Banque de Maurice (BOM) travaille depuis un certain temps sur l’introduction de la Mauritian Central Bank Digital Currency (CBDC). « Avec le soutien du Fonds monétaire international (FMI), la BoM a déjà entrepris une étude de faisabilité pour prospecter la mise en place d’une CBDC pour les paiements nationaux et transfrontaliers », indique Feyçal Caunhye, Chief Communications de la Bank of Mauritius. « Il a également été convenu avec l’équipe d’évaluation technique du FMI que le projet comprendrait des ateliers et une preuve de concept. La BoM envisage le déploiement de la roupie digitale sur une base pilote vers la fin de cette année », explique-t-il.
Feyçal Caunhye souligne que « l’introduction proposée d’une CBDC est conforme aux ambitions de Maurice de devenir le hub financier de la région, d’autant que la BoM participe déjà aux initiatives de paiement régional transfrontalier de la Southern African Development Community (SADC) et du Common Market for Eastern and Southern Africa (COMESA) ». Il fait valoir qu’« il est envisagé que dans un proche avenir, les infrastructures de paiement de ces blocs soient intégrées à d’autres systèmes de paiement régionaux du continent africain et élargiront l’horizon des affaires. À cet égard, la Banque participe à cette initiative en tant que membre de l’Association des banques centrales africaines ».
Politiques réglementaires
Comment les spécialistes du secteur financier accueillent-ils cette décision ? Vincent Hoffmann, COO chez Althash & The Htmlcoin Foundation, estime que cette nouvelle mesure est un pas audacieux dans la bonne direction. Encore faut-il que cela aille de pair avec des politiques réglementaires alignées sur les objectifs et le potentiel économique de Maurice. Cette mesure serait « une étape significative pour devenir le centre cyber et financier que Maurice aspire à être avec de nombreux secteurs verticaux de potentiel économique ».
Dans le contexte actuel, fait-il remarquer, de nombreuses entreprises locales perdent de grandes opportunités en raison du manque d’acceptation de la crypto-monnaie ici. « Il existe également de nombreuses Fintechs internationales qui seraient basées à Maurice si la réglementation était plus favorable aux crypto-monnaies. Pour devenir le cyberhub et financier de l’Afrique, nous devons prendre en compte d’autres problèmes réglementaires. »
Le Dr. Bhavish Jugurnath, économiste, abonde dans le même sens. Il pense qu’une roupie digitale est essentielle dans un monde numérique dans lequel l’utilisation des espèces diminue progressivement. « Les Banques centrales du monde entier cherchent à introduire leur monnaie numérique. Il est donc clair qu’on devrait suivre la tendance qui pourrait être un aspect futur pour attirer les investisseurs directs étrangers », souligne-t-il.
L’économiste Kevin Teeroovengadum partage le même avis. C’est un pas dans la bonne direction ; un certain nombre de Banques centrales du monde entier mettent en œuvre des monnaies numériques, dit-il. La Chine notamment, avec l’introduction du yuan numérique et la Banque de réserve sud-africaine qui envisage de lancer sa propre monnaie numérique. Le monde entier évolue vers un monde numérique et Maurice n’a donc d’autre choix que de rejoindre ce train
en marche.
Quelques incertitudes
« L’idée derrière la monnaie numérique est de remplacer l’argent liquide, de réprimer les crimes liés à l’argent liquide et d’améliorer les coûts des transactions. Pour Maurice, plus tôt nous pourrons passer à une économie digitale, mieux ce sera pour lutter contre les sommes d’argent qui découlent des activités illicites, de l’économie souterraine et du marché noir », fait-il ressortir. Cependant, il reconnaît que le plus grand risque provient de la cybersécurité, avec la fraude au paiement qui comprend des transactions frauduleuses ou non autorisées effectuées par des cybercriminels.
Sameer Sharma, Senior Data Scientist, observe que « ce qui est incertain, c’est comment la Banque centrale mettra en œuvre la monnaie numérique, car cela pourrait avoir un impact sur les banques et leurs dépôts. En Chine, par exemple, la Banque populaire de Chine, sa Banque centrale, met en œuvre une monnaie numérique par l’intermédiaire des banques politiques. La monnaie numérique aura un impact technique sur les banques nationales. Si vous avez un portefeuille numérique soutenu par la Banque centrale, vous n’avez pas nécessairement besoin d’avoir un compte bancaire commercial. Cela pourrait invariablement fragmenter le marché financier », prévient-il.
La capacité a influencer l‘inflation
Le senior Data Scientist pousse son analyse plus loin en disant que la composante des paiements numériques dans le total des paiements à Maurice a déjà augmenté. « Le principal avantage d’avoir une Banque centrale qui émet la monnaie numérique serait peut-être pour améliorer sa capacité à
influencer l’inflation. »
Sameer Sharma ajoute que « le mécanisme de transmission de la politique monétaire est grandement amélioré grâce à une monnaie numérique soutenue par la Banque centrale. Le taux d’intérêt que la Banque centrale fixe peut plus facilement transmettre par l’intermédiaire de la Banque centrale la monnaie numérique directement à l’individu. Les coûts de transaction sont censés baisser de manière significative lorsque vous utilisez une monnaie numérique de retour par la Banque centrale. »
Quant à Kevin Teeroovengadum, il ajoute que dans ce ‘New World New Normal’, « nous verrons des investissements croissants dans le secteur numérique. On est dans l’ère numérique et on ne peut pas y échapper. »
Les aspects à prendre en considération
Le Dr Heman Mohabeer, Head of Artificial Intelligence Technologies dans une entreprise privée, juge important que les décideurs politiques veillent que chaque aspect, de la sécurité à l’adoption, soit pris en considération. « Bien que nous ayons besoin d’innover, cela ne devrait pas se faire au prix de la mise en danger de notre économie. La blockchain est prometteuse mais encore en cours d’adoption. L’infrastructure posera toujours un défi et avant l’adoption d’une telle technologie, nous devons éduquer et créer des compétences locales pour nous permettre de supporter le coût associé au lancement de l’argent virtuel. »
Sans compter, poursuit-il, que « le seul crypto qui peut se vanter de légitimité est le Bitcoin, qui est présent depuis la dernière décennie. Le cycle de maturité de la cryptographie peut être long et le coût qui y est associé peut être trop lourd à supporter pour le pays ».
De son côté, le Dr Bhavish Jugurnath estime que les citoyens pourraient retirer trop d’argent des banques à la fois et acheter des monnaies numériques, déclenchant une ruée sur les banques. Il indique que « la centralisation par l’intermédiaire du gouvernement d’un système ne doit pas produire des réactions négatives parmi les utilisateurs ou créer des risques pour la cybersécurité puisque les processus réglementaires ne sont pas mis à jour pour faire face aux nouvelles formes de monnaie ».
Sameer Sharma conclut, pour sa part, que « les revenus des banques seraient également potentiellement impactés par une monnaie plus numérique avec plus de transactions soutenues par la Banque centrale ».
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