Le rapport commandité par le Directeur des poursuites publiques propose de renforcer son indépendance, clarifier ses relations avec l’Attorney General et créer un National Prosecution Service. La National Crime Agency s’occupera des crimes graves, tandis que le DPP gardera le contrôle sur les poursuites. Objectif : efficacité, coordination et respect des standards internationaux. C’est une occasion unique pour moderniser la justice pénale et poser des bases solides pour l’État de droit.
Le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) a commandité un rapport intitulé « Proposed Constitutional Amendments, Legislative Basis and Inter-Agency Cooperation with a National Crime Agency », remis en octobre 2025 et rendu public le vendredi 5 décembre. L’objectif est de dresser un état des lieux du fonctionnement de la justice pénale, de renforcer l’indépendance des institutions, d’améliorer la coordination entre les acteurs du système et de moderniser l’organisation des poursuites et des enquêtes.
Plusieurs recommandations de ce rapport concernent les relations entre les principales autorités juridiques, la création d’un National Prosecution Service (NPS) et la mise en place d’une National Crime Agency (NCA), spécialisée dans les crimes graves, avec un meilleur partage d’informations dès les premières étapes des investigations.
Ce rapport fait suite à l’annonce, lors du discours-programme du gouvernement en janvier 2025, que le Financial Crimes Commission Act (FCC Act) serait abrogée et remplacée par le NCA Act, afin de lever les ambiguïtés relevées dans la FCC Act. Le DPP, Me Rashid Ahmine, a transmis ce rapport de 67 pages au Premier ministre, Navin Ramgoolam, au Deputy Prime Minister, Paul Bérenger, et à l’Attorney General, Gavin Glover.
Selon le DPP, ce document constitue un outil essentiel pour permettre à l’institution de définir ses objectifs à court et long terme, dans le but d’offrir un service toujours plus performant aux citoyens. Il met également en lumière plusieurs constats clés.
Le document a été rédigé par Francesca Del Mese, avocate internationale basée à Londres, forte de plus de 25 ans d’expérience dans l’analyse comparative des systèmes judiciaires et le renforcement de l’État de droit dans plus de 50 pays. Elle siège notamment à la Crown Court et est membre du United Kingdom’s Investigatory Powers Tribunal, qui supervise l’action des services de sécurité et des forces de police du Royaume-Uni.
Méthode utilisée pour ce rapport
• « Analysis of open-source research materials and national constitutional law »
* Des analyses comparatives des juridictions ont été menées à partir des législations nationales et internationales, des normes et lignes directrices internationales, des normes coutumières et des meilleures pratiques. Les pays ont été sélectionnés selon cinq catégories jugées pertinentes pour cette recherche :
(a) Des îles dotées de mécanismes financiers complexes, ayant réussi à créer des centres offshore (par exemple : British Virgin Islands, l’île de Man, les îles Caïmans, les Crown Dependencies, Singapour, les Seychelles) ;
(b) les pays du Commonwealth ;
(c) les pays avoisinants ;
(d) les pays considérés comme des leaders mondiaux dans les domaines étudiés ;
(e) les pays dont le système juridique est comparable à celui de Maurice, c’est-à-dire un système hybride intégrant le droit civil français et la Common Law anglaise.
L’autonomie et l’indépendance du DPP à l’épreuve
Ces dernières années, souligne le rapport, l’autonomie et l’indépendance du bureau du DPP ont été fragilisées. Parmi les événements marquants, on relève son placement sous le contrôle administratif de l’Attorney General, l’adoption de lois, notamment le FCC Act 2024, visant à restreindre ses pouvoirs de poursuites, ainsi que diverses contestations jugées inutiles devant la Cour suprême concernant ses décisions. Ces épisodes témoignent d’un profond manque de respect envers les principes fondamentaux de l’État de droit, valeurs auxquelles Maurice a toujours attaché une importance primordiale.
