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Pension universelle à 65 ans - Zéro dialogue, colère maximale : la réforme qui fracture le pays

La pension universelle à 60 ans est considérée comme un droit acquis et non « une faveur ».

Les observateurs sont unanimes : la décision du report progressif de l’âge d’éligibilité à la pension universelle de 60 à 65 ans est une « trahison » du pacte social. Alors que la colère s’amplifie, tous dénoncent un déficit de communication et de concertation. La contestation, elle, s’organise.

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La décision du gouvernement de repousser l'âge d'éligibilité à la pension de vieillesse de 60 à 65 ans continue de susciter une vive polémique. Présentée sans concertation préalable ni véritable stratégie de communication, cette mesure touche directement plus de 250 000 bénéficiaires et ébranle un acquis social considéré jusqu’ici comme intouchable.

C’est le 5 juin 2025 que l’annonce a pris de court la population, faisant l’effet d’un véritable « big bang social ». Ce changement, dont les retombées toucheront des milliers de Mauriciens, est perçu comme « une mesure brutale », imposée sans dialogue ni un accompagnement adapté. Aucun signal avant-coureur, aucun débat public : une décision imposée d’en haut, qui oblige aujourd’hui l’exécutif à convoquer en urgence une réunion spéciale, ce lundi, pour tenter de trouver des palliatifs face à la colère grandissante. Une gestion précipitée que nombre d’observateurs qualifient de « politique suicidaire ».

Cette réforme est perçue comme une véritable « escroquerie électorale » par l’ensemble des observateurs. L’avocat constitutionnel Parvez Dookhy dénonce avec véhémence : « L’absence totale de concertation pour une mesure d’une telle portée est une imposture. » Et il va même plus loin : « Venir annoncer une décision de cette nature sans prévenir, c’est une trahison du système. » 

Il rappelle, ainsi que Haniff Peerun, président du Mauritius Labour Congress, qu’une telle mesure n’a « jamais figuré dans le manifeste électoral de l’Alliance du Changement ». D’ailleurs, souligne Haniff Peerun, seules des mesures populaires avaient été mises en avant, sans jamais qu’une réforme du système de protection sociale soit évoquée. Ce qui fait dire à Me Dev Ramano, figure engagée des combats sociaux, qu’il s’agit d’une trahison de l’esprit de justice sociale qui avait cimenté le lien entre l’Alliance du Changement et la population lors de la campagne. 

Le malaise s’étend jusqu’au sein même de la majorité gouvernementale. Des élus du gouvernement, à savoir Ehsan Juman ou encore le leader de Nouveaux Démocrates (ND), Kushal Lobine, ont exprimé leurs réserves, regrettant le manque de concertation et de pédagogie autour de cette réforme. Une fracture interne qui témoigne de l’ampleur du problème créé par l’absence de dialogue préalable.

Un déficit démocratique criant

Le consensus est total sur l’absence de concertation. « Il n’y a eu aucun débat. Cette décision n’a jamais été évoquée durant la campagne. Le gouvernement a agi sans consulter le corps électoral, sans dialogue, sans transparence », fustige Parvez Dookhy. Lindsey Collen, militante de Lalit, insiste : « C’est au peuple de décider de la marche à suivre, surtout quand il s’agit d’un droit fondamental. »

Haniff Peerun abonde dans le même sens, déplorant que « depuis l’installation du nouveau gouvernement, on constate un vrai manque de communication avec le peuple ». Pour lui, toucher à un pilier du Welfare State comme la pension de vieillesse ne peut se faire sans un large débat national : « On ne modifie pas un droit fondamental sans consulter toutes les parties prenantes. »

Le détournement de la procédure parlementaire aggrave encore la situation. Parvez Dookhy pointe une erreur majeure dans le choix de passer par la loi de finances : « Un budget est censé encadrer les recettes et les dépenses d’une année. Pas servir de cheval de Troie pour introduire une réforme structurelle aussi lourde. Un projet de loi spécifique aurait été la voie honnête. » Tout a été fait « à la va-vite, dans le dos des premiers concernés », sans discussions publiques, ni dialogue avec les syndicats, ni vrai débat au Parlement, dénonce-t-il.

