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Patrick Belcourt, leader d’En Avant Moris : «L’heure n’est pas à la rigolade»

En alliance avec Roshi Bhadain depuis fin avril, Patrick Belcourt, leader d’En Avant Moris, a expliqué cette décision en évoquant sa vision pour le pays. Il est très critique envers un gouvernement et une opposition traditionnels, qu’il considère en déphasage avec les attentes de la population. Il plaide pour de vraies réformes qui permettraient à Maurice de changer de cap, car « le pays est en retard sur bien des aspects ».

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Le 28 avril dernier, Roshi Bhadain et vous avez annoncé une alliance entre En Avant Moris et le Reform Party. Deux semaines plus tard, quel est le constat ? 
Je vois des réactions très positives. Nous sommes très bien accueillis dans ces nombreuses régions que nous avons visitées ensemble ces deux dernières semaines. Il est évident que tout le monde attendait l’émergence d’une nouvelle force. Nos réunions sur le terrain à Rivière-du-Poste, Plaine-Magnien, Mare-d’Albert, entre autres, confirment cette attente. Les gens ressentent comme un soulagement. Et je peux les comprendre. 

Pendant longtemps les Mauriciens se sont demandé : « Be si nou tir bann-la, kisann-la nou pou mete ? ». C’est une question légitime, parce qu’à chaque fois la population s’est heurtée à la question d’une alternative crédible. 

Et puis, soudainement, les gens réalisent qu’il y a désormais une alternative concrète qui s’offre à eux. C’est comme le retour du beau temps en politique : fini ce soleil tellement puissant qu’il a fini par rendre tout aride ; finie cette opposition qui est comme un marécage avec ses moustiques qui font défection plutôt que de piquer leur adversaire. Je crois que cette métaphore exprime ce sentiment de soulagement que l’on note dans la population. 

Quelles sont les modalités de cette alliance ?
Si je vous dis « Un pour tous, tous pour un », ça peut paraître joli, mais c’est insuffisant si on n’explique pas la formule. 

Il s’agit, en premier lieu, pour nous tous au sein de nos deux formations, d’avoir une vision commune. C’est à partir de là que nous pourrons élaborer un projet commun sur lequel toute la population pourra s’engager. Donc, les modalités de cette alliance sont de travailler dur pour venir en temps et lieu avec un projet cohérent. 

Pour le moment, nous avons notre manifeste électoral pour les municipales que nous présentons cette semaine. Le Reform Party a présenté ses 80 mesures et je dois vous dire que cela a été déterminant pour les membres d’En Avant Moris dans notre réflexion s’il fallait ou non travailler avec le Reform Party. 

Certes, j’ai eu des contacts avec d’autres dirigeants politiques, mais cela n’a pas abouti. Et je peux vous expliquer pourquoi. Soyons clairs : déboulonner Jugnauth, ce n’est pas un programme ! Mettre Ramgoolam à la place, ce n’est pas un programme ! Un programme, c’est la manière d’élaborer une vision pour l’avenir.

‘Bour Li Deor’ n’est ni un programme ni une vision politique»

Dans un premier temps, vous vous concentriez sur les villes sœurs. Est-ce que les ambitions changent maintenant que vous êtes en partenariat avec Rodhi Bhadain?
La formulation de votre question me fait sourire. En effet, nous nous sommes beaucoup concentrés sur les enjeux de Beau-Bassin/Rose-Hill, mais nous n’avons jamais dit que nous n’avions pas d’ambition nationale. Notre formation politique s’appelle bien En Avant Moris et nous n’avons pas attendu quelque échéance électorale pour cela. Donc, comme tout le monde peut le constater, le nom même de notre formation indique que nous avons toujours eu une ambition nationale. 

