
Nando Bodha, leader du Rassemblement Mauricien, partage son diagnostic sans concession sur la situation politique et sociale du pays. Convaincu qu’une union solide de l’opposition est indispensable, il détaille ses propositions pour redresser Maurice et affiche son ambition : devenir un Premier ministre engagé, compétent et porteur de changement.
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En tant que leader du Rassemblement Mauricien (RM), prônez-vous toujours une plateforme commune de l’opposition pour contrer le gouvernement actuel, malgré le refus quasi total des autres partis extra-parlementaires ?
Rassembler toutes les forces de l’opposition est la seule stratégie capable de constituer un rempart face à un gouvernement de 60-0, ainsi que face aux velléités de Navin Ramgoolam et Paul Bérenger. Le peuple en a besoin dans ce climat de désespoir. Le pacte de confiance entre lui et l’Alliance du Changement est rompu.
Depuis mon appel, qu’ont fait les différentes formations de l’opposition, tant parlementaires qu’extra-parlementaires ? Dans le cas de la réforme de la pension, par exemple ? Des actions isolées. Une manifestation syndicale est annoncée le 20 septembre prochain. Si tout le monde y met de la détermination et de la solidarité, nous pourrons atteindre une belle mobilisation.
En ce qui concerne la réforme électorale, des discussions ont été annoncées. Nous devons unir nos forces pour aboutir à la meilleure réforme possible. On m’a mal compris (à propos de la plateforme commune ; NdlR) ; il ne s’agit ni d’alliance ni de tickets, mais d’être la voix de la population face à une situation très difficile et à un gouvernement qui abuse de sa majorité absolue.
Vous donnez souvent votre avis sur des sujets d’actualité, le dernier en date étant le conflit entre le ministre de la Santé Anil Bachoo et les médecins du service de santé publique, rendu public samedi dernier. Quelle serait, selon vous, une solution gagnant-gagnant ?
Il aurait fallu faire un audit avant tout. Les responsabilités du ministère, du management des hôpitaux, du personnel soignant et du public doivent être clairement définies. Les tensions n’apporteront aucun résultat. Ce sont les patients qui en feront les frais.
Il faut un véritable management des hôpitaux et de leurs ressources (équipements et médicaments), une digitalisation rapide pour éviter les pertes de dossiers, un exercice « fast track » pour les recrutements et le concept de médecin de famille pour décanter le système. Parallèlement, une campagne d’information auprès des citoyens est nécessaire pour l’adoption de ce nouveau modèle.
Parlons des cinq produits alimentaires bénéficiant d’une seringue de subsides de l’État. Vous les accueillez, mais proposez aussi d’autres choses pour les personnes âgées. Lesquelles ?
Il faut un bouclier qualité-prix couvrant au moins 40 articles essentiels afin que les familles puissent réellement bénéficier des subsides. Il faut également un blocage des prix sur une période donnée. Tout cela doit être accompagné d’un Observatoire des prix avec des données régulières pour dicter une politique efficace.
Ce dispositif serait alors placé sous l’égide d’un Conseil national sur le pouvoir d’achat, présidé par le Premier ministre, avec la participation des importateurs, des grandes surfaces, des détaillants et des organisations de protection des consommateurs. C’est une priorité nationale aujourd’hui : trop de familles ne mangent pas à leur faim et vivent dans un état de désespoir face à la montée des prix.
Joe Lesjongard estime que le Mouvement socialiste militant (MSM) peut renaître de ses cendres et reste une alternative au pouvoir en place. Qu’en pensez-vous ?
Le MSM a connu une grande défaite. Le peuple a dit non. Tout grand parti doté de structures nationales et d’une bonne stratégie politique peut revenir au pouvoir. Le Parti travailliste (PTr) l’a fait plusieurs fois, tout comme le MSM après sa déroute de 1995 et le désespoir de la cassure du Remake en 2014.
Le Mouvement militant mauricien (MMM) aussi a connu un retour après une longue période de mauvaises stratégies. Le MSM a un passé fort et historique. Les valeurs et les principes de Sir Anerood ont construit une île Maurice moderne. Le MSM peut-il se réinventer pour devenir l’instrument d’un changement rêvé par le peuple ? C’est la grande question.
Le RM est-il prêt à se joindre au MSM ?
Le RM a une mission aujourd’hui : appeler toutes les forces de l’opposition – parlementaires, extra-parlementaires, société civile, syndicats et leaders d’opinion – à une révolution démocratique pour le « sanzman » dont Maurice a toujours rêvé afin d’amener la compétence, l’intégrité et la méritocratie. Ce rêve mauricien, qui est né en 1982, a refait surface en 2014, puis a accompagné la vague de 2024. Je voudrais incarner ce changement-là. Rassembler pour changer Maurice pour les générations futures : amendement de la Constitution ; réforme électorale pour éviter le 60-0 ; limitation à deux mandats pour le Premier ministre et les postes constitutionnels ; une télévision libre ; un combat sans relâche contre la fraude et la corruption et le fléau de la drogue ; et surtout ouvrir une nouvelle étape de développement économique grâce à l’innovation et au génie mauricien.