Cette méthode a créé un véritable cafouillage politique. L’ancien journaliste et observateur Jugdish Joypaul souligne l’ampleur de l’échec communicationnel : « Le Premier ministre avait répondu à une question au Parlement et en avait profité pour dresser un état des lieux très sombre de l’économie. Il avait esquissé un avant-goût des mesures budgétaires sévères à venir. Pourtant, aucune campagne de communication n’a suivi pour expliciter ces chiffres et sensibiliser l’opinion publique à la gravité de la situation, ni pour préparer la population à une pilule amère. Le rapport State of the Economy est resté lettre morte. Pourtant, le gouvernement dispose de techniciens compétents et de communicants expérimentés pour défendre ce document. »

Le flou initial autour des modalités d’application et le retard pris dans la communication ont nourri l’inquiétude et la contestation. Ce manque de préparation et d’écoute a alimenté méfiance et colère. « C’est une déception après tant de promesses électorales concernant la pension et d’autres mesures sociales censées améliorer les conditions de vie », observe Jugdish Joypaul, qui note : « Dix jours après le budget, le gouvernement reste sur la défensive. Quelques parlementaires du gouvernement, ainsi que le Junior Minister Dhaneshwar Damry tentent de limiter la casse par une campagne d’explications dans les médias, sans pour autant obtenir les résultats escomptés. »

L’observateur Olivier Précieux confirme : « Oui, il y a un gros problème de communication politique. C’est étonnant, car il y a des personnes matures à la tête du pays. Cela a été une grande erreur de communication et cela a profité aux partis traditionnels, ainsi qu’à certains extrasparlementaires. »

Face à cette levée de boucliers, le gouvernement défend bec et ongle cette réforme comme « une nécessité face à la dégradation rapide des comptes publics » et à l’allongement de l’espérance de vie. Selon certains élus, le modèle précédent n’était plus viable et risquait de compromettre l’avenir des pensions. Dans ce contexte, le relèvement de l’âge de la pension est présenté comme un moyen de préserver ce filet de sécurité sociale pour les générations futures.

Cependant, une commu-nication défaillante fragilise l’adhésion à une réforme pourtant présentée comme incontournable. Et Jugdish Joypaul de souligner : « avant que le Budget ne soit voté, le gouvernement aurait dû mettre en place une équipe dédiée à la communication pour expliquer et justifier les mesures. Il ne faut pas se contenter des réseaux sociaux. »

Une réforme créatrice d’inégalités

Au-delà des questions de forme, le fond même de la réforme révèle des inégalités. « Peut-on mettre sur un pied d’égalité un employé de bureau et un ouvrier du bâtiment ou un travailleur agricole ? » s’interroge Parvez Dookhy. Cette question de l’équité traverse toutes les critiques, particulièrement quand on observe le contraste « révoltant » avec le régime réservé aux élus. « Dix ans – et parfois moins – leur suffisent pour toucher une pension. Les députés sont bien mieux lotis que ceux qui, toute leur vie, ont trimé sans relâche », souligne l’avocat constitutionnel.
L’impact social de cette réforme est « dramatique », particulièrement dans un contexte économique tendu. Lindsey Collen met l’accent sur les conséquences pour les plus vulnérables : « Pour de nombreuses femmes, notamment les femmes au foyer, cette pension est une véritable bouffée d’air pour le foyer : aider le mari, soutenir les petits-enfants. » Elle qualifie la mesure de « crime » : « Il ne fallait même pas toucher à ce droit fondamental. Venir arracher ce privilège du jour au lendemain est un crime ! » Haniff Peerun, tout en restant plus nuancé, pressent que cette décision « entraînera de nombreux problèmes sociaux qui ont déjà commencé à émerger dans différentes régions de l’île ».

