
La criminalité à Maurice atteint des niveaux alarmants, ébranlant la sécurité des citoyens. Quels sont les véritables facteurs derrière cette violence croissante et comment inverser cette tendance avant qu’il ne soit trop tard ? Tour d’horizon.
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Meurtres en série, agressions gratuites, braquages en pleine rue… La criminalité à Maurice atteint des sommets inquiétants, perturbant profondément le sentiment de sécurité des citoyens. Pas plus tard qu’hier, un policier perdu la vie lors d’une violente altercation (voir en page 8). Face à cette montée de la violence, la population se pose légitimement la question : comment en sommes-nous arrivés là, et quelles solutions pouvons-nous envisager pour inverser cette tendance alarmante ?
La dégradation du tissu social mauricien est un phénomène observable depuis plusieurs années, mais il a pris une ampleur préoccupante ces derniers temps. Au cœur de cette problématique se trouve l’affaiblissement progressif de la cellule familiale, jadis garante de la transmission des valeurs et des normes sociales. Le sociologue et observateur Rajen Suntoo souligne que la situation actuelle est particulièrement inquiétante : « Les valeurs traditionnelles s’estompent et le respect des normes sociales s’érode peu à peu. »
Cette fragilisation des liens familiaux crée un terrain propice à des comportements déviants. Selon Rajen Suntoo, la violence et la criminalité ont connu une progression constante au fil des années, souvent en lien avec des facteurs socio-économiques spécifiques : « Lorsque les liens familiaux se fragilisent, l’individu peut se retrouver en proie à des situations conflictuelles. Les inégalités économiques jouent également un rôle central dans cette dynamique. »
Les disparités économiques croissantes sont un facteur majeur d’aggravation de la situation. Le sentiment d’injustice, né de ces inégalités, nourrit une frustration profonde chez ceux qui se sentent exclus du développement économique. Cette perception d’iniquité génère des tensions sociales qui peuvent rapidement dégénérer en actes de violence. Le Dr Kurt Barnes, médecin naturopathe spécialisé en psychologie et psychothérapie, confirme cette analyse : « Les populations défavorisées, épuisées par les inégalités systémiques, expriment leur mécontentement. Sans un encadrement approprié, cette révolte devient destructrice. Une société incapable de canaliser ces mouvements de contestation risque de se déstabiliser. »
Lacunes en matière de compétences émotionnelles
La question de l’injustice sociale est encore plus marquée quand il s’agit des différences salariales. Comme le précise le Dr Barnes : « Si vous percevez un salaire de Rs 5 alors que votre voisin gagne
Rs 15 pour le même travail, même si le respect mutuel existe, le sentiment d’injustice persiste. » Il déplore également la perte de respect fondamental entre les individus.
Un autre facteur crucial dans la montée de la violence est l’absence d’éducation aux compétences émotionnelles. Le Dr Barnes affirme : « Notre système éducatif enseigne à lire et à écrire, mais néglige l’apprentissage de la gestion émotionnelle. L’énergie émotionnelle, lorsqu’elle n’est pas canalisée, se manifeste souvent par de l’agressivité. »
L’incapacité à exprimer verbalement ses frustrations mène alors à des confrontations physiques. « Lorsqu’un individu n’a pas les mots pour exprimer ses émotions, il recourt inévitablement à la violence », explique-t-il. Il souligne qu’un vocabulaire riche permettrait de mieux gérer les tensions relationnelles et d’éviter les comportements violents.
Paradoxalement, même les parents se retrouvent souvent démunis face à cette situation. « Espérer que les gens deviennent pacifiques par miracle est une illusion », ajoute le Dr Barnes. « Les parents, souvent eux-mêmes démunis, manquent des outils nécessaires pour aider leurs enfants à gérer le stress et les frustrations. »
L’impact de la santé mentale
Les troubles psychologiques non traités jouent également un rôle crucial dans l’augmentation des comportements violents. Le Dr Anjum Heera Durgahee, psychologue, souligne que l’isolement social et la rupture des liens familiaux exacerbent cette problématique. « Les jeunes, privés de repères, sont particulièrement vulnérables. » Certains, à la recherche d’échappatoires à leur détresse émotionnelle, se tournent vers la violence ou la consommation de substances psychoactives.
