Moris mo Péi : autant en emporte le vent

SSR

La remarque qu'a faite un étranger qui visitait une  imprimerie des années 50 caractérise ce qu'elle représentait comparativement à la presse moderne dotée d'équipements sophistiqués. Il affirmait qu'on ressemblait  à « une imprimerie sous l'occupation ».

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À  bien voir son observation tient lieu de la situation de la presse mauricienne à cette époque. Pour la composition et la publication du journal, c'est dans un atelier à  relents d'encre et du pétrole  dans lequel grouille toute une multitude de typographes  aux mains noircies et les vêtements maculés  que se profile le journal du jour. Des hommes avec des mains activement occupées  à  sortir  des lettres en plomb des casses  pour la composition d'un article.

 La pagination, comme on peut l'imaginer, tient du prodige, car elle nécessite  une  dextérité et un talent certains pour que la composition ne s'éparpille ou s'écrase. Une petite anecdote : il y avait parmi les typographes un analphabète, qui toutefois n'a jamais commis une seule faute dans sa composition.

L'atelier de composition propose  d'innombrables formes alphabétiques. Bien avant l'arrivée de Macintosh et des technologies typographiques vectorielles, les typographes munis d’un compositeur qu’ils tiennent de la main gauche, ils font la composition avec une vitesse incroyable, grâce  à la souplesse  du poignet et la vélocité de la main. Ils ont aussi à effectuer la redistribution qui consiste à remettre les lettres une fois qu'elles ont servi à l'impression dans les casses correspondantes.

 C'est autant dire déceler entre l'Elzévir et l'égyptienne qui sont dans la classification des caractères d’imprimerie. Les Elzevirs sont éclatés en trois familles, dont les humans, les gavaldes et les Réales. Les choisir pendant la composition relève d'une compétence professionnelle certaine.  

Internet à la rescousse

Au niveau du journaliste qui, à cette époque ne disposait que de son stylo pour écrire son texte, il a eu le bonheur de disposer quelques années plus tard d'une machine à écrire. À cette période, il existait un mur du silence  difficile à surmonter,  tant au niveau du privé que du public. L'information était considérée  comme privilégiée  dans une société peu loquace, réfractaire à une ouverture  et surtout soucieuse de préserver ses petits secrets avec une forme de défiance envers les journalistes. C'est toute une révolution qui s'est effectuée avec l'irruption du Web et des réseaux sociaux. Le mode de consommation de l'information a été complètement bouleversé. Internet a ouvert aux journalistes d'aujourd'hui des possibilités qui nous avaient échappé.

Le sentiment était que la  plupart des gens n'avaient qu'une connaissance très sommaire du système politique et économique, dont ils sentent au plus haut détachés. Ces convictions se fondent sur les conditions qui sont leurs bas salaire ou le chômage, manque d'instruction ou infériorité du rang social généralement liée à l'origine  ethnique ou à l'âge des intéressés . Certains déconnectés et désillusionnés, malgré leurs emplois bien rémunérés  et leur haut niveau d'instruction veulent peu participer à la vie publique.

 Il y a aussi le fait que malgré que nous évoquons la liberté de la presse, un parent vers lequel nous nous sommes tournés pour obtenir des informations concernant un de ses proches qui s'est suicidé nous a balancé ceci : « Si l'on laisse à certains la liberté de faire telle ou telle chose, il faut interdire aux autres de les gêner ou de les empêcher. Il faut donc réduire la liberté pour ceux créant des obstacles. »

D'ailleurs, au niveau des rédacteurs, il nous faut faire preuve d'un devoir de précaution avec une information vérifiée, validée en opposition à  une rumeur ou un bruit de couloir. Pas de vérité approximative.   

Une question d'honneur

Au niveau du judiciaire,  nous avons eu les possibilités d'être témoin d'une certaine forme de déchéance humaine - du voleur de poules au meurtrier sans foi ni loi, avec des magistrats qui justifient ce qu'ils qualifient de « vol acquisitif aux hommes de loi » qui soutiennent que les actions policières, le code de la route, entre autres, mettent en jeu les droits de l'individu à la protection contre l'agression et la répression.

Une petite anecdote pour illustrer ce qui peut être entendu en forme de leçons philosophique. Un  condamné après un  véritable savon du magistrat lui rétorque :  « Votre honneur, la prison est la seule place où un homme peut séjourner dans l'honneur. » On n'est pas trop de cet avis de nos jours avec ce qui se passe entre les quatre murs d'une prison.

Toujours est-il qu'il existe une histoire qui mérite d'être racontée.  Un braqueur, qui a été condamné à deux ans de prison, n’a pu être retracé une semaine après sa prétendue incarcération. Il devait comparaitre pour un autre délit. C'est alors que la magistrature s'est rendu compte  qu’il faut d'une liaison effective entre les tribunaux et la prison.

Un astucieux policier responsable du transfert des condamnés a trouvé un bon filon. Il s'arrange avec la famille du condamné pour que ce dernier ne fasse pas la taule, en incluant  son nom sur la liste des futurs pensionnaires  et en déchirant certains documents et en le laissant partir contre une forte somme d'argent.  Cette absence de coordination entre ces deux institutions ne permet  de recenser  que ceux dont les noms figurent sur la liste pour être plaquée sous mandat de  dépôt. Cette histoire a fait couler beaucoup d'encre.

Une censure qui fait des couacs  

Les communications étaient restreintes, comme l'attestait la nomination d'un porte-parole du gouvernement en la personne du ministre de l'Information de l'époque pour faire un 'brief' hebdomadaire des décisions du cabinet. Toute allusion  dans la presse aux délibérations du conseil des ministres pouvait constituer un délit. Encore fallait-il comprendre que ceux qui détiennent l'information estiment qu'ils  possèdent une certaine forme de pouvoir qui ne peut souffrir d'un partage.

