Paramasivum Pillay Vyapoory, président par intérim : « Un président est le premier défenseur de la Constitution »

Son excellence Paramasivum Pillay Vyapoory, le président par intérim de la République, est un homme discret et sans prétention. Lindley Couronne, le président de DIS-MOI, l’a rencontré au château du Réduit, deux heures durant, et la discussion a été bien plus animée que prévu…

Publicité

Après une Présidente plutôt jet-set, nous voilà avec un successeur plus effacé qui semble accorder de l’importance aux droits humains et aux ONG...
Je vous laisse la responsabilité de vos propos sur l’ancienne Présidente. Je suis très attentif à ce que fait la société civile, la communauté des gens ordinaires. Notre démocratie est vibrante parce qu’il existe une presse vigilante et des ONG qui, avec leurs faibles moyens, s’évertuent à améliorer la société. Depuis que j’ai été nommé vice-président de la République et maintenant président par intérim, je ne me contente pas de mes obligations constitutionnelles, mais j’essaie, autant que faire se peut, d’accorder mon soutien aux ONG qui ont un impact sur la société. 

DIS-MOI est une de ces ONG qui contribuent à consolider la société civile à travers son programme d’éducation citoyenne et de droits humains. Je sais que vous avez un standing agreement avec la Speaker de l’Assemblée pour que les citoyens que vous formez à la chose politique assistent à une session parlementaire. Je sais aussi que le ministre de la Justice, des droits humains et des Réformes institutionnelles, Maneesh Gobin, vous distribue régulièrement des copies de la Constitution à remettre à ces citoyens après leur formation. Je vous félicite et vous encourage à poursuivre le travail. Un président est le premier défenseur de la Constitution et tous ceux qui m’aident à la faire respecter sont des alliés objectifs.

Dans la récente affaire qui a éclaboussé la CCID de Curepipe, l’Affaire Gaiqui, vous êtes sorti de votre droit de réserve sur les ondes en exprimant votre inquiétude. Pouvez-vous nous préciser votre démarche ?
J’ai une grande appréciation du travail abattu par notre police nationale dans une société en constante mutation. Croyez-moi, ce n’est pas facile d’être agent de la loi dans une société où de plus en plus de gens violent cette même loi, parfois de manière cynique. La semaine dernière, je me suis adressé à 650 policiers de tous grades lors d’un évènement organisé par le Commissaire de police. J’ai pu converser avec certains d’entre eux et leur ai dit que la République est fière d’eux quand ils se montrent dévoués et professionnels, comme la majorité sait le faire.

Dans l’affaire Gaiqui, j’ai été frappé, comme de nombreux compatriotes, par la photo et j’ai senti que certains agents de l’État avaient outrepassé leurs prérogatives. 

J’ai convoqué le Chairman de la National Human Rights Commission, Dheerujlall Baramlall Seetulsingh, pour m’assurer qu’il prenait les choses en main, et le même jour, je vous ai convoqué en tant que directeur de DIS-MOI pour écouter ce que vous avez à dire. 

Les policiers sont maintenant formés aux droits humains et devraient éviter de recourir à des pratiques d’un autre âge s’ils ne veulent pas tomber sous le coup de la loi.

n Restons dans le domaine des droits humains. DIS-MOI a l’oreille bien fine lorsqu’elle entend parler de cette ignominie qu’est la peine de mort ! Un de nos membres nous assure qu’il vous a entendu dire à la radio que vous êtes pour. Est-ce exact ?

Je suis contre la peine de mort et ma philosophie de la vie m’empêche de vouloir ôter la vie à qui que ce soit, quoiqu’il ait fait. Mais on me posait la question sur le trafic de drogue, qui m’interpelle en tant qu’humain. Je trouve révoltant que des humains mènent d’autres, par leur ignoble trafic, vers le chemin de la mort et de la perdition. Si je croyais en la peine de mort, oui, c’est le trafic de drogue qui prendrait la première place des délits méritant cette punition extrême.