Certains évoquent une volonté au sein du MSM de déloger son leader actuel par un « coup d’État » au Sun Trust ? Et vous positionner en tant que « MSM New Look » avec comme but de devenir calife à la place du calife ?
Je ne suis pas partie prenante de ces rumeurs. Ma réflexion s’appuie sur des principes, pas sur des personnes. Le MSM saura se réinventer. J’en suis sûr. Ce parti a été dans « karo kann » plusieurs fois, mais ses structures sont nationales et peuvent jouer le rôle de locomotive électorale. Le MSM a un grand passé politique, qui a marqué l’Histoire et qui la marquera à nouveau, comme le PTr ou le MMM. C’est quelque part une dynamique politique propre à Maurice.
Quelle place occupe le RM sur l’échiquier politique ? Au vu des résultats des dernières élections, tant législatives que municipales, on pourrait se poser des questions sur vos ambitions personnelles…
Les petits partis extra-parlementaires n’ont pas réalisé de bons scores lors de ces élections. La campagne de « Missie Moustass » nous a balayés, car le peuple voulait avant tout voir partir le gouvernement sortant. Mon ambition personnelle est d’abord de partager mon expérience et de favoriser l’émergence d’une nouvelle génération de leaders. Le RM a cela comme objectif : donner la priorité aux jeunes.
Parlons des récentes décisions du gouvernement : réforme de la Basic Retirement Pension, guerre ouverte à la Banque de Maurice, nominations contestées et sorties de Paul Bérenger. Tout cela traduit-il un désordre ?
Ce gouvernement a perdu sa légitimité, n’ayant pas respecté son programme ni les grandes attentes de la population. Il vit coupé des réalités quotidiennes du peuple. Ses priorités semblent être ailleurs : jouir et faire jouir les proches du pouvoir. D’où les nominations tant décriées.
Il n’y a aucun renouveau, ni nouveau pilier de l’économie, ni espoir pour les jeunes qui partent. Le problème fondamental est le style de leadership de Navin Ramgoolam, qui n’a pas changé, ni ne changera grand-chose.
Paul Bérenger essaie de naviguer dans ce marasme pour sauver le MMM. Il n’a pas d’alternative pour le moment. La crise à la Banque de Maurice est révélatrice de ce qui se passe : un gouverneur discrédité, un Second Deputy Governor parti déposer des dossiers à la Financial Crimes Commission.
Personne ne pense à l’image brisée de Maurice comme un centre financier qui vient de sortir de la liste noire de la FATF (Financial Action Task Force ; NdlR). On fait fi des institutions internationales. Et on parle de Moody’s. En attendant, la roupie baisse en valeur et les devises sont toujours rares.
Navin-Ramgoolam est empêtré dans l’affaire des coffres-forts en Cour et personne ne peut lui tenir tête pour lui rappeler les priorités du pays. Il ne voit pas le désespoir des jeunes, symbolisant ce climat de désarroi.
Après 10 mois au pouvoir, le gouvernement semble encore chercher ses marques et la rue gronde. Qu’est-ce qui cloche, selon vous ? Est-ce une question de caisses vides héritées du MSM, de mauvaise gestion du gouvernement actuel ou alors un mélange de tout ?
Le plus triste est que 10 mois après, on parle de cassure… On parle de crise entre Ramgoolam et Bérenger, qui annonce ses priorités à travers la presse. Il y a une crise de confiance : le peuple a compris qu’il a été dupé lors des dernières élections générales et municipales.
La réforme des pensions est une trahison brutale. Les nominations ne donnent aucun espoir aux jeunes. Pour les revenus, je précise que l’État table sur des recettes de plus de Rs 50 millmiards en 2025-26, contre Rs 210 milliards récoltés en 2024-25, avec une dette supplémentaire de près de Rs 40 milliards. Il y a les Rs 10 milliards des Chagos. Allez comprendre !
C’est un gouvernement qui a ses propres priorités, loin de celles de la population, encore plus de celle de construire une nouvelle île Maurice pour les jeunes.
Pensez-vous toujours que votre itinéraire politique devrait trouver son apothéose avec vous comme chef suprême d’un gouvernement, de par votre ethnicité à la naissance ?
J’ai été dans la politique pendant longtemps, député pendant cinq mandats, leader de l’opposition et ministre pendant 15 ans avec différents portefeuilles. J’ai toujours voulu servir avec compétence et intégrité, innover et travailler en équipe pour le bien du pays. Il n’est pas question d’apothéose pour un enfant du peuple.
Je veux servir et je veux, un jour, être un bon Premier ministre, construire un pays phare qui parle d’une voix forte aux Nations unies, un pays apprécié des institutions de Bretton Woods et qui fasse rêver tous les Mauriciens, comme l’ont fait nos grands tribuns, notre Prix Nobel de littérature, Jean-Marie Le Clézio, nos artistes et les grands bâtisseurs de l’histoire.
Et si vous deviez vous retrouver au tapis, que feriez-vous ? Une retraite forcée ?
Je suis content de pouvoir me retirer à n’importe quel moment sur la pointe des pieds, la tête haute et les mains propres. La politique n’est pas une carrière, mais un service rendu au peuple.

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