Le manque de ressources adaptées en matière de santé mentale aggrave encore la situation : « La santé mentale est insuffisamment prise en charge dans le débat public. Des initiatives de sensibilisation sont urgentes pour soutenir les personnes vulnérables. »
Ce qui est encore plus préoccupant, c’est la banalisation de la violence dans l’espace public. Le Dr Barnes observe que cette violence devient un modèle imité : « La violence commence dès l’enfance, dans la cellule familiale, où elle est parfois utilisée comme méthode disciplinaire. » Cette normalisation de la violence se renforce par l’environnement médiatique et politique. Les conflits de pouvoir et les inégalités sociales existent depuis toujours, mais les citoyens refusent désormais de subir passivement ces injustices, fait-il remarquer.
Quelles solutions ?
Face à cette situation complexe, des solutions simplistes comme le durcissement de la législation sont inefficaces. Rajen Suntoo insiste : « Le durcissement des lois n’est pas la solution. Il faut repenser le rôle de la famille et ses principes fondamentaux. »
Le sociologue propose une approche collective : « Il y a une perte des valeurs fondamentales, mais il est crucial que les familles prennent conscience de cette menace. Les autorités religieuses et politiques doivent également s’impliquer. Il est temps de retrouver nos repères. Cette situation concerne l’ensemble de la société. »
Le Dr Kurt Barnes rejoint cette réflexion et préconise une approche multidimensionnelle : « Il faut d’abord donner aux gens les moyens d’apaiser leur esprit : techniques de relaxation, activités physiques, gestion du stress. Il ne s’agit pas seulement de punir, mais aussi d’éduquer. » L’intégration de l’éducation émotionnelle dès l’école, de la maternelle au secondaire, apparaît comme une nécessité. « Si l’on n’enseigne pas ces compétences dès le plus jeune âge, il devient difficile de les inculquer à l’âge adulte », avertit-il.
Le renforcement des dispositifs de soutien psychologique est également une nécessité, soutient le Dr Durgahee : « Des dispositifs adaptés doivent être développés. Il existe une explosion de comportements inadaptés socialement qui nécessitent une intervention professionnelle. »
La lutte contre la montée de la criminalité à Maurice nécessite une approche globale. Cela inclut le renforcement des valeurs familiales, l’éducation émotionnelle, l’accompagnement psychologique et la réduction des inégalités sociales. Comme le résume Rajen Suntoo : « La violence ne concerne pas uniquement les observateurs, mais toute la population. Nous devons agir concrètement avant qu’il ne soit trop tard. Un crime de plus, c’est un de trop. »
Hausse inquiétante de la criminalité malgré un classement modéré
Maurice connaît une augmentation notable de la criminalité, selon plusieurs sources internationales et nationales, bien que le pays conserve une position relativement favorable en matière de sécurité.
Classements internationaux
• Numbeo 2024 : Maurice occupe la 61e place sur 142 pays, avec un indice de criminalité de 47,78.
• Global Initiative against Transnational Organized Crime : Maurice est classé 138e sur 193 pays en termes de criminalité.
Chiffres nationaux alarmants
Le rapport annuel de la police 2023/2024 révèle une hausse de 12,58 % du taux de criminalité au cours des deux dernières années.
Statistiques clés :
• Nombre total de crimes signalés en 2023 : 58 794 cas (Statistics Mauritius).
• Augmentation des agressions en 2023 : +18,6 % (Statistics Mauritius).
La police ajuste ses stratégies
Face à la montée des actes de violence, la police ajuste ses stratégies et renforce ses dispositifs de sécurité. Selon Shiva Coothen, responsable de communication du Police Press Office, la priorité est donnée à la vigilance et à l’optimisation des patrouilles. « Nous rehaussons notre niveau de vigilance en ce qui concerne les patrouilles policières. Nous travaillons sur des stratégies pour mieux déployer nos effectifs et cerner les problèmes », affirme-t-il.
Toutefois, certains cas de violence échappent aux autorités, notamment lorsqu’ils se produisent à l’abri des regards. La violence domestique, par exemple, est un fléau qui survient derrière les quatre murs du foyer. La police appelle ainsi les victimes ou témoins à signaler tout danger potentiel : « Si quelqu’un se sent menacé, il ne faut pas hésiter, ne pas tarder à rapporter le cas à la police. En cas de danger imminent, il faut agir vite. »
Shiva Coothen rappelle également qu’« après une dispute, surtout sous l’effet de l’alcool ou des stupéfiants, il arrive que des personnes perdent le contrôle et commettent l’irréparable. La police enquête. La loi est là ».
