
Nasif Jeetoo a quitté la comptabilité pour vivre sa passion : les carpes koï. Aujourd’hui importateur reconnu, il transforme bassins et poissons en véritables œuvres d’art vivantes.
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À 34 ans, Nasif Jeetoo nage à contre-courant. Diplômé en comptabilité (ACCA), il a tourné le dos à une carrière classique pour se consacrer à sa véritable passion : les poissons d’aquarium et de bassin. Installé à Rose-Hill, il est aujourd’hui l’un des plus importants importateurs de poissons d’ornement à Maurice. Aux novices comme aux passionnés, il parle de ses carpes koï avec une précision de connaisseur et une affection presque fraternelle. Portrait d’un autodidacte qui a fait de ses rêves une entreprise florissante.
À première vue, rien ne prédestinait Nasif Jeetoo à devenir l’un des visages les plus familiers du petit monde très codifié de la carpe koï à Maurice. Avec ses qualifications en comptabilité en poche, une carrière structurée semblait toute tracée. Mais en coulisses, une autre vocation grandissait. « Je savais que les chiffres étaient utiles, mais je ne me voyais pas faire ça toute ma vie. Mon cœur était ailleurs. Il était avec mes poissons », confie-t-il, assis au bord d’un bassin aux reflets dorés, le regard plongé dans l’eau calme où évoluent des formes élégantes et colorées.
L’histoire commence bien avant l’entreprise. Dans le jardin familial de Rose-Hill, Nasif n’a qu’une dizaine d’années lorsqu’il découvre pour la première fois une carpe koï. « Mon père avait un petit bassin avec quelques poissons rouges. Un jour, un ami de la famille est venu avec un koï. Ce fut un choc esthétique. Ce poisson n’était pas comme les autres. Il avait une présence, une élégance… j’étais fasciné. »
Le déclic est immédiat. Nasif plonge, au sens propre comme au figuré, dans l’univers de ces poissons japonais aux allures de toiles vivantes. Il apprend, lit, observe. Les petits aquariums de son enfance font place à de véritables bassins, et les poissons deviennent peu à peu des compagnons rares, presque des œuvres d’art vivantes.
En 2018, après quelques années passées dans un cabinet de comptabilité, il opère un virage radical. Il démissionne pour se consacrer entièrement à sa passion. « C’était risqué. J’avais peur, bien sûr. Mais je me suis dit : si je n’essaie pas maintenant, je le regretterai toute ma vie. »
Il fonde alors sa propre entreprise, spécialisée dans l’importation de carpes koï de qualité, en provenance directe du Japon, notamment de la région de Niigata, berceau historique de cet élevage d’exception. Il débute modestement : quelques bassins, une gestion artisanale, et un bouche-à-oreille patient, mais efficace.
Aujourd’hui, son nom est devenu une référence dans le domaine. Il est considéré comme l’un des plus gros importateurs de koï de l’île Maurice. Son entreprise a d’ailleurs été doublement récompensée : elle a remporté le titre de Best Aquarium & Pond Products Retailer aux African Excellence Awards en 2024 et 2025.
Mais chez Nasif Jeetoo, le commerce ne se limite pas à la transaction. Ses bassins sont conçus comme de véritables biotopes, où chaque détail compte. Il connaît chacune de ses carpes : leurs lignées, leurs teintes, leurs tempéraments. « Chaque koï a une personnalité, un comportement. Certains sont plus timides, d’autres très interactifs. Il faut du temps pour les comprendre. »
Chaque koï a une personnalité, un comportement. Certains sont plus timides, d’autres très interactifs. Il faut du temps pour les comprendre»
Il évoque les subtilités du Kohaku (blanc à motifs rouges), du Showa (noir avec rouge et blanc), ou encore du Tancho, reconnaissable à sa tache rouge sur le front, un symbole de chance au Japon. Avec patience, il explique, transmet, détaille.
Mais Nasif ne se contente pas d’importer et d’élever. Il conçoit également des bassins sur mesure, adaptés à l’espace et à l’environnement de ses clients. Filtration, oxygénation, lumière, plantes, circulation de l’eau… chaque élément est pensé pour le bien-être des poissons. « Un bassin n’est pas qu’un élément décoratif. C’est un écosystème. Il faut penser à l’oxygénation, à la filtration, aux plantes… Et bien sûr, à l’harmonie visuelle. »
Il accompagne aussi ses clients au quotidien : alimentation, soins, prévention des maladies, périodes de quarantaine. Pour lui, l’achat d’un koï n’est que le début de l’histoire.
Chaque année, il envoie son équipe au Japon pour sélectionner les meilleurs spécimens, directement auprès des plus grands éleveurs. Il participe à des enchères, visite des fermes renommées, suit l’évolution des carpes depuis leur plus jeune âge. « Le Japon, c’est la Mecque du koï. Là-bas, on ne parle pas de poisson, on parle d’art vivant. Certains koïs sont vendus à des centaines de milliers d’euros. Même si ici à Maurice, on travaille dans une autre gamme de prix, l’approche reste la même : qualité, respect, passion. »
En parallèle, Nasif s’investit dans la création d’une véritable communauté autour du koï. Il anime un groupe en ligne, partage des vidéos pédagogiques, répond aux questions des curieux comme des connaisseurs. Il rêve aussi de lancer un jour un concours national, sur le modèle japonais ou européen. « Les gens pensent parfois que c’est un hobby de luxe. Mais on peut commencer petit, avec un petit bassin et quelques poissons. Le plus important, c’est le respect de l’animal et l’amour qu’on y met. »
Comme tout entrepreneur, il a connu des passages à vide. Des pertes, des incertitudes, des nuits sans sommeil. Mais il n’a jamais lâché. « C’est un métier où la passion et la persévérance sont primordiales. Mais chaque jour, quand je suis au bord de mes bassins, je sais que je suis exactement là où je dois être. »
Ses ambitions ne s’arrêtent pas là. Nasif rêve d’agrandir son centre d’élevage, d’ouvrir un espace pédagogique pour accueillir des écoliers, et pourquoi pas, de faire de Maurice un petit pôle régional du koï dans l’océan Indien. « Ce qui me rend le plus heureux, c’est de voir un enfant s’émerveiller devant un koï, ou un client revenir me dire : “Tu m’as aidé à créer un endroit de paix chez moi.” C’est ça, le vrai luxe. »
Azeem Khodabux

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