Je peux comprendre que la presse se soit focalisée sur ma personne et mon lien avec la circonscription n° 19, Stanley / Rose-Hill. Mais cette focalisation n’est pas juste. Si vous considérez les municipales, par exemple, déjà cela vous donne les circonscriptions nos 19 et 20. De plus, je ne l’ai jamais caché, il y a des regroupements qui ont commencé dans d’autres régions quand j’ai informé les gens que nous étions prêts à les encadrer. Ainsi, des groupes se sont manifestés dans le nord et dans l’ouest notamment.  

Comptez-vous participer aux élections municipales ? Si oui, allez-vous présenter des candidats dans toutes les villes et tous les « wards » ?
Ce sont des élections que nous réclamons depuis que notre formation existe. Nous n’allons donc pas rater cela. Mais encore faut-il que le gouvernement accorde ces élections. 

Nous allons rendre notre manifeste public cette semaine. Nous aurons une conférence de presse pour présenter notre méthodologie pour une nouvelle dynamique urbaine. 

Pour répondre plus spécifiquement à votre question : non. Au niveau d’En Avant Moris, nous n’avions pas prévu d’être présents dans toutes les villes. Aujourd’hui, la donne a changé puisque nous ne sommes plus seuls. Il nous faudra considérer comment on se positionne si le gouvernement se décide enfin à organiser les municipales.

Comment se fera le partage de tickets pour les municipales ? 
Vous allez un peu vite en besogne ! Et peut-être pas sur le bon chantier ! Allons dire que si le gouvernement ouvre le chantier des municipales, nous allons y dédier les équipes les plus aptes à développer cette dynamique urbaine que nous avons élaborée. C’est une méthodologie qui peut être reproduite et adaptée dans toutes nos villes. 

Les investitures doivent aller dans le sens du développement pour les administrés des villes et non dans la répartition de tickets entre formations politiques. C’est le développement des villes qui doit primer dans notre réflexion. 

Les candidats doivent être les plus à même d’administrer nos villes pour le mieux-être des résidents. Si on pense seulement à la répartition des tickets, on fera exactement comme ces partis qui ont laissé les collectivités locales à l’abandon ! Or, En Avant Moris proclame le contraire, puisque nous disons dans notre manifeste : « De l’abandon à l’abondance ». C’est une approche totalement différente. 

Les élections pour les collectivités locales doivent redevenir un engagement pour les gens de la société civile afin qu’ils puissent prendre en main le destin de leurs quartiers. Les partis traditionnels ont politisé ces aspects de service et de volontariat apolitiques dans nos villes et nos villages, ce qui a perverti le fonctionnement de nos collectivités locales comme jamais.

On peut comprendre que les gens compétents et dévoués se gardent d’entrer dans les combines de ces partis. Donc, nous disons : moins de politique et plus de développement, avec des gens du milieu pour transformer leurs quartiers. C’est cela notre philosophie politique pour les administrations locales. C’est très éloigné de ce que pratique le présent gouvernement, et c’est pourquoi nos collectivités locales doivent être libérées de cette surpolitisation qui asphyxie la démocratie.

Moins de politique et plus de développement»

Qu’en est-il des élections générales ? 
Nous sommes déjà sur le terrain avec le Reform Party. Nos partisans doivent apprendre à écouter et comprendre les préoccupations des gens pour pouvoir les remonter à nos directions. Je ne parle pas des friandises politiques que l’on donne habituellement à l’électorat, que l’on traite comme des enfants. Un petit centre par-ci pour que quelques hommes désœuvrés jouent au carrom, ou le pont à rénover par-là sur lequel on va mettre une grosse plaque avec quelques noms de ministres. 

Ce pays est en retard sur bien des aspects, alors que l’économie mondiale devient plus compliquée. D’un côté, nos jeunes quittent le pays parce qu’ils estiment qu’ils n’y ont pas d’avenir. Et de l’autre, vous avez une population vieillissante et une croissance de la main-d’œuvre étrangère. C’est un enjeu national ; si on ne fait rien, ça va être pire que la xénophobie que l’on constate en France ou en Italie. 