Question personnelle. Vous êtes Président par intérim. Cette « République de tribus » que nous sommes parfois va-t-elle nommer un/e Président(e) de la « bonne » communauté ou vous confirmer comme Président ?
Voyez-vous monsieur Couronne, j’étais déjà très honoré d’avoir été nommé vice-président. J’étais ambassadeur en Afrique du Sud et je n’avais rien demandé. Par la force des circonstances, je suis à présent président par intérim, un choix relevant du Cabinet des ministres. En ce qui me concerne, je serais honnêtement à l’aise si l’on nommait quelqu’un d’autre et que je continuais à officier comme vice-président. Dans le deuxième cas de figure, j’accepterais avec beaucoup d’humilité le poste de président, car je me sens capable d’assumer cette fonction.

La République de Maurice a choisi, à tort ou à raison, un système de société qui donne primauté au capital et au développement économique. Avec très peu de souci pour l’écologie et le développement humain. Certains disent que c’est le prix à payer pour le modernisme. Comment atténuer ces effets pervers sur la société ?
C’est un grand débat. Je pourrais répondre que notre Welfare State atténue déjà ces « effets pervers », comme vous dites. Pouvez-vous me donner des exemples de pays sur le continent africain où l’éducation et le transport sont gratuits pour les étudiants ? Où le système de santé est totalement gratuit au point où il y a des abus ? Où les personnes âgées jouissent de toutes sortes d’avantages que ne connaissent pas leurs pairs en Afrique ?

Mais vous avez raison. Cette société qui se développe très (trop) vite devient de plus en plus violente. Certains parents ne savent pas comment élever leurs enfants. Dans des cas extrêmes, nous avons vu une mère qui attache sa fille ou une autre qui tente de brûler son enfant ! Sans oublier les ravages de la drogue synthétique ou les crimes atroces. Personne, je dis bien personne, ni les autorités religieuses, ni les ONG et autres associations, ni les politiciens, n’ont de baguette ou de formule magique pour résoudre ces fléaux sociaux.

La seule formule demeure l’éducation. Dans ce contexte, je suis convaincu que, dans les années à venir, le 9-Year Schooling de la ministre de l’Éducation, Leela Devi Dookun, améliorera le système éducatif et formera des citoyens conscients de leurs droits et responsabilités. La ministre a mis beaucoup d’énergie à éliminer cette absurdité qu’était le Certificate of Primary Education (CPE). Nous sommes maintenant dans une étape de transition. C’est ce flou qui rend les gens sceptiques et les fait condamner, un peu trop vite, ce nouveau système. Il faut donner du temps au temps. Après le temps de la compétition excessive et l’abrutissement du CPE, il y a le temps de la formation du caractère, de la musique, du théâtre et du sport qui sont parties intégrales de l’éducation. Le système formera des générations de citoyens honorables qui trouveront, comme l’a dit un jour Abraham Lincoln, qu’il est « far more honorable to lose than to cheat ».

L’épisode Alvaro Sobrinho a démontré qu’entre la théorie de la bonne gouvernance et la pratique, il y a un fossé, surtout lorsqu’il y a interférence politique au plus haut niveau de l’État. Comment voulez-vous que les citoyens accordent du crédit à la parole politique après ce qui s’est passé ?
Avec le développement de notre secteur financier, il y a eu énormément d’argent en circulation dans le pays et les tentations sont immenses de part et d’autre. Tout en voulant développer notre industrie financière, il nous faudra nous assurer de la provenance des investissements. Le pays a raison de se poser des questions, quand on a des doutes sur certains cas. Les institutions doivent se ressaisir et redonner entière confiance à la population.

