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OmeTV : une fenêtre ouverte sur les risques invisibles pour les mineurs

Anjum Heerah, Ritesh Poliah et Virginie Bissessur.

L’application OmeTV séduit de plus en plus de jeunes à Maurice, mais derrière son apparence ludique se cachent des risques graves. Le CERT-MU tire la sonnette d’alarme : absence de contrôle parental, contenus inappropriés et menaces psychologiques pèsent sur les enfants.

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L’application OmeTV, en apparence anodine, attire de plus en plus d’enfants et d’adolescents à Maurice. Face à cette tendance, le CERT-MU a émis une alerte le 16 juin pour mettre en garde contre les risques liés à son utilisation. L’absence de contrôle parental, de filtre de contenu ou de vérification d’âge rend les jeunes utilisateurs vulnérables à des rencontres inappropriées. 

Pour la psychologue Dr Anjum Heera Durgahee, cette exposition peut engendrer des troubles émotionnels profonds. Une préoccupation que partage le pédagogue, Dr Ritesh Poliah. Il rappelle que l’usage de l’application s’est banalisé, sans que les familles ni les établissements scolaires ne soient réellement préparés.

Selon le communiqué, OmeTV ne dispose ni d’un système de vérification d’âge fiable ni d’un mécanisme de modération rigoureux. L’absence de pare-feu ou de contrôle parental rend les enfants vulnérables à une exposition à des contenus inappropriés, voire à des formes d’exploitation. Le CERT-MU souligne que cette situation représente une menace réelle, renforcée par des normes internationales en matière de cybersécurité et de protection de l’enfance.

L’organisme invite les parents à faire preuve d’une vigilance accrue, à dialoguer avec leurs enfants sur leur vie numérique et à consulter les recommandations de cybersécurité disponibles sur son site. L’alerte évoque aussi des cas rapportés à l’international, où des mineurs ont été ciblés par des adultes se faisant passer pour des pairs, ouvrant la voie à des actes de manipulation ou d’abus.

Analyse psychologique : Des conséquences durables sur la santé mentale

Pour la psychologue Dr Anjum Heera Durgahee, la multiplication de ces plateformes en ligne non régulées peut avoir un impact profond et durable sur la santé mentale des jeunes. OmeTV, selon elle, place les enfants dans un environnement instable où ils sont exposés à des contenus potentiellement choquants, sans avoir les outils émotionnels pour s’en protéger.

« Ce type d’environnement peut engendrer chez l’enfant un état d’anxiété, voire de peur chronique, en raison des images ou comportements auxquels il peut être confronté », explique-t-elle. L’exposition, même brève, à des contenus sexuels ou violents, peut entraîner des symptômes de stress aigu, des troubles du sommeil, ou encore des comportements d’évitement.

Elle note également une montée en puissance des cas de dissociation ou de repli social. Lorsqu’un enfant se sent dépassé par des expériences en ligne, il peut se refermer sur lui-même, perdre confiance en ses proches, et se détacher de son entourage immédiat. « Dans certains cas, après une mauvaise expérience, l’enfant peut ne plus vouloir utiliser son téléphone ou refuser d’interagir avec ses camarades », ajoute la psychologue. Ce phénomène d’isolement peut être le signe d’un traumatisme naissant.

Un autre aspect inquiétant est celui de la construction de l’image de soi. OmeTV, en mettant l’accent sur l’apparence physique lors de sessions vidéo aléatoires, pousse les enfants à se comparer, à chercher l’approbation ou à craindre le jugement. Cette pression peut altérer l’estime personnelle. « Lorsqu’un enfant reçoit des commentaires négatifs sur son physique ou se sent ignoré, cela peut profondément influencer sa perception de soi. Il peut en découler une baisse de l’estime de soi, voire l’apparition de comportements de compensation, comme le retrait ou des troubles alimentaires », indique-t-elle.

Dr Durgahee met également en lumière un danger plus insidieux, en l’occurrence l’addiction. Les mécanismes de récompense aléatoire présents dans ce genre d’applications – l’inconnu, l’interaction rapide, l’effet de surprise – peuvent être très attractifs pour le cerveau des jeunes. Elle explique : « Cela peut engendrer un usage compulsif, avec une perte de repères et des difficultés à se déconnecter. L’enfant peut négliger ses devoirs, perdre sa concentration en classe, et vivre une forme de dissociation où le monde virtuel devient une échappatoire ».