Déjà, on peut voir une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux dans laquelle une Kenyane raconte, dans un programme télévisé, le manque de courtoisie dont elle a fait l’objet de la part de fonctionnaires de l’immigration en raison de sa couleur de peau. Et ce ne sont pas seulement quelques fonctionnaires qui ont cette mentalité, les élèves du collège Royal de Curepipe nous en ont fait la démonstration. 
Avez-vous déjà entendu Pravind Jugnauth ou Navin Ramgoolam évoquer ce problème de mentalité qui se transmet de génération en génération ? Est-ce parce qu’ils proviennent eux-mêmes de cet établissement ? Tout cela montre que nous ne sommes pas prêts à considérer l’Afrique dans notre stratégie de développement. 

Or, c’est le continent où se trouvent toutes les ressources dont le monde a besoin. La Chine et l’Inde l’ont compris et investissent des capitaux pour développer les infrastructures en Afrique. Cependant, ici, certains adolescents ont encore un état d’esprit similaire à celui des dirigeants issus de leur école. Ils ont une attitude qui est restée bloquée au stade de la colonisation. Nous devons nous confronter à ce genre de problème au niveau national. 

Les ponts et chaussées, c’est pour les collectivités locales et il faut leur en donner les moyens. Nous devons également prendre en compte la question de l’agriculture, cela nécessite une nouvelle politique de gestion de nos terres. Nous devrons aussi nous pencher sur notre politique environnementale, car il ne reste plus que 1 % de notre forêt primaire. Nous sommes en train de bétonner l’île de manière effrénée, pour ensuite nous donner bonne conscience en plantant quelques arbustes.

Pour les élections générales, je vais aborder ces questions-là, parce que nos jeunes ont besoin de réponses claires.

Y a-t-il une possibilité que d’autres formations politiques vous rejoignent ?
Plusieurs dirigeants d’autres partis m’ont contacté et veulent nous rejoindre. Vous savez, ce ne sont pas seulement les électeurs qui ressentent la dynamique de cette nouvelle force ; ceux qui sont dans la politique depuis plus longtemps ont quand même du flair. Ils ont senti le vent tourner. Il y a aussi des compétences professionnelles qui se disent que la politique est devenue enfin plus sérieuse et montrent leur intérêt. Je vous avoue que ceux-là ont ma préférence. 

Cependant, il est certain que les autres formations politiques ont ressenti les premiers coups de vent et ne veulent pas se retrouver dans l’œil d’un cyclone.  

Il faut un bon anti-virus contre le ‘communalisme’»

Est-ce justement un objectif, parvenir à une grande alliance des partis extraparlementaires ?
Je ne comprends pas cette obsession autour d’une grande alliance entre les partis de l’opposition parlementaire ou encore des partis extra-parlementaires. Je crois que cette obsession vient de ceux qui ont pour seul objectif de renverser Pravind Jugnauth. Roshi Badhain a essayé cette formule avec les dirigeants de l’opposition parlementaire, mais ce n’est pas pour rien qu’il s’est retiré.

Pour ma part, je suis resté à l’écart de ces calculs politiques. Car, je le répète, « Bour Li Deor » n’est pas un programme. Ce ne peut pas être une vision politique. Ce pays a besoin de sérieux.

Je le répète : vous avez des familles qui voient leurs enfants partir, d’autres dont les enfants se droguent et se retrouvent en prison, vous avez le racisme qui empire dans le pays, notre politique énergétique et agricole nous condamne à dépendre de l’importation. Les gens se demandent quoi faire. Et nous allons leur dire « Bour Li Deor » ? C’est cela la solution miracle ?

L’heure n’est pas à la rigolade. Ceux qui veulent nous rejoindre savent que je serai intraitable sur ces questions-là. Et je me réjouis de voir que Roshi Badhain est également un bosseur. Donc, les pye-banann et les pofler, ça ne va pas le faire.  