L’homme derrière le Président

Si les Mauriciens voulaient connaître l’homme derrière le président que trouveraient-ils ?
Une vie simple et modeste. Je suis né à Plaine Verte, le cinquième enfant d’une fratrie de dix enfants : cinq garçons et cinq filles. Mère au foyer et père instituteur au primaire. La vie n’était pas particulièrement facile. Mes parents ont mis l’accent sur l’éducation pour qu’on puisse se débrouiller plus tard. Un épisode qui a marqué mon enfance : la disparition de mon frère aîné à l’âge de 16 ans. J’en avais huit mais je me souviens du traumatisme que cela a causé à la famille. Un jour, il n’est pas rentré à la maison. Les recherches à travers l’île n’ont rien donné. On n’a jamais retrouvé son corps.

Comment se sont passées vos études au secondaire ?
J’ai fréquenté le collège Royal de Port-Louis (RCPL). J’étais un élève discret et sage. Mais en Form IV, une annonce dans la classe parlant de théâtre et de drama festival allait m’animer. J’étais peut-être timide, mais je sentais au fond de moi que le théâtre m’interpellait. À cette époque, au RCPL, Cassam Uteem, qui était mon aîné, jouait brillamment le personnage de Mark Anthony dans Julius Cesar de Shakespeare. À partir de là, le théâtre est devenue une partie intégrale de ma vie et m’a aidé à sortir de ma timidité naturelle. Je serai plus tard nommé Best supporting actor et best producer lors d’un festival.

Votre vie après le RCPL ?
J’ai intégré le collège Trinity de Claude Obeegadoo en tant qu’enseignant de sciences et de mathématiques. J’y suis resté trois ans, avant de me joindre au ministère de l’Agriculture comme Agricultural Cadet. Mais la pédagogie et le professorat me passionnaient. Je fus, en 1976, l’un des premiers Maîtres Assistant (Lecturer) au MIE qui, à l’époque, n’avait pas l’imposant édifice d’aujourd’hui ! J’y ai fait toute ma carrière avant de prendre ma retraite. 

La politique

La politique est-elle venue vers vous ou êtes-vous allé vers la politique ?
Pour tout vous dire, la vie m’avait appris à m’engager. Déjà à l’université de Maurice, j’avais été nommé président du Student Union. Par la suite, au MIE, j’étais très actif au sein du syndicat, le MIE Staff Association où je devins tour à tour secrétaire puis président. De sorte que deux leaders politiques du MMM m’approchèrent avant les élections de 1982 pour être candidat ! Ce serait mentir de dire que je n’ai pas été tenté mais les circonstances familiales furent que je refusais. Je fis le grand saut en 1995 en m’intégrant au MSM, car je vouais une admiration à Aneerood Jugnauth par rapport à ce qu’il a fait pour ce pays en moins de 15 ans. Je fus candidat à Grand-Baie, Poudre D’Or, mais fus emporté dans la vague rouge et mauve.

Je n’obtins pas de ticket aux élections de 2000, mais fus par la suite nommé Conseiller de Steeve Obeegadoo au ministère de l’Éducation durant cette période qui a été enrichissante pour moi. Enfin, je demeurais actif au sein du MSM et devins Haut commissaire en Afrique du Sud, puis vice-président en 2014.

Pour moi, la politique n’a pas de sens, si elle n’a pas la vocation de servir. Elle est toujours pour moi un engagement permanent.

Le mot de la fin

La République de Maurice est un pays multiculturel et nous faisons tout pour promouvoir toutes les cultures. Ce qui a fait notre force durant ces 50 dernières années, c’est de ne pas oublier d’où nous venons  et nos racines. C’est bien car un peuple qui ne sait pas d’où il vient ne saura évoluer positivement.

Cependant, à terme, il nous faudra promouvoir l’interculturalité. Nous devrons établir plus de ponts entre les cultures pour construire l’île Maurice des 50 prochaines années.

1,2 million de citoyens de différentes cultures, issus de tous les coins du globe, vivent sur 1 850 km2 dans une coexistence pacifique. Je reste convaincu que ce pays a le potentiel d’être un exemple pour le monde. C’est à travers une politique interculturelle que cela se fera. Je ne serai pas là pour en témoigner, mais cela se fera… 

Propos recueillis par Lindley Couronne, président de DIS-MOI (Droits humains océan Indien).

 

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !