La détection de la bactérie Serratia à la Neonatal Intensive Care Unit de l’hôpital SSRN en avril dernier n’était pas un cas isolé. Selon la pédiatre Vinita Poorun, ce problème peut survenir dans n’importe quel centre de santé à travers le monde.
Parmi les 80 décès de nouveau-nés enregistrés depuis janvier 2023, neuf étaient dus à la bactérie Serratia (voir plus loin). C’est ce qu’a répondu le ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal, mardi dernier,
7 novembre, au Parlement, à la question du député travailliste Farhad Aumeer. « Les recherches ont montré qu’un abus important d’antibiotiques est très probablement à l’origine de ces épidémies », a-t-il ajouté, en précisant que l’épidémie de Serratia, une bactérie multirésistante, touche les unités de soins intensifs néonatals (NICU) de tous les pays.
Le Dr Vinita Poorun, ex-consultante en pédiatrie à l’hôpital SSRN de Pamplemousses, confirme cette information. Elle souligne que cette bactérie, très résistante et difficile à combattre, peut être présente dans les centres hospitaliers. « Paradoxalement, c’est dans les endroits où l’on utilise beaucoup d’antibiotiques, de désinfectants ou d’autres substances pour éliminer les bactéries et maintenir un lieu propre et aseptisé, que la bactérie peut proliférer en raison de sa très grande résistance, comme certaines autres bactéries », dit-elle.
Faisant l’analogie, le Dr Poorun souligne que la bactérie Serratia est comme de la mauvaise herbe qui repousse constamment en dépit d’un exercice régulier de désherbage. Elle est ainsi d’avis que la meilleure façon d’éradiquer la bactérie réside dans la fermeture de l’unité pendant quelques semaines et dans la réduction de l’utilisation des antibiotiques. « Il faut aussi donner la possibilité aux bactéries moins virulentes de proliférer afin de pouvoir combattre les bactéries plus résistantes, telles que la bactérie Serratia », suggère-t-elle.
Or, ce protocole ne semble pas avoir été respecté à la NICU de l’hôpital SSRN, car bien que la bactérie ait été détectée en avril de cette année, le service n’a été fermé qu’en septembre, selon le député Farhad Aumeer. En l’absence d’une réponse du ministère de la Santé, malgré nos nombreuses sollicitations, nous avons eu quelques explications du Dr Munsur Takun, ancien consultant en charge de l’hôpital Dr Bruno Cheong et ancien National Neonatal Coordinator. Pour lui, c’est sans doute faute de place ailleurs que la NICU n’a pas pu fermer afin que le nécessaire puisse être effectué pour venir à bout de la bactérie.
Il déplore également que la salle abritant la NICU ne soit pas appropriée pour un tel service, étant trop exiguë. La proximité des incubateurs peut être l’une des causes de l’infection du fait que la bactérie Serratia est aéroportée selon lui.
D’autre part, il ajoute que le personnel qui travaille dans ce type de département doit observer une hygiène irréprochable. « Une fois qu’un membre du personnel a touché un malade, il doit se désinfecter les mains avant de s’occuper d’un autre patient. La bactérie peut se transmettre d’un patient à un autre par effet boule de neige s’il n’y a pas une désinfection adéquate », dit-il.
Le Dr Takun déplore également que de nombreux membres du personnel de la santé quittent leur lieu de travail à l’heure du déjeuner avec leur uniforme et retournent s’occuper des patients avec les mêmes vêtements qui ont été exposés à la poussière ou à d’éventuelles bactéries. « Ce n’est pas normal car cela risque d’apporter des risques de contamination », fait remarquer le pédiatre.
Un avis que partage également un membre du département de l’Infection Prevention Control (IPC), qui n’a pas souhaité être cité. « Si leur uniforme est infecté, ils vont propager les micro-organismes partout où ils passent, que ce soit la boutique, les snacks ou autre. À travers cela, ils peuvent infecter les patients qui sont vulnérables compte tenu de leur faible système immunitaire. Quitter l’hôpital en uniforme et reprendre le travail par la suite n’est pas hygiénique », souligne notre interlocuteur.
À ce propos, le Dr Takun est d’avis que l’IPC doit donner des directives précises sur la manière de procéder, mais il est dommage que nombreux soient ceux qui se moquent des règlements, dit-il.
Les moyens de réduire les infections dans les NICU
n La formation intensive du personnel
n Le respect strict des protocoles
n La fixation d’objectifs
n L’évaluation régulière par les équipes IPC
n Les avertissements/sanctions
n Les audits par des équipes d’autres hôpitaux
n La mise en place d’unités selon les critères internationaux
Bactérie Serratia
La bactérie Serratia, faisant partie des entérobactéries normalement présentes dans le tube digestif, est un bacille à Gram négatif de la famille des Enterobacteriaceae, explique un pathologiste. Cette bactérie peut se retrouver sur du matériel hospitalier contaminé, comme les cathéters, et dans des salles de bains. Elle est opportuniste et peut causer diverses infections, notamment chez des patients immunodéprimés, comme ceux en soins intensifs.
Neuf décès liés à la bactérie Serratia
Le ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal, a révélé au Parlement le mardi 7 novembre dernier que sur les 80 décès de nouveau-nés enregistrés depuis janvier 2023, neuf étaient dus à la bactérie Serratia. Ces bébés avaient des hémocultures positives (un examen qui montre la présence de bactéries dans le sang) pour cette bactérie et sont décédés des suites d’une septicémie, de défaillances multiples d’organes et d’une extrême prématurité. Il répondait à la question du député Farhad Aumeer. Il a également expliqué que le taux de mortalité néonatale est de 8,9 pour 1 000 naissances vivantes à Maurice en 2022, ce qui est en dessous de la norme requise de 12 pour 1 000 naissances.
Usage d’antibiotiques : l’importance d’un protocole adapté
Le Dr Vinita Poorun explique que l’usage excessif des antibiotiques et des antiseptiques peut favoriser la prolifération de la bactérie Serratia. Pour éliminer le problème, il est essentiel de fermer le service où la bactérie a été détectée pendant une à deux semaines et de procéder à des désinfections.
La bactérie Serratia peut être présente même dans les meilleurs centres de santé du monde. Il est donc primordial de rester vigilant et d’utiliser d’abord les antibiotiques les plus faibles avant ceux qui sont les plus puissants afin de ne pas détruire les bonnes bactéries. « Plus on utilise d’antibiotiques, plus on tue les bonnes bactéries qui ont aussi leur rôle à jouer pour renforcer le système immunitaire. Il faut limiter l’usage des antibiotiques autant que possible afin de permettre à l’organisme de se défendre par lui-même », dit-elle.
La bactérie Serratia peut apparaître n’importe où et n’importe quand. Il est nécessaire d’avoir un protocole concernant l’usage des antibiotiques pour prévenir la multiplication de la bactérie Serratia, ajoute-t-elle.
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