Leurs vidéos dépassent les millions de vues sur YouTube et pourtant leurs chansons peinent à percer sur les ondes. Ces artistes ont forgé leur popularité par le biais de la toile. Certains ont encore du mal à être diffusés, mais ce n’est pas le cas pour d’autres. Dossier.
« To fam super » : 3,3 millions de vues, « Tourne Vanessa » : 422 k, « Dodo Baba » : 3,7 millions, « Aroze Ar poids » : 1,3 millions, « My One in a Million » : 5,2 millions ou encore « Dora Fim Simik » : 122 k en un mois et demi, « Bat dan latet » : 1,2 million, « Pie dan lo » : 3 millions et « Zenfan Candos » : 160 k en trois semaines (au jeudi 24 janvier). Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes et qui en disent long sur la popularité de ces artistes. Jeunes, ils ont choisi YouTube pour se faire connaître.
C’est la tendance même si cela ne rapporte pas de revenus
La raison évoquée pour la majorité : « C’est la tendance même si cela ne rapporte pas de revenus ». Ils sont suivis par des milliers de Mauriciens sur la toile. Les partages fusent à chaque nouvelle vidéo postée. Devant leur popularité grandissante, la majorité de ces artistes ont tout plaqué pour faire de la musique leur gagne-pain. Ils sont sollicités pour des événements et des concerts.
Mais quel est le rôle des radios dans la diffusion des chansons locaux ? Si certains à l’instar de Sky to Be ou de Bigg Frankii ont pu se faire une place au soleil, d’autres restent sceptiques face à la non-diffusion de leurs tubes sur les radios.
J’écoute du Bigg Frankii, Dj Miiguel, Sky to Be pour le rythme et l’ambiance et The Prophecy pour les paroles profondes. Il parle de la vie de l’amour, de choses qui touchent»
Nikita Ghanty est un fan invétéré de ces artistes locaux. Pour elle, ces artistes ont le potentiel pour exporter la musique mauricienne au niveau international. Elle cite l’exemple de Natty Gong dont les chansons ne sont pas beaucoup diffusées à la radio et qui pourtant participe à de nombreux concerts et festivals. « J’écoute du Bigg Frankii, Dj Miiguel, Sky to Be pour le rythme et l’ambiance et The Prophecy pour les paroles profondes. Il parle de la vie de l’amour, de choses qui touchent. »
Tony Jah : «Ma chanson a été diffusée sur quelques radios»
Il lui a suffi d’une chanson, pour que Tony Jah se fasse un nom. Il a été approché par Dj Miiguel pour mettre sa voix sur une chanson. Aujourd’hui « To fam super » a dépassé les 3,3 millions de vues sur YouTube. Un succès auquel le chanteur ne s’attendait pas. « Ce fut immédiat, j’ai été sollicité pour chanter dans des événements et des “lives” dans les boîtes de nuit depuis », confie-t-il.
« J’ai entendu quelques-unes de mes chansons passer sur certaines radios. » La popularité de ses chansons a fait que son titre a même été repris l’année dernière sur des t-shirts.
DJ Miiguel : «C’est de la discrimination»
Miguel Nadal aka Dj Miiguel s’est lancé dans la musique en 2015. Il a la côte dans les soirées branchées du moment. Ses remix et collaborations avec des artistes connus se distillent sur la toile à vitesse grande V. Ses premières collaborations avec Bigg Frankii ont explosé la toile. « Je faisais principalement de l’instrumental et mes propres compositions. Bigg Frankii était un ami d’école et je lui ai proposé une collaboration. » « Picoti Picota » est diffusée sur YouTube et fait tout de suite le buzz. Plusieurs autres chansons se sont enchaînées. « Nous étions sollicités dans les soirées à notre grand étonnement jusqu’à être invités pour un événement à Rodrigues en 2017. » D’autres collaborations connurent le succès : « Aroze Ar Poids » et « To fam super ». Le DJ et producteur dit ne pas comprendre pourquoi ces chansons ne sont pas diffusées sur les ondes.
« Nous n’utilisons pas de langage codé et ces chansons n’ont aucun sous-entendu. Pour moi, c’est de la discrimination. Les radios devraient encourager et promouvoir les jeunes artistes surtout les talents qui émergent et qui ont besoin d’un coup de pouce. » Dj Miiguel lancera un nouveau tube avec Bigg Frankii et travaille sur un album solo avec des surprises et des collaborations.
Master Topher : «Pas d’allusion sexuelle dans mes chansons»
Tourne Vanessa est une chanson phare de Master Topher. Les petits comme les grands l’entonnent. Mais certains n’apprécient guère les paroles. « Je ne fais pas d’allusions sexuelles dans mes chansons. L’auditeur l’interprète à sa façon », fait-il observer d’emblée.
