auparavant, quand il y avait des médecins étrangers, les infirmiers avaient ce souci : quand on leur disait une chose, ils comprenaient autre chose. C’est la même chose qui va se passer si on recrute des infirmiers étrangers ». Pour elle, la priorité devrait aller aux jeunes du pays qui veulent intégrer ce secteur, mais qui se heurtent à l’absence de perspectives claires.
Or, pour Krist Dhurmah, « la langue n’est pas une barrière insurmontable ». Le président du Nursing Council soutient même que des formations en kreol morisien peuvent aider à leur intégration. Toutefois, il reconnaît le besoin de mesures concrètes pour améliorer les conditions de travail, retenir les infirmiers formés localement et éviter que les investissements en formation ne soient gaspillés.
Surcharge et précarité
En effet, les conditions de travail représentent un défi majeur qui décourage les recrues et pousse les infirmiers expérimentés à quitter le secteur public. Krist Dhurmah explique que plusieurs jeunes découvrent, parfois à leurs dépens, que la profession est plus difficile qu’ils ne l’imaginaient. « Une salle d’hôpital qui nécessite dix infirmiers est parfois gérée par seulement cinq. » Cette surcharge de travail mène au burnout, et à des départs qui, à leur tour, alourdissent encore plus les tâches des collègues restants.
L’infirmière expérimentée confirme ce constat. « Actuellement, il y a un manque chronique de personnel au niveau des infirmiers. Du moment qu’il y aura suffisamment d’infirmiers, la charge de travail va grandement diminuer et le métier sera bien plus attrayant », explique-t-elle. Pour elle, l’image négative du métier est surtout liée à la surcharge et à la fatigue : « De longues heures de travail, peu de reconnaissance. Mais s’il y a des recrutements réguliers, les choses devraient s’améliorer. »
Elle pointe du doigt un autre problème : la précarité de l’emploi. Elle souligne que Polytechnics Mauritius a formé de nombreux étudiants qui ont obtenu un diplôme ou une licence en Nursing. Mais ces derniers « travaillent sur un contrat renouvelable chaque mois, sans allocation, ce qui est une aberration et de la pure exploitation ». Cette situation pousse beaucoup d’infirmiers fraîchement formés à se tourner vers les cliniques privées, où ils bénéficient de meilleures conditions de travail.
Disparité salariale public-privé
La disparité salariale entre les secteurs public et privé constitue un facteur déterminant dans l’exode des infirmiers. « Dans le service public, les infirmiers démarrent avec un salaire de base de moins de Rs 20 000, alors que dans le service privé, ils peuvent obtenir Rs 30 000 à Rs 50 000 », affirme l’infirmière. Krist Dhurmah note qu’un infirmier en clinique privée peut toucher de Rs 10 000 à Rs 15 000 de plus qu’un collègue dans le public. « Avec la floraison de centres privés, ces cliniques paient le prix fort pour recruter et retenir leur personnel », dit-il. La différence de salaire et de conditions de travail rend improbable un retour vers le secteur public pour ceux qui l’ont quitté.
Le problème de reconnaissance des qualifications aggrave cette frustration salariale. L’infirmière déplore que ses qualifications ne soient pas reconnues. « Je suis détentrice d’un BSc en Nursing, mais je touche encore un salaire basé sur mon certificat en nursing », dit-elle avec amertume.
Krist Dhurmah critique la grille salariale du Pay Research Bureau, qui place infirmiers, enseignants et policiers sur un pied d’égalité, alors que leurs responsabilités et leurs formations diffèrent. Il plaide pour une revalorisation salariale et une amélioration des conditions de travail. Bholanath Jeewuth partage cette préoccupation et appelle le PRB à ajuster les rémunérations en conséquence. Pour lui, si les salaires et les conditions de travail ne sont pas revus, la fuite vers le privé se poursuivra. Il est convaincu que seule une refonte complète de la politique de gestion des ressources humaines dans la santé publique pourra redonner au métier d’infirmier la place qu’il mérite.
Un problème de perception affecte l’attractivité de la profession. « Le métier n’est pas perçu comme glamour. Certains préfèrent des ‘white collar jobs’ », déplore Krist Dhurmah. Il observe un changement de mentalité dans le choix de cette carrière. Beaucoup, selon lui, ne choisissent pas la carrière d’infirmier par vocation. « Nombreux sont ceux qui utilisent leur emploi comme infirmier comme tremplin pour travailler dans d’autres départements », souligne-t-il. « Je ne dis pas que tout le monde ne choisit pas ce métier par vocation, mais ce n’est plus comme avant. » À ses yeux, le métier d’infirmier est devenu un choix par défaut pour certains, en attendant mieux.
Paradoxalement, l’intérêt pour la profession existe toujours. Selon Krist Dhurmah, les campagnes de recrutement de la Public Service Commission reçoivent un grand nombre de candidatures. « Quand il y a un appel pour 300 postes, on peut recevoir jusqu’à 1 000 candidatures », affirme-t-il. Cependant, plusieurs jeunes quittent rapidement ce métier pour d’autres opportunités dans la fonction publique ou à l’étranger, attirés par de meilleures conditions de travail. Les jeunes restent attirés par le métier, mais le manque de personnel et les conditions difficiles découragent rapidement les recrues.

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