De telles dérives ne doivent plus se reproduire. C’est pourquoi le rapport recommande que des amendements constitutionnels soient entrepris dans le cadre d’une réforme globale, visant à renforcer l’efficacité du bureau du DPP ou du futur NPS.
Ce que propose le rapport
Des amendements législatifs majeurs destinés à consolider les pouvoirs du DPP, à moderniser le service des poursuites et à offrir de meilleures conditions de travail au personnel du bureau du DPP.
Il vise également à rendre le fonctionnement de la justice pénale plus efficace, plus rapide et davantage aligné sur les standards internationaux. (voir encadré)
Il rappelle l’engagement du gouvernement à renforcer l’efficacité des poursuites et à réduire les délais judiciaires.
Dans cette perspective, l’État a annoncé la création d’un National Prosecution Service (NPS), parallèlement à celle d’une National Crime Agency (NCA).
Le rapport propose que la NCA bénéficie d’un mandat élargi au-delà des seuls crimes financiers, tout en se limitant exclusivement à des fonctions d’enquête. Les poursuites relèveraient ainsi uniquement du NPS, conformément aux orientations exprimées par le Premier ministre au Parlement.
Il recommande l’adoption d’une législation spécifique encadrant le bureau du DPP ou le futur NPS. Cette loi comblerait les lacunes actuelles, renforcerait les pouvoirs du DPP, organiserait la coopération inter-agences et établirait des conditions de travail adéquates pour les officiers, y compris une rémunération adaptée à leurs responsabilités. Une telle loi constituerait une première, l’institution étant jusqu’ici régie essentiellement par la Constitution.
Enfin, le rapport préconise la création de divisions spécialisées au sein du NPS ou du bureau du DPP afin d’améliorer la gestion des dossiers, renforcer l’expertise des procureurs, réduire les délais et assurer une meilleure harmonisation entre les différents services.
Des ressources humaines
Autre proposition du rapport : il met en exergue la nécessité pour le DPP d’avoir un rôle déterminant dans le recrutement, l’affectation et la gestion de carrière des officiers légaux. À l’heure actuelle, ces décisions relèvent exclusivement de la Judicial & Legal Service Commission (JLSC), sans obligation de consultation du DPP. Le rapport considère qu’il s’agit d’un obstacle majeur au bon fonctionnement de l’office et recommande que le DPP dispose d’un contrôle effectif sur la composition de son équipe, condition indispensable à une planification stratégique efficace.
Clarifier les rôles entre le DPP, l’Attorney General et le Solicitor General
Selon le rapport, les relations institutionnelles entre le DPP, l’Attorney General (AG) et le Solicitor General (SG) doivent être mieux définies. Le document recommande que ces discussions se poursuivent afin de décider si cette clarification devra être faite dans un cadre formel, par des politiques écrites ou par un accord administratif.
Une rencontre au sommet est aussi suggérée entre le DPP, l’AG, le SG, des représentants du ministère de la Justice et d’autres responsables publics. L’objectif serait d’établir des règles de fonctionnement claires et d’éviter des conflits dans l’exercice des responsabilités. Des exemples étrangers pourraient alimenter ces échanges.
Recommandations
1 Pour une approche de « justice globale » et une stratégie de réforme
Le rapport préconise une approche de « whole justice » afin d’assurer une cohérence entre tous les acteurs du système judiciaire. Ainsi, toute modification de la Constitution et toute adoption de nouvelles lois concernant le bureau du DPP devront s’inscrire dans un projet plus large de réformes axées sur l’État de droit.
Il est essentiel que les réformes législatives ne contredisent ni la Constitution ni son esprit et qu’elles ne compromettent en aucun cas le bon fonctionnement de la justice.
Une telle démarche pourrait également être intégrée dans un éventuel National Action Plan, si le gouvernement souhaite inscrire ces réformes dans un cadre stratégique plus vaste.