Il a commencé à poster ses chansons sur YouTube en 2012 pour suivre la tendance. « Petit à petit, j’ai gagné en popularité grâce à YouTube. Certains Mauriciens apprécient mon travail et me félicitent. Je me suis frayé un chemin dans le domaine de la musique à Maurice et je suis content. » Master Topher annonce la sortie de son premier album en mars. Ce sera sur CD et des plateformes de téléchargement de chansons.
Sky to Be : «J’ai trop galéré, trop demandé et j’ai eu des coups de pied»
Jean Patrice Kevin Dina a toujours voulu faire de la musique. Il a galéré pour se faire une place en tant qu’artiste. « Mes amis partageaient mes vidéos sur YouTube juste pour le fun. » À aucun moment n’avait-il imaginé que ses vidéos feraient le buzz. Sky to Be a gagné en popularité à travers les « Stand up Jams » qui étaient organisés à Keg & Marlin en 2013. « Les gens me sollicitaient souvent. »
Mes amis partageaient mes vidéos sur YouTube juste pour le fun»
Il entamera par la suite une tournée dans les « malls » avec Kreol Komedy Klub. « Les gens me suivaient de Mahébourg à Phoënix. » Après quelques problèmes, l’artiste prendra du recul. « J’ai trouvé mon réconfort dans la prière, mais j’ai dû faire un choix entre la musique pour Dieu et un album. » Avec sa chanson « Dodo Baba », Sky to Be fait le buzz, avant même que le clip ne sorte. Elle atteint 3,7 millions de vues sur YouTube. « C’est une chanson qui sort de mes tripes que j’ai composée à partir de mon expérience personnelle et c’est ce qui fait son succès aujourd’hui. »
Pourquoi ses chansons n’étaient-elles pas diffusées sur les radios ? Sky to Be répond : « j’ai trop galéré, trop demandé et j’ai eu des coups de pied. La dernière porte à laquelle j’ai frappé est celle d’Alain Ramanisum qui m’a aidé. Aujourd’hui, si les médias m’approchent tant mieux, sinon je continuerai à faire de la musique, malgré tout sans frapper à des portes ». Et d’ajouter : « Par fer konfizion ant evolision ek revolision. Zordi saken get so dimoun, bizin backin pou avanse. Nou tou bizin egal ».
Hasvine Oodith : le buzz du moment
Avant le clip intitulé : Zenfant Candos, Hashvine Oodith concède que ses chansons n’ont pas eu le succès escompté sur YouTube. Le maximum de vues qu’il a enregistrées avoisine les 100 000 vues. Par contre, la vidéo de Zenfant Candos a enregistré plus de 155 000. « Je ne m’attendais pas à ce court clip fasse le buzz à Maurice. La moitié de ceux qui l’ont regardé ont apprécié et m’encouragent. L’autre moitié n’est pas d’accord avec les mots », dit-il.
Bigg Frankii : «Outre la popularité, je n’ai pas de revenu à travers YouTube»
Il y a six ans, Bigg Frankii a suivi la vague et a atterri sur YouTube. Aujourd’hui, il a 20 ans et il est très sollicité dans les soirées et les événements. « J’ai toujours aimé faire de la musique et chanter. En 2013, beaucoup de jeunes postaient leurs œuvres musicales sur YouTube. C’est une plate-forme gratuite me permettant de partager ma passion. Au fur et à mesure, j’ai commencé à avoir des Followers et des commentaires positifs. Cela me motivait à concevoir plus de chansons de qualité », explique-t-il.
Cette popularité virtuelle l’encourage à lancer son premier album en décembre 2017 sur CD. Il est intitulé : Borwdel Hakunamatata. En 2018, il lance le deuxième intitulé : The Bigg Frankii Show. « Le CD est la proie du piratage. Même si les chansons sortent sur ce support, je préfère YouTube. J’ai ainsi une idée du nombre de vues et un meilleur feedback en termes d’audience. » Certains de ses morceaux sont diffusés sur les ondes des radios.
« Outre la popularité, je n’ai pas de revenu à travers YouTube. À Maurice, nous ne pouvons monétiser la chaîne YouTube. »
DarkSoulBeat’z : Sous l’effet de «Dora Fim Simik»
Une musique entraînante, mais des paroles qui fâchent ! L’auteur préfère parler sous son nom d’artiste DarkSoulBeat’z. Le Beat Maker révèle que son prénom est Jeremy, qu’il a 20 ans et réside à Bois-Chéri. D’emblée, il dira qu’il n’a jamais voulu associer l’image d’un personnage animé populaire avec la drogue.
