Philip Ah-Chuen, le troisième de la dynastie du même nom, s’est forgé une solide réputation bâtie sur la rigueur et l’honnêteté professionnelle, l’assiduité au travail et un sens inné des valeurs familiales. Cette année, ABC FOODS, l’entreprise fondatrice des affaires de sa famille, fête ses 85 ans d’existence.
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«Cette, année, mon père aurait fêté ses 100 ans, il aurait été fier de la famille, de mon oncle, mes cousins dont Michel, aujourd’hui décédé, et de Raymond, ce sont eux, et surtout des employés dévoués qui ont apporté à notre entreprise une dimension nationale », soutient Philip Ah-Chuen. À 66 ans, ce dernier a conservé les caractéristiques qui ont toujours été ses marques professionnelles et morales : humilité, discipline, responsabilité, rigueur et un sens aigu de la solidarité. « Ces traits-là, dit-il, il faut les chercher chez notre grand-père chinois, Chu Wei Chuen, natif d’un village agricole, Meixen, devenu aujourd’hui, le plus grand producteur de pamplemousse, mais qui est aussi une localité très industrielle », raconte Philip Ah-Chuen. En 1904, Chu Wei Chuen est reparti en Chine pour se trouver une épouse, Li Choi. De leur union naîtront trois fils et quatre filles. Parmi les garçons, on retrouve Jean Moi Lin, qui sera plus connu pour sa carrière politique, Fong Lin, et George, le père de Philip, auquel Jean confiera la gestion d’ABC durant son engagement.
Une petite boutique à The Mount
Le commerce, qui fera la fortune et la notoriété de la famille, naîtra dans les murs d’une petite boutique à The Mount. Même s’il n’était pas très ambitieux pour lui-même, Chu Wei Chuen était animé d’un souci profond pour l’avenir de ses enfants. Il savait que cela n’était possible que par le biais de l’éducation. Coté commerce, il parvint tout de même à étendre son business jusqu’à Port-Louis, dont une boutique à La Chaussée et une deuxième à proximité de la Gare centrale Il revint à Jean, véritable visionnaire de la famille, de saisir les opportunités qu’offrait alors la capitale. C’est là, au 18 rue de la Reine, en 1931, qu’il bâtira ABC (Achetez les Bonnes Choses). L’endroit est propice au business, il fait face au Marché Central et on y trouve toutes les banques du pays.
À l’ABC, Jean met un point d’honneur à vendre des articles uniques, dont les Biscuits Bakers, le chocolat Cadbury’s, le whisky Grant ou encore le vin Wincarnis. Parmi ses clients de marque, on y trouve un certain sir Seewoosagur Ramgoolam, qui prisait les biscuits d’ABC. « Même si le pays était encore pauvre, mon père savait qu’il existait un marché, composé notamment de ressortissants Anglais, grands amateurs de spiritueux ou de chocolats haut de gamme », raconte Philip. L’endroit était géré par le père de ce dernier et les deux cousins, Michel et Raymond. Durant ses vacances, Philip venait y travailler et était traité comme un employé, sans aucun traitement de faveur. « J’ai appris beaucoup de cette période, j’allais souvent effectuer des dépôts à la banque », se souvient-il encore.
La sauce Yeo
L’expansion et la diversification ont toujours été les maîtres-mots de la famille. Le succès d’ABC fut ainsi suivi par l’ouverture d’un cold storage un peu plus loin dans la même rue. En 1983, avec un Certificat de développement en poche, leur société Oriental Foods Ltd se lance dans la confection de la sauce Yeo, entre autres sauces. La diversification se poursuit jusqu’aux activités maritimes et le secteur de l’automobile, avec la création d’ABC Motors, qui deviendra le concessionnaire officiel de Nissan. Les années 1990 et 2000 verront l’incursion de la famille dans le secteur financier, avec la mise sur pied d’ABC Leasing, ABC Global Management Services, ABC Datacall et ABC International. En 2010, le groupe inaugure l’ABC Banking Corporation, une étape décisive dans son essor.
S’il y un mot qui résume à lui-seul l’esprit entrepreneurial qui imprègne cette famille, il s’agit bien du ‘mine Apollo’, conçue par deux familles chinoises et dont ABC Foods deviendra le seul distributeur. Philip se souvient encore de cette période : « Nous avions pris des risques, car le marché pour les nouilles instantanées n’existait pas encore, il nous fallait changer les habitudes alimentaires des Mauriciens. Nous avons sillonné le pays pour leur montrer comment préparer ces nouilles. Nous avions ciblé les régions rurales ».
Après le décès de Jean, comme cela arrive parfois aux grandes familles engagées dans les affaires, des divergences surgiront au sein de la compagnie quant au style de gestion que chacun voulait imposer. La cassure ne tarda pas à déchirer la famille, laissant à Philip l’opportunité de partir créer sa propre compagnie Allied Motors Ltd, concessionnaire des marques Audi et Volkswagen, située dans le Zentrum Centre, sur l’autoroute à proximité de Bagatelle Mall. Pour autant, il ne tranche pas les liens avec la famille, car il reste directeur non exécutif d’ABC FOODS. Mais, la réussite du groupe, de la petite boutique à The Mount, jusqu’à ses diversifications est le fruit d’une cohésion et vision commune, celle d’une famille qui prend appui sur ses origines modestes. « Chacun d’entre nous a une histoire à raconter, mais la matrice reste la famille », dit Philip.
Au-delà de ce business qui vient mettre davantage en lumière la notoriété de la famille Ah-Chuen, c’est la personnalité même de Philip qui émerge, à cause de sa passion, son altruisme et sa vision pour une Maurice libérée de ses préjugés. Ce qui explique que le gouvernement a fait appel à lui pour siéger au sein de certains grands corps paraétatiques.
Aujourd’hui, face aux grands défis économiques qui se dressent devant Maurice, Philip n’hésite pas à remettre en question ce même parcours éducatif mauricien qui l’a conduit aux universités anglaises : « Même si je suis un produit du collège Royal de Port-Louis, je suis un féroce partisan d’un système éducatif capable de faire ressortir les talents créatifs de nos jeunes. Il faut reconnaître que nous souffrons d’une terrible absence de créativité chez ces derniers. Nous sommes rongés par le mimétisme et certains entrepreneurs sont incapables d’associer leurs salariés au destin de leurs entreprises. Ce type d’attitude ne leur aide pas à comprendre les difficultés qu’ils peuvent éprouver. Notre incapacité de créer, d’innover, de nous remettre en question reste notre plus grand défi, ce sera notre réponse à l’éternelle question de saturation de notre marché, de sa petitesse. Il faut commencer par réfléchir, sinon nous irons dans le mur. »
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