Interview

Parikshat Tulsidas : «Le vieillissement démographique est aussi synonyme de baisse de croissance»

Parikshat Tulsidas

Dans le sillage de la publication de The AfrAsia Bank World Report 2018, Parikshat Tulsidas, Senior Executive Treasury and Markets à la banque AfrAsia, passe en revue les lignes directrices de ce document,  s’appesantissant sur les acquis de Maurice, mais aussi les défis auxquels le pays est confronté.

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Quelle est la lecture qui peut être dégagée de ce rapport sur l’état de Maurice ?
Maurice a longtemps dominé le classement des pays africains qui comptent le plus pour les « High Net Worth Individuals», cela grâce à notre réputation en tant que pays sûr, avec des politiques adaptées visant à la création et au développement de la richesse. Ensuite, bien sûr, il y a le style de vie qui est associé à Maurice et son faible taux de criminalité. Comme le rapport l’indique, Maurice maintient son classement comme le pays le plus riche en Afrique par tête d’habitant avec un revenu annuel de 32,700 USD. Nous avons connu une croissance de 195 % durant ces 10 dernières années et, l’année dernière, celle-ci était de 18%. Maurice, en dépit de sa taille, assiste à une croissance soutenue malgré un ralentissement de l’économie mondiale après la crise financière, ce qui est très positif. Enfin, notre pays possède le marché émergent africain le plus prometteur dans le secteur bancaire privé.

Comment expliquez-vous ces bonnes performances ?
Nous avons fait un choix de développement qui s’appuie sur un partenariat équilibré entre l’État et le secteur privé, fondé sur un modèle de développement qui n’exclut personne. Et, ce qu’il faut souligner, c’est la pérennité de ces choix. Et à chaque fois que des défis se sont imposés à notre pays, nous avons toujours su les affronter. Toutefois, il faut encore se battre pour conserver nos acquis, notamment dans l’offre de nos services bancaires et financiers. C’est pourquoi je plaide pour la création d’un cadre financier afin de faciliter la gestion des patrimoines, le courtage, le conseil fiscal, le planning & advisory, entre autres.

Le rapport a été rédigé au début de la crise économico-financière des ‘subprimes’, est-ce que Maurice a-t-il subi les conséquences de celle-ci ?
Notre économie a fait preuve de résilience face à cette crise qui a gangrené toutes les grosses économies. D’abord, la bonne santé du système bancaire mauricien, qui a toujours fait preuve de réalisme et de prudence en termes de prêts, a été décisive, puis le soutien de l’État avec les fonds accordés à des entreprises à risque a permis à celles-ci de résister. Certes, notre industrie du tourisme et le secteur manufacturier, qui sont les moteurs de la croissance économique depuis les années 80, ont vu leurs revenus baisser et il y avait une crainte réelle de pertes d’emplois massives mais l’intervention de l’État avec le ‘stimulus package’ a largement atténué les effets de cette crise, avec l’injection de liquidités dans l’économie et les opérateurs dans cette industrie ont pris des décisions qui s’imposaient en termes de gestion. L’État a, lui, poursuivi sa politique d’investissements dans les infrastructures afin de soutenir la croissance.

Est-ce que ce rapport permet-il d’établir que le modèle économique de Maurice ainsi que les grandes décisions économiques - y compris la bonne gouvernance – ont été les mêmes, ou plus ou moins les même adoptés par tous les gouvernements qui se succèdent ?
Il n’y a jamais eu de rupture de ce modèle, en dépit des alternances, car tous les partis semblent être d’accord que c’est notre modèle économique qui a permis à Maurice d’accomplir ses développements majeurs tout en préservant sa stabilité sociale, économique et ethnique, qui constituent les fondements mêmes de notre ADN. Depuis 2012, Maurice se classe en tête de l’index de bonne gouvernance de l’agence de notation Mo Ibrahim, signifiant par-là que l’alternance n’a jamais mis en cause notre mode de gouvernance. Néanmoins, la fondation Mo Ibrahim indique aussi que des tendances préoccupantes sont également relevées dans les pays situés en haut du classement, dont Maurice. Car, si sur une période de dix ans, la moyenne du pays a progressé de 0,34 point, la performance moyenne de Maurice a reculé de 0,13 point sur les cinq dernières années.