« Un jour, je suis tombé sur une vidéo montée par un ami. Une image de Dora l’exploratrice et on pouvait entendre la voix de deux jeunes derrière. Les dialogues m’ont encouragé à concevoir un beat et à réaliser un morceau musical. C’est ainsi que Dora Fim Simik a vu le jour en décembre 2018 », relate-t-il.
Il ne s’attendait pas à ce que la chanson devienne virale et fasse le buzz. Il concède que certains internautes apprécient et d’autres pas. Sa vidéo a enregistré 127 000 vues et 1,8 K de Likes.
Venen Coolen, directeur d’antenne de Radio Plus : «Un comité d’écoute procède au tri des chansons»
« Chaque semaine il y a plus d’une dizaine de singles qui sortent. Radio Plus étant un radio généraliste qui vise large, nous avons mis en place un comité d’écoute pour faire une sélection de chansons qui peuvent être diffusées. Ce comité se compose d’animateurs et d’auditeurs fidèles. Ces derniers se basent sur des critères spécifiques : les paroles, le message, le langage utilisé, entre autres. En général, la chanson doit plaire à huit personnes sur dix. Le plus important c’est que cela ne heurte pas la sensibilité des auditeurs. »
Ashok Radhakissoon, ancien président de l’Independent Broadcasting Authority : «Les chansons ne passent pas devant un Censor Board»
Il faut éviter de diffuser un langage vulgaire et raciste, ainsi que des propos criminels ou criminalisant»
« Les radios publiques et privées ont un cahier des charges à respecter – la MBC Act pour la MBC et le Code of Ethics de l’Independent Broadcasting Authority (IBA) pour les radios privées. En somme, il faut éviter de diffuser un langage vulgaire et raciste, ainsi que des propos criminels ou criminalisant. Les artistes ne sont pas obligés de respecter les règles. Contrairement aux films, les chansons ne passent pas devant un Censor Board. De ce fait, les radios doivent vérifier les paroles d’une chanson avant diffusion. Quand on parle de liberté d’expression, on parle de ceux qui s’expriment et de ceux qui reçoivent cette expression. Il faut donc respecter le goût social, religieux et moral d’autrui. Après les récents amendements apportés à l’Information and Communication Technologies Act, une personne qui sent que certains mots le dérangent peut rapporter l’affaire à la police. »
Brinda Kaunhye, directrice au Broadcasting à Top FM : «We go with the flow»
« Chaque radio a sa façon de voir les choses. Occidental, oriental ou local, le style de musique va cadrer avec notre audience et la philosophie de la radio. Nous devons cependant respecter le Code of Ethics de l’Independent Broadcasting Corporation. Nous essayons de diffuser le maximum de chansons locales pour promouvoir les talents et faire plaisir aux Mauriciens. Certaines chansons accrochent et plaisent à l’audience. Nous avons donc déjà diffusé To fam super de Tony Jah par exemple. “We go with the flow”. »
Nous avons en vain tenté d’avoir la version de Radio One sur la question.
David Boodhna, Acting Director of Radio à la MBC : «Nous voulons promouvoir les talents mauriciens»
« La section 4 (Objects of the Corporation) de la MBC Act stipule clairement (d) ensure that its broadcasting programmes, including advertisements – (i) Do not offend against decency good taste or public morality; (ii) are not likely to encourage or incite to crime, disorder or violence…
Suivant cette loi, nous ne pouvons diffuser les chansons locales qui contiennent des propos diffamatoires et racistes, des insultes ou encore traitent la femme comme un objet.
Pour le marché occidental et oriental, il existe deux versions d’une même chanson et les radios de la MBC ne diffusent que la version “radio edit”. Dans le passé, nous avons déjà reçu des artistes qui se plaignaient “énergétiquement”, car leur chanson n’était pas diffusée sur nos ondes.
D’ailleurs, au moins 50 % de notre charte sur Radio Maurice et Kool FM est composée de chansons locales. Nous voulons promouvoir les talents mauriciens et les aider à faire connaître leurs œuvres.
Pour nous assurer que les paroles conviennent à la population, nous avons mis en place une procédure. Cela doit faire une dizaine d’années qu’on procède ainsi. Une équipe écoute les paroles et souvent c’est l’artiste qui nous recommande la chanson qu’il souhaite mettre en avant.
La section 4 de la MBC Act fait aussi provision pour (a) provide independent and impartial… (ii) broadcasting services which cater for the aspirations, needs and tastes of the population in matters of information, education, culture and entertainment.
Si les paroles respectent les règles, la chanson peut être diffusée trois fois par semaine. Au bout de quelque temps, elle va figurer sur notre playlist préparée par un Music Programmer. Ensuite, les musiciens sont invités dans une émission pour parler de leur passion. »
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