Elle recommande une implication active des parents et des éducateurs. Il ne suffit pas, selon elle, d’interdire : il faut comprendre, expliquer, et créer un climat de confiance propice à la discussion. « Les enfants doivent sentir qu’ils peuvent parler, même lorsqu’ils ont peur ou honte. Ce n’est qu’ainsi qu’on peut désamorcer les situations à risque », dit-elle.

Réflexion éducative : Le regard du pédagogue Ritesh Poliah

Pour le Dr Ritesh Poliah, pédagogue, OmeTV n’est pas simplement une application de communication. C’est une plateforme qui ouvre une brèche inquiétante dans la sécurité des mineurs en ligne. À ses yeux, le problème n’est pas uniquement technologique, mais éducatif. « Il y a un manque flagrant de sensibilisation. Ni les enseignants ni les parents ne sont réellement informés des dangers que recèle cette application. Pourtant, les risques sont nombreux et très concrets », fait-il ressortir.

Il évoque plusieurs cas de jeunes enfants de 7 à 10 ans, qui ont été approchés par des adultes prétendant être des amis de leur âge. Ces situations, dit-il, peuvent rapidement basculer dans la manipulation ou la prédation. « Des enfants piégés par des adultes qui gagnent leur confiance, cela existe, ici à Maurice. Ce qui est alarmant, c’est que très peu de gens en parlent. Il y a un silence préoccupant autour de ce type de menaces », ajoute-t-il.

L’absence de filtre ou de sécurité intégrée à OmeTV, contrairement à des plateformes comme Instagram, rend les utilisateurs particulièrement vulnérables. Pour le Dr Poliah, une simple alerte du CERT-MU ne suffit pas : « Il faut une politique publique de prévention, une campagne de sensibilisation nationale, menée en collaboration avec les écoles et les parents. L’éducation numérique doit devenir une priorité ».

Il plaide également pour des mesures structurelles. Le ministère des Technologies devrait, selon lui, développer un système de filtrage national – un pare-feu pour bloquer les accès aux sites à risque. « Offrir un téléphone à un enfant, c’est une décision importante, mais encore faut-il poser des limites. Donner un smartphone à un enfant sans imposer de règles devient un accès libre à tous les dangers de l’internet », souligne-t-il.

Selon lui, la responsabilité est partagée. Les institutions doivent renforcer la régulation, les écoles doivent former leurs enseignants à identifier les signaux d’alerte, et les familles doivent s’impliquer activement dans la vie numérique de leurs enfants. « Il ne s’agit pas de surveiller, mais de guider. Ce rôle éducatif, que ce soit à la maison ou en classe, est fondamental. Si l’on n’intervient pas maintenant, le risque, c’est de perdre le contact avec une génération qui grandit dans un monde numérique sans balises », conclut-il.

Virginie Bissessur : « Ce genre d’applications est devenu des terrains d’approche de prédateurs » 

Virginie Bissessur, présidente de l’association Pedostop, tire aussi la sonnette d’alarme. Selon elle, ces applications sont devenues des terrains d’approche privilégiés pour les prédateurs. « Chez Pedostop, nous avons pris connaissance du communiqué du CERT-MU, et c’est une situation très inquiétante. Pourquoi ? Pour le simple fait qu’il n’y a pas de filtres, et qu’on peut discuter avec des personnes totalement aléatoires. C’est ça qui est dangereux », affirme-t-elle. 

Elle relève que dans de nombreux cas signalés à son organisation, ce sont justement des plateformes comme OmeTV qui sont à l’origine de situations dramatiques. « On remarque très souvent que ce genre d’application conduit à des situations irréversibles. Et la plupart du temps, c’est toujours trop tard. Lorsque les cas nous sont rapportés, le mal est déjà fait », explique-t-elle.

Virginie Bissessur insiste sur la vigilance parentale : « Nous appelons à la responsabilité des parents. Il ne suffit pas d’installer une application et de faire confiance à la technologie. Il faut instaurer un véritable dialogue et savoir avec qui l’enfant interagit en ligne ». Pour elle, le contrôle parental doit être vu non comme une atteinte à la vie privée de l’enfant, mais comme une protection nécessaire. 

« C’est très important si l’on veut éviter d’autres cas. Il faut oser poser des questions, encadrer l’utilisation du numérique, et surtout ne pas attendre que le comportement de l’enfant change pour réagir. À ce moment-là, bien souvent, le mal est déjà fait », conclut-elle.

  • Nou Lacaz

 

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