Le cyclone Belal a représenté une aubaine pour le sculpteur. Des débris charriés par les vagues et les eaux déchaînées, il a créé des chefs-d’œuvre.
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Il sculpte ce qu’il veut. Ce qu’il sent. Ce qu’il voit. Il sculpte par passion, par plaisir. Pour son âme. Entre Pem (Philippe Edwin Marie) et le bois, le cœur battant d’une connexion presque mystique. Cinquante ans déjà qu’il respecte, façonne et travaille le bois, lui donnant des incarnations multiples.
« Mo pann al lekol, mo pann voyaze. Mes sculptures sont mes disciples, elles ont fait le tour du monde »
Lorsque nous le rencontrons au Caudan, Pem s’affaire paisiblement à la sculpture. Il est tout content. Le cyclone Belal a été une aubaine pour lui. Dans les débris charriés par les vagues et les eaux déchaînées, il a récupéré sa matière première.
« J’ai ramassé un peu de bois. Je me suis dit que je pouvais en faire quelque chose. De, trwa zour antie monn ramas dibwa. Ti bizin fer kouma dan zistwar ‘La cigale et la fourmi’ », sourit-il. C’est ainsi que Pem s’est constitué un stock. « Monn ramas dibwa pou trwa, kat mwa. Je n’ai pas eu besoin d’aller chercher du bois, c’est le bois qui est venu à moi », s’amuse le sculpteur de 77 ans. À partir de ces matériaux ainsi récupérés, il a déjà fait une dizaine de sculptures, révèle-t-il. Ainsi, des débris du cyclone, qui a dévasté de nombreuses vies, il a créé des chefs-d’œuvre.
Assis dans son petit atelier, où sont exposées ses nombreuses oeuvres, Pem nous parle de ce feu inné qui l’anime. Car le bois, il sait l’écouter, il sait le regarder. « Mem enn skiltir kase, mo get li, mo dir li ‘mo pa pou zet twa’. Lerla li vinn inpe plis seki mo panse mo kapav fer », confie-t-il.
Un fou, lui ? Non, mais un adorateur du bois. Et pourtant, à ses débuts, ses anciens collègues l’avaient effectivement soupçonné d’avoir une case en moins ! C’était à l’époque où il travaillait comme laboureur pour la municipalité de Port-Louis, raconte Pem. Il était alors âgé d’une vingtaine d’années. « Un jour, j’ai ramassé une racine. Je ne peux expliquer ce que cela a provoqué en moi. J’ai tout quitté sur place et je suis parti… » dit-il. Il se rappelle encore les paroles de ses collègues interloqués par son comportement : « Sa linn vinn fou sa ! Ki zame linn trouv enn rasinn ! »
Cette nuit-là, Pem n’a presque pas dormi. « Sa lepok-la ti pe kwi manze lor dibwa. Monn dir bolfam pa tous sa dibwa-la. » Au beau milieu de la nuit, son instinct prend le dessus. Entre ses mains, ce morceau de bois s’anime, se transforme, prend vie. La sculpture était achevée le lendemain.
Lorsque Pem se rend sur son lieu de travail avec son œuvre en main, ses collègues sont étonnés. « Bann koleg dir ‘eh, Nelson Mandela sa’. Lerla bann-la dir ‘eh vann sa ar mwa’. Mon reponn : ‘yer zot ti pe dir mwa fou, aster pou aste kitsoz ar dimoun fou ? » se souvient-il dans un éclat de rire.
Il n’en reste pas moins que l’admiration que suscite son œuvre lui fait grand plaisir. « Je marchais à Port-Louis et une dame m’a interpellé. Elle m’a dit : ‘It’s art.’ » Amusé, Pem déclare : « Mwo, ki mo kone mwa. Premierman, mo mem pa ti kone apel sa skiltir, mo ti enn zanfan kouvan mwa. Madam-la pe koz ar mwa, mo pa konpran, donk tou seki li dir, mo reponn wi. »
Ce succès booste la confiance de Pem : « Les gens dans la rue me disaient ‘to skiltir mari serye’. » À la rue Desforges, « mo pe marse, mo pe fer gran nwar, enn misie sinwa dir mwa : ‘Vande sa ?’ » poursuit-il. Pem répond par l’affirmative et demande Rs 25 pour lui céder son œuvre. « Sa lepok-la, Rs 25 ti enn bel lamone. Mo ti pe gagn Rs 4,50 par zour. Avek Rs 25 mo gagn enn ti tant bazar. Monn marye mwa », fait-il ressortir.
Le déclic qu’a provoqué en lui cette racine ramassée dans la cour de la municipalité de Port-Louis libère son énergie créative. Et Pem se met à sculpter. Il donne vie au bois, tel un créateur divin. « Un beau jour, j’ai emmené mes œuvres sur la plage, devant l’hôtel Veranda Grand Baie. Mon intention n’était pas de les vendre », relate Pem. Un monsieur est venu à sa rencontre. « Li dir mwa : ‘Eh bolom, seki ou pe fer la pa bon. »
Pem est pris au dépourvu et lui rétorque : « Zou tou pe trouv li bon, zot pe tir foto, ou, ou trouv sa pa bon ou ? » « Vini mo montre ou », lui répond l’homme en question, avant de le faire entrer dans l’établissement hôtelier. « Il m’a dit : ‘Isi ki ou bizin ete’. J’y ai passé 25 ans. »
Depuis, cela fait un demi-siècle que le bois, devenu un élément essentiel de sa vie, aussi primordial que l’air qu’il respire, accompagne Pem au quotidien, telle la sève de la vie. « Aujourd’hui, des racines aux branches, je travaille tout. Je ne peux me passer de la sculpture. Je ne sais pas ce que je ferais si un jour j’étais contraint d’arrêter de sculpter. »
Ce métier lui permet-il de bien gagner sa vie ? « Mo gagn lavi. Me se mo bann skiltir ki ena valer », fait-il comprendre avec humilité. Pem ajoute : « Mo pann al lekol, mo pann voyaze. Mes sculptures sont mes disciples, elles ont fait le tour du monde. » Et cela lui suffit.
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