Au-delà des interventions réactives, la police met l’accent sur la prévention. « Nous cherchons des stratégies plus efficaces pour contrer cette montée de violence. Nous observons déjà ces comportements dès l’âge scolaire, et nous prenons des mesures sévères rapidement. Cela porte ses fruits. »
Ashitah Aujayeb-Rogbeer, criminologue : « Crucial d’apprendre à gérer les violences qui se développent »
Pourquoi y a-t-il autant de violence aujourd’hui ?
La violence n’a pas de cause unique ; elle résulte d’une combinaison de problèmes sociaux, économiques, éducatifs et culturels. La montée de la violence dans la société actuelle, que ce soit à Maurice ou ailleurs, peut être attribuée à plusieurs facteurs interconnectés : précarité, chômage, augmentation du coût de la vie, manque d’opportunités, inégalités sociales, prolifération des drogues de synthèse et autres stupéfiants, abus d’alcool…
Nous devons aussi prendre en compte le fait qu’une justice perçue comme inefficace ou laxiste peut encourager les criminels, qui se sentent à l’abri des sanctions. L’influence des réseaux sociaux et la culture de la violence peuvent également jouer un rôle, désensibilisant parfois les individus aux conséquences de leurs actes violents.
Nos valeurs et notre société ont-elles changé au point d’encourager plus de violence ?
Il existe aujourd’hui une certaine fragilité des structures familiales et éducatives. L’absence de repères familiaux, l’abandon ou la maltraitance dès l’enfance augmentent le risque de développer des comportements agressifs. Une approche globale est essentielle pour un meilleur encadrement des jeunes, un renforcement de la justice et une sensibilisation accrue à la non-violence pour diminuer le crime.
Les réseaux sociaux rendent-ils les gens plus agressifs ?
Les réseaux sociaux peuvent contribuer à rendre les gens plus agressifs, pour plusieurs raisons. La première est l’anonymat, qui dissipe les conséquences de certains comportements. L’anonymat favorise le cyber-harcèlement, les insultes et les discours haineux. De plus, nous assistons à une propagation rapide de la colère et des fake news. Les réseaux sociaux amplifient les polémiques et la désinformation, ce qui nourrit la frustration et la haine.
Il existe également une culture du clash et des débats toxiques qui se développe. De nombreux influenceurs et médias jouent sur la provocation et les conflits pour générer plus d’audience. Les débats en ligne dérivent souvent en insultes et en violence verbale. Être exposé en permanence à des contenus négatifs, violents ou polémiques peut augmenter l’irritabilité.
Les réseaux sociaux ne rendent pas les gens agressifs par nature, mais ils exacerbent certains comportements violents.
Que peuvent faire les autorités pour mieux lutter contre la criminalité ?
Lutter contre la criminalité à Maurice en 2025 n’est pas une tâche facile. Cela nécessite une approche globale, impliquant la justice, la police, l’éducation et la société dans son ensemble. Avec une justice renforcée, plus de prévention et un engagement collectif de la société, nous pourrons tendre vers une société plus sûre.
Cependant, le crime ne disparaîtra pas. Il faut apprendre à gérer les violences qui sont en train de se développer aujourd’hui.
Ces cas marquants depuis début 2025
- 1er janvier 2025 : A Richelieu, Cataléa Nalatambee, 19 mois, est agressée mortellement par Josian Sylvio Leopold, un toxicomane de 42 ans. Lors de son interrogatoire, il affirmera n’avoir aucun souvenir de son acte. Il demeure en détention policière.
- 17 février 2025 : Une découverte macabre secoue Rodrigues. Le corps démembré de Christine Begue, 16 ans, est retrouvé entre Pointe-Vénus et Baie-Lascars. Jean Antoine Pasnin, rapidement identifié comme suspect, avouera le meurtre, précisant qu’elle lui aurait volé de l’argent.
- 27 février 2025 : George Leopold, résidant à Baie-du-Tombeau, succombe à une violente agression au sabre perpétrée par son ex-compagne.
- 3 mars 2025 : Le policier Abhising Santock, 35 ans, perd la vie à la suite d’une agression violente. Un homme de 52 ans, habitant de Sainte-Croix, a été appréhendé dans le cadre de cette affaire.

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