La coordination des réformes doit être confiée au Prime Minister’s Office (PMO). Une supervision centrale permettrait de garantir une mise en œuvre harmonisée et efficace.
L’élaboration d’une Road Map après consultations avec tous les acteurs : l’Attorney General’s Office, le State Law Office, le DPP, la police et la FCC.
Cette Road Map devrait définir un calendrier précis, notamment des étapes claires pour les réformes constitutionnelles et législatives ainsi que des groupes de travail thématiques et un mécanisme de consultation publique.
Il faut adopter et rendre public un Vision Statement à haut niveau, spécifiquement dédié aux réformes liées à l’État de droit.
Il faut élaborer des Guiding Principles visant à montrer la volonté du gouvernement de moderniser les institutions de manière transparente et conforme aux valeurs démocratiques et constitutionnelles.
2 Réforme constitutionnelle
Le gouvernement avait annoncé la mise en place d’une Constitutional Review Commission (CRC) dans les six mois suivant le 24 janvier 2025. Cette initiative vise à proposer des réformes constitutionnelles et électorales, ainsi qu’à renforcer la protection des droits fondamentaux.
Des modifications spécifiques à la section 72 sont proposées pour renforcer la structure constitutionnelle. (voir encadré)
L’intégration du DPP à la Judicial & Legal Service Commission (JLSC) est envisagée, avec des garde-fous pour éviter tout conflit d’intérêts, voire l’inclusion du DPP comme membre de la JLSC.
L’indépendance du DPP et de son bureau.
L’octroi d’une immunité partielle au DPP et à ses officiers.
Le respect des principes du « public prosecution ».
Les droits et privilèges du DPP à la retraite.
3 Amendement à la section 72 de la Constitution
La section 72 de la Constitution définit les pouvoirs attribués au DPP. Le rapport propose également des modifications à cette section, à savoir :
La création du National Prosecution Service (NPS), qui sera indépendant de tout autre organisme.
Le NPS sera placé sous l’autorité du DPP, qui disposera du pouvoir de gérer son bureau, son budget et ses politiques administratives en toute indépendance, sans ingérence indue du gouvernement.
Le DPP devra bénéficier, au moment de sa retraite, des mêmes droits et privilèges qu’un juge de la Cour suprême.
Une loi pour établir le futur National Prosecution Service (NPS)
Le rapport souligne qu’une loi devra créer le futur National Prosecution Service. La rédaction exacte dépendra des amendements constitutionnels et d’autres projets de loi encore attendus.
Plusieurs éléments sont proposés pour intégrer dans cette future législation :
Un cadre clair pour la divulgation (disclosure) des éléments de preuve ;
un système de plaintes ;
la fin des accusations provisoires.
La question de l’extradition et de l’entraide judiciaire devra aussi être examinée : faudra-t-il confier ces dossiers à l’Attorney General ou au futur NPS ?
Les enquêtes
Un autre point essentiel concerne l’approche d’enquêtes guidées par les poursuites (prosecution-led investigations). Contrairement à certaines interprétations erronées, il ne s’agit en aucun cas de porter atteinte à l’intégrité ou à l’indépendance des forces de l’ordre. Cette approche vise simplement à renforcer la coordination entre enquêteurs et « prosecutors », notamment dans les affaires complexes.
Le rapport évoque à ce titre le modèle kenyan, qui permettrait au DPP de demander à la police ou à toute autre agence d’enquête d’examiner des allégations de nature criminelle. Cette prérogative ne constitue ni une prise de contrôle des enquêtes ni une faculté de les initier lui-même, mais un moyen d’assurer que certaines affaires d’intérêt public ne soient pas négligées ou indûment retardées.