Face aux rumeurs d’une possible évolution vers une pension ciblée, la résistance s’organise. Me Dev Ramano met en garde contre ce qu’il perçoit comme le vrai objectif du gouvernement : « Si le gouvernement finit par reculer, ce ne sera qu’un repli stratégique. Le vrai but ? Glisser vers un ciblage de la pension, la réserver à certains, en fonction de critères économiques. » D’où son avertissement sans appel : « Il faut toujours crier non. La BRP doit rester universelle. BRP à tous. »

Cette méfiance vis-à-vis du ciblage est partagée par Lindsey Collen, qui martèle : « Non au ciblage, non à la pension de vieillesse à 65 ans. » Elle démonte l’argument économique souvent avancé : « Le ciblage coûte cher, et la bureaucratie est vulnérable à la corruption. » À ses yeux, une pension ciblée serait une « insulte » pour tous ceux qui ont attendu leur 60e anniversaire comme un moment clé, une reconnaissance de leur droit, et institutionnaliserait la discrimination parmi les aînés. Pour tous ces défenseurs des acquis sociaux, « la pension n’est pas une faveur, mais un droit ». 

Face aux justifications économiques du gouvernement, des solutions alternatives sont proposées. Dev Ramano suggère de « récupérer ce qui est versé aux plus riches par une taxe spécifique, sans toucher à l’universalité du système ». Lindsey Collen va dans le même sens avec une proposition plus précise : « Il y aurait dû y avoir une Wealth Tax. » Une taxe sur la richesse, selon elle, aurait permis de financer la pension universelle sans remettre en cause un droit fondamental.

Une approche qui s’oppose frontalement à celle des « super technocrates pro-système », comme les appelle Dev Ramano, ces « comptables et économistes qui justifient l’injustifiable avec des calculs simplistes et sinistres ». Lindsey Collen dénonce également cette hypocrisie qui consiste à « relancer aujourd’hui le débat sur une pension ciblée, comme si les personnes âgées pesaient trop lourd dans les comptes publics », estimant que ce débat occulte les vraies solutions. Elle appelle à un sursaut collectif face à ce qu’elle décrit comme un dangereux glissement des priorités politiques.

Au-delà des questions internes, la polémique révèle aussi des enjeux de souveraineté. Haniff Peerun se montre ferme sur ce point : « Nous sommes un pays indépendant. Nous ne pouvons pas nous laisser dicter notre politique économique par des instances comme le FMI, la Banque mondiale ou Moody’s. » 

Une mobilisation sans précédent

Face à cette situation, tous les intervenants annoncent une mobilisation populaire d’ampleur. À l’appel de la Federation of Trade Unions (FTU), plusieurs organisations syndicales du pays se sont réunies le vendredi 13 juin pour coordonner une riposte. Une grande manifestation nationale est prévue le 21 juin dans les rues de Port-Louis, avec pour objectif de faire pression sur le gouvernement afin qu'il revienne sur cette mesure jugée injuste et prise sans consultation préalable.

« Le peuple ne restera pas silencieux. Le gouvernement a peur… Il fera marche arrière », prédit Dev Ramano avec assurance. « La rue parlera dans les jours qui viennent », et il salue la mobilisation syndicale comme « un rare moment d’unité pour défendre les laissés-pour-compte ». L’optimisme militant transparaît dans ses mots : « Contre leurs calculs, la rue opposera ses droits. » Il voit dans la mobilisation en cours un espoir collectif : « La défaite et la résignation s’effaceront face à cette démarche unitaire… Enn sel lavwa. Nou tou ansam, le samedi 21 juin 2025 au Champ de Mars. »

Malgré la colère, certains laissent encore une porte ouverte au dialogue. Haniff Peerun appelle le gouvernement à écouter la rue et à revenir sur sa décision : « Il est encore temps de corriger le tir. Le gouvernement pourrait apaiser la colère en retirant tout simplement cette décision irréfléchie. » Il prévient néanmoins : « C’est maintenant ou jamais. Il faut prendre les décisions nécessaires pour rétablir nos droits et défendre nos acquis. »

Pour ceux qui croient encore à la démocratie participative, la solution pourrait venir du peuple lui-même. Haniff Peerun suggère : « Si un jour on organise un référendum à Maurice, ce genre de situation en serait un bon point de départ. C’est au peuple de décider. » Car, rappelle-t-il aux dirigeants, « les élus ne détiennent leur mandat que par la volonté du peuple ».

 

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