Il convient de souligner qu'il existait, à une certaine époque, une censure de la presse dirigée par un britannique au nom de Chumpney et à  une équipe consistant de hauts gradés de la force policière. Une autre anecdote qui ne s'oublie pas. Un haut gradé s'est permis d'enlever le préfixe « pré » du mot préhistoire, affirmant avec fierté  que sa censure s'arrête là. À souligner que le gouvernement avait décrété l'État d'urgence en 1971. Il y avait une certaine forme de solidarité entre journaux, dont certains se partageaient le même papier journal pour leurs publications.

Plusieurs faits importants ont marqué cette carrière d'une cinquantaine d'années de journalisme, me remémorant ceux   qui hantent mon esprit jusqu'ici. Un choix parmi les douzaines d'autres qui ont marqué  l'histoire du pays et qui étaient aussi effroyables que ces images que  je revois avec beaucoup de tristesse.

(i) La sanglante guerre communale qui avait endeuillé le pays. Les soldats britanniques ont été appelés à la rescousse pour éviter le pire à Maurice. L'incendie de L'Amicale, maison de jeu à Port-Louis, le 23 mai 1999, avait fait sept morts. C'était  une période  éminemment éprouvante pour Maurice avec  des morts et des pillages entraînant l'exode d'une certaine communauté  de la capitale vers les hautes Plaines-Wilhems.

À signaler que parmi les plus importants incendies qui ont entraîné des dégâts matériels très importants figurent celui de septembre 1975 qui a complètement détruit le garage automobile de Rogers et les ateliers de Harel  Mallac de la rue Edith Cavell, avec des explosions des sacs de nitrate. Il y a plus d'un demi-siècle que le bâtiment en bois du journal Le Mauricien  de la rue Saint-George, a été presque totalement ravagé,  menaçant du même coup les locaux de l'express. Il y a eu ensuite l'incendie du cinéma Des Famillles, en 1978, une aile du Marché central (celle des épices) en mai 1981.

 Il ne faut pas oublier non plus l'explosion au centre commercial de Grand-Baie dans la nuit du 24 au 25 juillet 2004.La déflagration avait fait deux jeunes morts.Les dégâts étaient estimés à plus de

Rs 10 millions. On avait attribué le sinistre à un court-circuit. Quatre ans plus tard, soit le 2 juin 2008, 6 magasins dans la galerie marchande de Super U, à Grand-Baie,  ont aussi été réduits en cendres par un violent incendie.  

(ii) La fusillade de Sainte-Croix entraînant la mort d'un gosse du nom de Marcellino Belle par un soldat de la SMF.

(iii) La manifestation des travailleurs 'quatre jours à Paris' avec l'assaut mené par la Riot Unit avec du gaz lacrymogène et la bastonnade. Mêmes les journalistes n'avaient pas été épargnés.

(iv) La manifestation devant l'Hôtel du Gouvernement menant à l'arrestation de 33 journalistes en protestation  contre une taxe que le gouvernement voulait imposer sur la presse.

(v) Les  graves émeutes en février 1999  après la mort du chanteur Kaya en prison. C'était une des périodes les plus tourmentées  pour le pays.

(vi)  La défaite électorale de SSR et un premier 60 -0  dans les annales des législatives. Des élections générales tenues le 11 juin 1982 au cours desquelles l'Alliance MMM-PSM obtenait 63,4 % des votes électoraux.

(vii) Une journée dans la vie d'un Premier ministre, partageant avec lui toutes ses activités, de son petit déjeuner à son dîner. De nombreuses confidences  obtenues, dont  cet échange qu'il avait avec Pelé au cours duquel il lui disait qu'il aurait pu avoir du succès comme lui, mais qu'il s'était fait mal au genou. Ou encore cette petite histoire qu'il racontait concernant  Idi Amine Dada. « C'est un grand sportif et je l'ai vu nager dans une piscine avec son pyjama. » Il disait aussi qu'un petit whisky au déjeuner et un autre au dîner  n'a jamais tué l'homme.
World Trade Center et suicides

Un  fait qui a été  très gênant pour lui.

(viii) Du haut du World Trade Center, où il se trouvait  en notre compagnie, un de ses ministres qui l'avait accompagné au sommet des Nations unies, lui disait : « Anu fer enn parey Moris chacha. »  Et SSR de lui répondre  avec sarcasme : « To oule tou dimoun vinn suisid zot ladan. »

(ix) La dernière interview de SSR dans l'express avant sa mort lorsqu'il était au Réduit en tant que gouverneur général de la République, c'était presque un testament politique. Il y a aussi ses funérailles et celles de sir Gaëtan Duval qui sont restées gravées dans la mémoire mauricienne.

(x) La marche  des Verts Fraternels avec l'intervention de la police à Beau-Bassin. Une charge aux bâtons avec une pluie de grenades lacrymogènes. Nombreuses arrestations, dont celle du père Fanchette et Sylvio Michel. L'Église du Saint-Sacré Cœur a dû fermer ses portes en raison de l'épaisse fumée  dégagées par les grenades et interdire aux policiers de pénétrer dans les lieux sacrés pour des arrestations.

En effectuant une petite incursion  au parlement signalons la prestation de Marcel Mason, un député travailliste qui avait lancé un défi qu'il allait assister aux travaux de l'Assemblée nationale en uniforme de prisonnier. Ce qui est formellement interdit. Le jour de sa tentative, il a été intercepté par la police dans le couloir menant vers l’hémicycle.

Désiré Appou

 

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