Accueil favorable
Le bureau du DPP accueille favorablement ces recommandations, fondées sur les meilleures pratiques internationales et sur une analyse comparative approfondie. L’institution collaborera avec le gouvernement, par l’intermédiaire de l’Attorney General, pour définir les mesures qui pourront être mises en œuvre. L’ensemble de ces propositions contribuera également à préparer le pays en vue de l’évaluation de la Financial Action Task Force (FATF) prévue pour 2027.
Immunité
D’autre part, le rapport recommande également d’accorder au DPP et à ses officiers une forme d’immunité partielle, les protégeant contre des poursuites civiles ou pénales pour des actes accomplis dans le cadre de leurs fonctions. Une telle mesure s’inscrit dans les normes internationales applicables aux autorités de poursuites.
NCA : Une agence nationale pour enquêter sur les crimes graves
Le rapport note que le gouvernement a rétabli les pouvoirs de poursuites du DPP et veut revoir l’ensemble de la loi sur la Financial Crimes Commission (FCC). Cette situation donne l’occasion de repenser une agence nationale dédiée aux enquêtes.
Selon le document, trois points devront être tranchés :
- Le périmètre de l’agence : se limiterait-elle aux crimes financiers ou s’occuperait-elle aussi d’autres crimes graves touchant les intérêts du pays ?
- L’articulation avec la police : il convient de déterminer clairement qui mène les enquêtes, dans quelles situations et comment s’effectuent les échanges d’informations.
- Les pouvoirs de l’agence : elle mènerait des enquêtes, mais n’assumerait pas elle-même les poursuites. Un débat devra déterminer si son rôle inclura également la prévention et l’interruption d’activités criminelles.
Une meilleure coordination entre la police et DPP dès le début des enquêtes
Le rapport souligne l’importance d’un échange structuré entre enquêteurs et « prosecutors » dès les premières étapes d’un dossier. Cette « early cooperation » permettrait d’éviter divergences de stratégie, retards et blocages observés dans certaines affaires complexes.
L’idée n’est pas de conférer au DPP un pouvoir d’investigation, mais de lui permettre de conseiller les enquêteurs lorsque cela est nécessaire. Les services chargés des enquêtes conservent leurs prérogatives, tout en pouvant consulter les « prosecutors » pour s’assurer que les éléments recueillis sont exploitables devant un tribunal.
Le rapport recommande que cette coopération soit encadrée par des politiques ou accords entre les parties concernées, afin de préciser :
- les moments et modalités d’intervention du DPP à titre consultatif ;
- les types d’affaires nécessitant une coordination précoce ;
- le partage d’informations entre les unités d’enquête et les « prosecutors »
L’objectif est d’améliorer la qualité des dossiers soumis en cour, en s’appuyant sur une stratégie commune dès le départ, tout en respectant l’indépendance de chaque institution.
Conclusions : Renforcer l’action du DPP
Ce rapport met en lumière plusieurs enjeux majeurs entourant le DPP et son bureau, soulignant l’interdépendance des institutions qui composent le système de justice pénale à Maurice. Aucune de ces questions ne peut être abordée en isolation. Ce rapport appelle à des réformes coordonnés, alignées sur les meilleures pratiques internationales afin de préserver la confiance du public dans l’administration de la justice.
D’après ce rapport, des dispositions mieux définies permettraient au DPP d’exercer son autorité sans être confronté à des obstacles institutionnels inutiles. Il rappelle que le bureau du DPP ne peut fonctionner seul. Il fait partie d’un ensemble d’acteurs institutionnels qui constituent la matrice du système pénal mauricien.
De ce fait, le pays se trouve aujourd’hui face à une nécessité mais aussi à une opportunité unique d’engager des réformes profondes, conformes aux engagements pris par le gouvernement en matière de renforcement de l’État de droit.
Ce rapport propose plusieurs recommandations destinées à renforcer l’action du DPP et ne doit pas être considéré comme un « fait accompli ». L’objectif est de poser les bases des réformes annoncées, tout en ouvrant la voie à des consultations larges et inclusives, associant toutes les parties prenantes concernées.
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