Est-ce que la publication, entre autres, de cette liste de millionnaires mauriciens reflète-t-elle la bonne santé générale de l’économie de Maurice ?
Oui, dans une certaine mesure, mais il faut aussi faire un effort supplémentaire en direction des riches étrangers qui achètent des propriétés à Maurice. Il faut les encourager à investir chez nous dans des secteurs porteurs, comme la finance et la banque, les fonds d’investissement et les sociétés de courtage, qui ont besoin de capitaux pour leur expansion.

De nouveaux secteurs de développement deviendront extrêmement pertinents à l'avenir, par exemple la Fin Tech, l’intelligence artificielle, entre autres. C’est la marque de Maurice que nous devons mettre de l’avant.

Aucune ville de Maurice n’apparaît parmi les 10 premières villes en Afrique. Pour quelles raisons, selon vous ?
Parce que nous sommes un petit État insulaire où aucune ville particulière n’émerge pour prétendre à ce classement, lequel prend aussi en  compte la masse critique nécessaire pour former une clientèle attirée  par les ‘brands products’, comme c’est le cas en Afrique du Sud. En revanche, notre littoral et nos hôtels offrent, eux, un cadre de vie qui n’a rien à envier à ces villes.   Et, dans de nombreux cas, les prix des terrains ou des propriétés ont presque atteint ou même devancer ceux de Cape Town, qui se positionne au sommet de ce classement. Je pense qu'à l'avenir, les Africains fortunés considéreront Maurice comme un marché immobilier intéressant. 

Le rapport met l’accent sur le respect de la propriété, comme  un des facteurs-clés encourageant les riches étrangers à venir à Maurice. Est-ce que ces derniers participent-ils au développement de l’économie réelle de Maurice ?
Oui, car leur présence favorise la construction d’institutions éducatives de qualité, la consommation,  l’ouverture de comptes bancaires, des activités accrues à la Bourse et des investissements dans des entreprises de gestion. Puis, la majeure partie des villas de  grand standing, qui ont aidé notre secteur de la construction, sont la propriété de ces millionnaires étrangers, qui offrent de l’emploi à de nombreuses catégories de personnes, comme les cuisiniers, les jardiniers, les femmes de ménage, entre autres. Cependant, ce modèle n’est pas viable à long terme. Nous devons faire en sorte que ces riches puissent aussi participer d’une manière plus active à l’activité économique en leur incitant à créer leurs entreprises et à opérer de Maurice.

Selon les prévisions, en 2027 Maurice deviendrait un pays avec un marché très performant, tant en Afrique que dans le monde. Quels sont les facteurs qui favorisaient cette prévision mais aussi les défis qui guettent le pays ?
Notre économie reste robuste, le système politique est stable avec des élections régulières sous la supervision d’experts internationaux et des résultats acceptés par toute la classe politique, la presse est libre et indépendante. Nous avons un Parlement élu au suffrage universel. Le droit à la propriété privée est protégé par des lois et la sécurité des biens et des individus est pleinement assurée.

Par contre, un défi important se dresse devant nous. L’impact du vieillissement de la population n’est pas sans conséquences sur l’activité économique de notre pays. De manière générale, le vieillissement démographique est aussi synonyme de baisse de croissance, car une population décroissante n'attirera plus autant d'investissements.

Le marché mauricien est souvent considéré comme trop étroit selon certains observateurs et opérateurs économiques. Si c’est vrai, comment contourner cette problématique ?
C’est certes une problématique, mais Maurice possède des atouts pour être le carrefour des affaires en Afrique, tout comme le Singapour est la plaque tournante dans le Sud-Est asiatique. Au-delà de la qualité portuaire et aéroportuaire, la stratégie consisterait  à offrir les meilleures infrastructures et les meilleurs services pour inciter les entreprises investissant en Afrique à poser leurs valises sur notre territoire et travailler à partir de Maurice, en s’appuyant sur les ressources locales. Aujourd’hui, l’homme d’affaires africain ou d’ailleurs peut par exemple opérer sa base de production en Zambie et gérer ses comptes et sa trésorerie à partir de Maurice. Donc, c'est ce à quoi nous devons aller. Il ne faut surtout pas avoir peur de recruter des experts étrangers, car leur savoir-faire nous est important et nous aidera à atteindre nos objectifs, car ils permettront à former les ressources locales.

 

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