Est-ce que vous n’allez pas finalement puiser dans le bassin de l’opposition parlementaire et ainsi faire le jeu du gouvernement ? 
C’est quoi le bassin de l’opposition parlementaire ? Je ne vois qu’un petit marigot, parce que le MSM est en train de capter l’eau en amont. Même les bêtes politiques de l’opposition vont boire chez Jugnauth ! Entre-temps, c’est la sécheresse en politique. La population a soif d’une politique qui peut à nouveau faire pousser les vrais projets servant les intérêts du pays, plutôt que ceux qui favorisent la corruption. 
Donc, pour irriguer le champ politique à nouveau, il va falloir détruire le barrage érigé par les Jugnauth. C’est ce que nous avons commencé à faire. Nou pe fouy trou dan baraz-la, nou pe komans plante, nou pe aroze ! 

Quelle est votre place dans cette alliance avec le reform party?
Roshi Bhadain et moi sommes côte à côte. Cela rassure la population. Tout comme lui, je suis à la bonne place.  

Ambitionnez-vous un poste de Premier ministre ou laissez-vous cela à Roshi Bhadain ? 
Vous n’êtes pas le seul à poser cette question. C’est dire à quel point cela taraude les Mauriciens qui ont été habitués à ce que les alliances se fassent sur ces termes. Une chose est certaine : Roshi Badhain peut vous dire que je ne suis pas un dirigeant politique qualifié de « population générale » qui serait à la recherche d’un « paravent hindou ». 

Il faut tenir compte du fait que Roshi et moi appartenons à cette nouvelle génération très consciente des mutations sociologiques qui se sont produites dans notre pays. Nous ne sommes pas comme ces dirigeants déconnectés de la réalité. 

La drog pa get figir. La koripsion pa get figir. Lamizer pa get figir. Maladi pa get figir. Lamor pa get figir. Ce sont ces réalités qui rassemblent nos enfants et les amènent à travailler ensemble, à s’aimer et à se marier au-delà des clivages qui ont existé autrefois. Il y a donc une « population générale » qui englobe tous les Mauriciens. Et comme l’avait dit l’avocat Parvez Dookhy à l’époque, les autres sont ceux qui se sentent à l’aise avec les désignations sectaires, les catégories résiduelles.

La réalité sociologique du pays s’est inversée. Il est trop tard pour retourner en arrière. Donc, si Badhain devient Premier ministre, vous aurez un Premier ministre de la « population générale ». Et si Belcourt devient Premier ministre, vous aurez un Premier ministre de la « population générale ». Parce que la majorité de la population qui se reconnaît comme Mauricien forme la « population générale ». 

Donc, l’ambition d’être Premier ministre n’est pas motivée par le désir de satisfaire notre ego personnel. C’est une ambition qui est dictée par l’avenir de notre pays, qui doit se débarrasser du mythe selon lequel un Premier ministre doit absolument être un Vaish. Ce logiciel est obsolète. Il faut le remplacer par un logiciel plus adapté à notre temps et doté d’un bon anti-virus contre le ‘communalisme’.

Seriez-vous éventuellement prêt à rejoindre une alliance avec des partis de l’opposition parlementaire ? 
S’ils acceptent nos reformes et les mesures de notre projet national, c’est à considérer. Mais, n’allons pas entraîner les gens dans la politique-fiction. Votre question revient à demander si les dirigeants de ces partis vont se déjuger après avoir pratiqué les mêmes politiques que le gouvernement actuel pendant des décennies. 

Franchement, vous les voyez accepter de diminuer leurs salaires de ministres et redonner le pouvoir aux maires ? Vous les voyez instaurer un vrai régime parlementaire avec des commissions bipartisanes pour examiner des secteurs-clés du pays ? Pourquoi ne l’ont-ils pas fait quand ils étaient au pouvoir ? 
Je crois qu’il n’y a pas lieu d’abrutir les gens avec des probabilités qui exigent que ces partis changent d’ADN.

Le discours du budget aura lieu d’ici quelques semaines. À quel genre de budget vous attendez-vous ?
Un budget électoraliste, bourré de mesures démagogiques. Vous pouvez compter sur le Dr Padayachy pour cela. 

 

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